J'aurais aimé faire
des chansons comme des tableaux
- J'aurais aimé faire des chansons
comme des tableaux,
- même modestes et sans renom,
- des tableaux comme on voit
accrochés
- aux murs des musées,
- même des petits musées de
province, sans gloire.
- Au Musée des Beaux-Arts de Lyon
il y a un petit tableau
- que j'aime beaucoup, il est peu
connu, il ne fait pas de tapage,
- il s'intitule L'Atelier de
l'ingénieur, tout y est représenté avec soin,
- chaque outil posé sur l'établi
ou suspendu au mur,
- et chaque reflet de lumière sur
le métal est travaillé, patiemment peaufiné,
- comme le petit pan de mur jaune de
la Vue de Delft, par Vermeer,
- chère à Marcel Proust.
- Peu de visiteurs le remarquent, ce
petit tableau, L'Atelier de
l'ingénieur
- il est accroché dans un coin, à
l’ombre d’œuvres bien plus imposantes
- et bien plus ambitieuses.
- J'aurais aimé écrire des
chansons qui ressemblent à ce petit tableau,
- simple et modeste, qui a trouvé
sa juste place
- sans déranger personne, et reste
là, obstinément,
- parmi les autres.
- Mais les chansons sont plus
volatiles,
- elles ne sont pas des objets, tout
juste une idée,
- une intention, légère comme
l'air,
- qui ne s'accroche pas sur un mur,
- elles entrent par une fenêtre et
sortent par une autre,
- comme de nos oreilles.
- Puis elles disparaissent.
*
Le poème
suspendu
C’est un poème
suspendu dans ma
mémoire,
quelques vers
familiers
dont je ne sais
pas la fin,
et le début à
peine…
Est-ce Rimbaud,
Verlaine
ou même un
anonyme ?
C’est un poème
que j’ai lu
je ne sais plus
bien quand
et que j’ai
laissé là, tout seul, dans
un livre ouvert
sur le canapé
ou ailleurs,
pour aller faire
quelque chose
ou simplement
pour voir qui m’appelait, ailleurs.
Mais voilà ce
poème
est resté
suspendu
dans ma mémoire,
inachevé, il
attend que je lise la fin
et referme le
livre, sur lui,
enfin.
Nos vies
ressemblent
à ces poèmes
suspendus
à des bribes de
vers, issus d'un livre
que quelqu’un
aurait laissé ouvert
quelque part,
et qui
attendrait qu’on le
referme.
*
Un été, allongé sur le lit dans ma chambre, je
regardais le ciel par la fenêtre ouverte
et j’ai revu alors ces étés de ma jeunesse, où tu venais chez
moi, quand nous étions amis. On s’aimait juste un peu, c’était sans
importance, les chansons glissaient sous le bras de l’électrophone,
le ciel était immense par-dessus les maisons et l’avenir intact était étincelant.
Un
été, allongé sur le lit de ma chambre,
j’ai revu ces étés où nous allions parfois faire un tour en
campagne, marcher dans un sentier puis nous aimer au coin d’un pré, et
au retour nous arrêter boire
une bière dans un café d’un bled.
Un
été, allongé sur le lit de ma chambre, j’ai revu ces étés
d’alors, étincelants, où tu venais chez moi, quand nous étions amis,
nous aimer un moment, mais sans grande importance, les chansons glissaient
sous le bras de l’électrophone et l’avenir intact était étincelant.
*
Toutes les bonnes choses de ma
vie
je les mettrai dans une boîte
appelée « bons souvenirs »
et les autres, que je n’ai
pas aimées, dans une autre boîte appelée « mauvais souvenirs »,
quant au reste, je le rangerai
dans une boîte appelée « oubli »,
où sera l’essentiel de ma
vie.
*
- J'ai dit assez de choses
-
- Je crois avoir dit assez de choses
- même si ça n'était pas
grand-chose
- même si je n'ai rien dit,
-
- j'ai parlé tout mon soûl
- dans ma jeunesse volubile,
-
- j'ai dit je pense, j'ai dit je
crois,
- j'ai dit toujours, j'ai dit jamais
- j'ai dit assez, j'ai dit encore
- j'ai dit je sais,
j'ai dit moi je,
- j'ai dit, j'ai dit...
-
- Parler à tort et à travers
- pour s'étourdir, pour brasser
l'air,
- « Faire du volume »
disait mon père,
- J'ai dit pour dire de dire,
- pour ainsi dire ne pas se taire!
-
- Je crois avoir dit assez de choses
- même si je n'ai pas dit
grand-chose
- même si je n'ai rien dit...
-
- Il est temps maintenant d'observer
le silence
- je finirai bien par y entendre
quelque chose..
-
-
-
-
- *
-
-
- Le temps
-
- On dit que le temps s'écoule
- oui, mais vers quoi?
-
- Quand j'étais petit
- je démontais les vieux réveils
- sur la table de la cuisine,
- peut-être
je cherchais à voir dedans
- le mystère du temps ?
- Je revois les ressorts et les roues
dentées
- étalés sur la toile cirée
- et le temps arrêté
- que je contemplais ainsi
-
- Le passé je le voyais parfois
- dans
un tiroir de placard
- sous forme de tickets de
rationnement
- de pièces de monnaie trouées
- et de vieilles cartes postales
- où mon père à l'armée
- avait écrit à ma mère :
- Souvenirs du Tyrol, je t'aime!
-
- mon père n'était pas bavard,
- un type
ordinaire en somme,
- et que le temps à emporté
-
- On m'avait appris à lire l'heure
et mesurer le temps
- sur un cadran en carton,
- grossièrement dessiné à la main
- avec des aiguilles
en carton aussi,
- on les faisait tourner devant moi
- et je récitais, les heures, les
demi-heures
- et les quarts d'heures
- Aujourd'hui on ne voit plus
d'aiguilles
- sur des cadrans
- mais des chiffres qui s'affichent
- lumineux
- et il est plus
facilement seize heures cinquante-trois
- que cinq heures moins dix et des
poussières!
-
- on dit que le temps s'écoule
- oui mais vers quoi ?
-
-
-
-
-
-
- *
-
-
J'aimerais
bien oublier.
J'aimerais
bien oublier,
oublier
un tas de choses,
et
terminer mes jours dans
un petit port
d'où
je peux regarder la mer,
et
me consacrer à oublier.
Jusqu'à
me fondre moi-même
certains
soirs dans
le paysage,
comme
une chose, un nuage
un
navire, au loin.
*
J’ai bien
passé l’âge
-
- J’ai bien passé l’âge de me prendre
pour un autre,
- je peux bien me résoudre maintenant à n’être
que moi-même,
- un
homme parmi les autres,
- dans le lot.
- Je m’inquiétais d’un rien,
- Me faisais du souci pour tout,
- Je pensais être, je me prenais pour…
- J’allais en équilibre sur le fil de
l’existence…
- avec tout un barda d’idées et de rêves
idiots, en guise de balancier…
- Les rêves ? Je ne suis même pas
certain qu’ils aient été vraiment les miens… et puis, on ne le
croirait pas mais ça finit par être lourd, les rêves, à la
longue ça pèse comme un fardeau. Les idées aussi, et on n’est
jamais sûr non plus qu’elles soient vraiment les nôtres.
- Mais le temps, un peu de courage et de
lucidité finissent par vous débarrasser de toutes ces pensées
superflues et ces rêves qu’on prenait presque pour soi-même,
tellement ils étaient devenus familiers.
- On les voit aujourd’hui tomber de soi
comme des feuilles, mortes et desséchées.
- Oui, j’ai bien passé l’âge de me prendre pour
un autre, il est à présent plus raisonnable de me résoudre à
n’être que moi-même et apprendre à vivre en ma propre
compagnie.
*
- Un ange
-
- Un ange
- M’est tombé dessus
- Du haut de ciel,
- Du haut des nues
-
- Un bel ange en cheveux
- Au corps voluptueux
- Comme un nuage léger
- Et léger
- Comme le jeune âge
-
- C’était l’ange de la jeunesse
- C’était l’ange des jours heureux…
-
- Il m’a dit : t’en fais pas
- Pour tes pas
- Qui s’alourdissent.
- Il m’a dit : t’en fais pas
- Pour la vieillesse,
-
- Le soleil est encore haut
- Dans le ciel
- Et avant que ta nuit ne tombe
- Il te faut bien finir ta tâche,
-
- Coudre ensemble les jours
- Pour que demain vienne
-
- Et que la mémoire ne manque pas
- À ceux qui viendront.
-
-
- *
-
-
-
-
-
- Le chant de l’oiseau…
-
- J’ai dans l’oreille
- Un chant d’oiseau
- Un oiseau
- Qui s’émerveille
-
- Ce chant d’oiseau
- Et le chant de ton cœur
- C’est pareil
-
- Mais l’entendrai-je encore demain
- Le chant de cet d’oiseau ?
-
- On dit que les murs
- Ont des oreilles,
- Oui, mais que dit-on des tombeaux ?
-
-
- *
-
-
-
-
-
-
Sur
un poème de Ronsard
-
- Comme
on voit sur la branche au moi de mai la rose
- En sa
belle jeunesse en sa première fleur…
- Je la revois encore
- Qui disait son poème
- Debout devant la classe
- Avec son drôle d’accent
- Elle butait parfois
- Sur un mot, une phrase
- Ell’ rougissait un peu
- Puis reprenait le fil
- C’était un long poème
- Il était difficile
- Ces histoires de roses
- Et de première fleur
- Ronsard n’est pas connu
- Je pense aux USA
- Comme
on voit sur la branche au moi de mai la rose…
- Je la revois encore
- Elle était pâle et blonde
- J’étais son amoureux
- Celui du dernier rang
- Elle venait de Seattle
- Apprendre le français
- Nous avions des baisers
- Plus longs que des chansons
- Et des chansons plus longues
- Que la nuit ou le jour
- Comme
on voit sur la branche au moi de mai la rose…
- Nous n’eûmes pas de nuits
- Nous étions des enfants
- Mais z’eûmes des adieux
- Romantiques à la gare…
- Elle grava son nom
- Sur ma première guitare
- Moi j’ai gravé son nom
- Sur ce premier espoir
- Comme
on voit sur la branche….
- Se souvient-elle encore
- Des ces vers si jolis
- Qu’elle récita un jour
- Devant la classe entière
- C’était bien difficile
- Cette histoire de roses
- Elle trébuchait parfois
- Sur un mot une phrase
- S’en souvient-elle encore,
- Et de son amoureux,
- Celui du dernier rang ?
-
-
- *
-
-
-
-
-
- Perdu dans mes pensées
-
- Perdu dans mes pensées
- je n’ai pas vu le temps passer
- et maintenant que le soir tombe
- mes pensées se sont envolées
-
- Perdu dans mes pensées
- je crois bien que j’ai oublié
- d’un peu mieux regarder le monde
- mais ce soir le monde a changé
-
- perdu dans mes pensées
- je n’ai pas retenu l’été
- maintenant
que j’ai les mains vides
- l’hiver va venir les gercer
-
- Perdu dans mes pensées
- t’aurai-je fait assez danser ?
- maintenant que l’orchestre sombre
- il n’est plus temps de t’inviter
-
- perdu dans mes pensées
- trop insouciant j’ai avancé
- ai-je trahi mes camarades ?
- pourtant je les ai tant aimés
-
- perdu dans mes pensées
- je n’ai pas vu la vie passer
- la voici comme le soir tombe
- aux quatre vents éparpillée
-
-
- *
-
-
-
-
-
- Sur les murs…
-
- Quand on était petit
- Sur le chemin de l’école
- On écrivait sur les murs
- Des trucs
- Comme
- Merde
à celui qui le lira
- Ou bien encore
- A
bas l’école
- Ou encore (plus prétentieux)
- Vive
moi !
-
- On écrivait sur les murs
- Parce qu’on avait appris à écrire
- Et que ça ne servait pas encore à
grand-chose
- De savoir écrire
- A part faire nos devoirs !
-
- On écrivait sur le mur
- Avec un bout de brique
- Une craie, ou un cailloux
-
- Vive
Kopa ou Fontaine
- (des joueurs de foot de années cinquante)
-
- On a dessiné des cœurs
- Aussi sur les murs
- Avec des prénoms dedans
- Pour faire rougir
- Les filles !
-
- Ensuite il y a eu moins de place
- Pour écrire sur les murs
- Il fallait trouver un espace libre entre
- Algérie française
- Ou
- OAS vaincra
- Ou le bien pire
- Mort
aux ratons
-
- Puis nous avons grandi
- Et nous avons vu un jour
- Fleurir alors de belles phrases sur nos murs
- Sous
les pavés la plage
- Ou le très beau
- Soyons
raisonnables demandons l’impossible
- Ou encore le très naïf mais magnifique
- Faites
l’amour pas la guerre
!
-
-
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