Les petits vieux
 
Les petits vieux ça meurt
D’un p’tit hoquet du cœur
Un jour sans faire exprès
Un jour qu’ils sont distraits
 
Ils disent ouf et ça y’ est
C’est la gaffe c’est fait
C’est le dernier soupir
Les voilà qui expirent
 
Et le temps qui s’enfuit
Les laisse derrière lui
Et le temps qui guettait
Les laisse bouche bée
 
Pauvres vieux qui pensaient
L’avoir apprivoisé
Le voilà qui les lâche
Et les laisse en carafe
 
Les petits vieux ça meurt
D’un p’tit oubli du cœur
Un jour pour faire une blague
Au chat qui les regarde
 
Et le chat qui rigole
Se dit «Ah ! quel guignol !
Ce pépé, quel Apache !
J’en ris dans mes moustaches »
 
Mais le temps qui s’enfuit
Se cache sous le lit
Mais le temps qui guettait
Laisse tourner le lait
 
Et le vieux chat s’étonne
Dans la chambre où personne
Ne dit plus de mots doux
En lui grattant le cou
 
Les petits vieux ça meurt
D’un p’tit fou rire au cœur
Un jour où le cœur pense
Qu’il est pleine enfance
 
« Oh ! maman ces cerises,
Et ces nègres en chemise !
C’est bon, ça fait des taches
Regarde, j’ai des moustaches ! »
 
Mais le temps qui s’enfuit
Laisse sécher les fruits
Et la corbeille pense
A l’hiver qui s’avance
 
Et les moineaux s’étonnent
Au jardin où personne
Ne vient plus à l’échelle
Leur porter des nouvelles
 
Les petits vieux ça meurt
D’une p’tite absence du cœur
Un jour où le cœur flanche
Du côté où il penche
 
« Oh, maman j’ai si peur
Serre-moi fort sur ton cœur
N’éteins pas la lumière,
Je veux dire ma prière… »
 
Mais le temps qui s’enfuit
Tire le dessus de lit
Mais le temps qui guettait
La lampe de chevet
 
Referme la lumière
 Achève la prière 
De l’enfant qui s’endort
Mains croisées sur le cœur.

 

Pierre Delorme