Illustration: Yang Zhi-guang

Préambule

 Il est forcément aventureux de se lancer à écrire des considérations sur la chanson. Surtout lorsqu’on est un parfait inconnu ou presque, un recalé du succès, et qu’on n’a donc aucune légitimité à faire part de ses « chères pensées » chansonnières.

On court le risque, à chaque coin de phrase, d’être mal compris, de passer pour aigri, jaloux, amer ou simplement prétentieux. Tout peut être interprété de travers et vous faire passer pour un pauvre type. Mais ce risque après tout n’est rien à côté d’un autre bien plus grand encore : celui de n’intéresser personne.

Voilà donc de bonnes raisons de s’y mettre avec ardeur.

 

Pierre Delorme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jadis je cueillais 

Images 

Costume cravate 

Causes extérieures

Rien ne les distingue les uns des autres

Les temps ont changé

Idolâtrie

La chanson est jeune

33-tours et Playlists

M'(h)ériter

L'émotion puis le verbe

Boulez versus Ferré

Soleil couchant

Ne dites pas que je fais de la chanson, je fais de la musique !

Robert Zimmerman joue à Bob Dylan

Couvrez ce silence que je ne saurais entendre !

L'heure de la retraite a sonné

J'ai dit peu de bêtises

Notre plus beau costume

Tomber amoureux d'une chanson

La langue des signes

Le succès n'est pas un dû

De quoi s'inquiéter

La chanson en art moyen

Emotions communes

Chanter dans sa brosse à cheveux

Par bonheur ou par défaut

L'âge venant

Le caveau

Intemporel, oui, mais jusqu’à quand ?

La TSF sur le buffet

Un message de Petrus Felix

Laborieux

La tresse sémantique

Colère ou compassion...

Quoi de neuf  ?

A un chanteur malheureux

Instruction et culture

La chanson de qualité

Les mots, les noms, les notes

Vous avez dit Rimbaud...

Chanter comme un enfant

M. Le grand guitariste !

Le rap mélodique

Je ne regrette rien !

Le robinet d'eau tiède

Robert a encore frappé !

C'est la fête

Les Bataves, le latécoère et le doute

Le piège de la musique

Chanter sans être chanteur

Ca eut payé 

Une éternelle adolescente ?

Nostalgie

Robert

Une autre confidence

Un chanteur hérissé

Tachan touchant

Triste sort du professeur !

Entre l'orgueil et l'humilité 

Canetti et Brassens

La poésie courante

En tramway (nouvel exercice de modestie)

Être artiste 

Enregistrer sans fioritures, à l’os…

Paroliers sans musique

Le cadeau

Dans mon tombeau

Toute ma vie

La musique

Pourquoi sont-ils si nombreux ?

La discothèque idéale

L'âge et les oeuvres

Le prix Charles Cros

J'écris des chansons

Tremplins et concours

Tout le monde ne peut pas être artiste

Les trous de mémoire

Ecouter les galettes en boucle !

Que voulons-nous vraiment ? (suite)

Que voulons-nous vraiment ?

Trois grands

Prof (II)

Parachutiste

La maison en Normandie

Sur la mort d'Allain Leprest

Les auteurs-compositeurs et interprètes 

Chanter en anglais

C'est l'inconscient qui parle ? 

Une affaire de croyance

Populaire et savant...

Les chanteurs ne sont pas des penseurs

Aux vieux amoureux de la chanson à texte

Mouvement

L'authenticité du timbre de voix

D'une émotion à l'autre

La bonne distance

A propos de "Avec le temps"

Le mur

Brassens dans l'autoradio

À la manif

La bonne chanson...

La maison de Mac Orlan

Les intégristes de la chanson

Le capodastre

Le point de vue

Ça me fait penser à...

De la légèreté du public, parfois...

Ateliers d'écriture

Deux phrases de Jean Roger Caussimon

La sainte trilogie

Deux phrases, deux Marcel

Dans un bistrot populaire

Un jeune gars m'a écrit (suite de "Une autre confidence")

La peinture, la musique, la chanson

La guitare et les chanteurs de la Rive-gauche

Une autre confidence

Monument aux morts 

Le pur et le commercial (suite) chanson industrielle et artisanat

Galettes et cuvées

Une leçon d'interprétation

Les 25èmes Victoires de la musique

Le pur et le commercial

La puce et l'éléphant

Les amateurs de chanson

La chanson-pensée

Influences

Les trentenaires gémissants
 
Un paradoxe
 
Frontières
 
Le charme et la boussole
 
Question de limites
 
Les plus belles chansons sont toujours celles de notre jeunesse
 
La voix 
 
Il suffit de passer le pont !  
 
Les collectionneurs
 
A l’ombre de Richard A.
 
La dimension critique
 
Les paroliers « professionnels »
 
Bonne nuit les blaireaux
 
Hommage à Graeme Allwright
 
Prof 
 
Etre drôle
 
Exercice de modestie (Confidence d’un chanteur à texte)    
 
Parler de chanson
 
Guy Béart
 
La chauve-souris
 
Les chansons de Félix
 
L’éternel refrain
 
Le cul entre deux chaises
 
Être à l’heure
 
Une chanson réussie ?
 
Texte ou prétexte ?
 
L’époque dorée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jadis je cueillais

Jadis, je cueillais les chansons comme des fruits sur l'arbre et me gorgeais de leur suc. Les premières étaient sur les branches basses, facile d'accès, mais il m'a fallu monter de plus en plus haut sur mon échelle pour cueillir les suivantes. Aujourd'hui l'arbre ne donne plus beaucoup de fruits et ceux qu'il donne ont de bien pâles saveurs. On dirait qu'il faut les presser bien plus que je l'ai jamais fait auparavant pour réussir à en tirer un peu de suc, un peu de goût tout simplement.

J'aimerais bien grimper encore plus haut, voir d'autres fruits, mais je crois que je suis déjà au faîte de mon arbre.

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Images

Finalement, écrire des chansons n'aura été que la retranscription de quelques images qui m'habitent, elles viennent de l'enfance et de l'adolescence, il y en a un certain nombre et bientôt je crois que je les aurai toutes regardées et retranscrites.

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Costume cravate

Longtemps, j'ai cru que mes chansons devaient "présenter bien". Elles ne sortaient jamais de chez moi autrement qu'en costume-cravate, le cheveu bien peigné, le pli du pantalon impeccable. Il m'a fallu bien du temps pour comprendre que toutes ne devaient pas forcément être bien habillées. Certaines peuvent aussi bien sortir en peignoir, en jean et tee-shirt, ou même en bleu de chauffe, voire très dénudées, presque négligées. C'est une affaire de style.

J'ai bousillé pas mal de chansons en voulant les habiller convenablement. Certaines ne supportaient pas l'habit, elles perdaient leur naturel et semblaient compassées dans ce vêtement que je leur imposais.

Quelques chanteurs de ma génération alignent leurs chansons en beau costume au long de leurs disques. Toutes impeccables, sans rien qui dépasse, que du "beau". Certains se plaisent à dire qu'ils construisent ainsi une œuvre. En fait, leurs chansons ressemblent à une rangée de ministres ou de technocrates qui posent en rang d'oignons pour la photo dans leurs plus beaux atours, en attendant qu'on épingle la rosette de la postérité à leur boutonnière.

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Causes extérieures

Lorsqu'un artiste ne réussit pas à toucher le grand public et reste cantonné à la marge du métier, ses admirateurs (et souvent lui-même) cherchent des causes « extérieures » à cet état de fait. Soit le méchant showbiz l'a tué, soit le grand public ne comprend rien, soit la grande probité de l'artiste l'oblige à résister aux sirènes de la gloire commerciale. J'en passe et des meilleures.

Pourtant, il ne semble pas bien difficile d'imaginer aussi des causes « intérieures » à l'absence de succès auprès du grand public. Parfois cela peut-être une voix assez peu agréable qui dessert l'artiste, ou encore une façon désuète de chanter (en roulant les « r » et en insistant sur les « e » muets comme cela se faisait jadis, par exemple), ou simplement l'obstination à se complaire dans un répertoire poétique « haut perché » mais répétitif et finalement rébarbatif. On peut ajouter, et c'est le plus important, une inspiration mélodique souvent très médiocre. Là aussi, j'en passe et des bien pires.

Que le petit public de ces artistes ignore ces « défauts » qu'il ne voit ni n'entend, est une chose, mais que l’artiste lui-même n'en prenne pas conscience et s'obstine dans une manière qui ne correspond qu'à un air du temps dépassé, est plus embêtant. Vous me direz que s'il prenait conscience de ces lacunes personnelles il pourrait essayer de corriger le tir. Mais conscient ou non de ces manques (et mis à part quelques ego bien trempés, tous les artistes en ont conscience, au moins un peu ), le vrai problème est qu'il faut beaucoup de force et de souplesse pour plier son talent aux exigences de son époque sans se fourvoyer et se trahir pour autant. C'est très, très difficile et réservé aux meilleurs. Un exemple, et non des moindres : Si Bob Dylan en était resté au style folk de ses débuts, il serait sans doute aujourd'hui considéré comme un folk singer doué du début des années soixante, connu des seuls spécialistes. En électrifiant ses chansons et en suivant le son et l'air de son temps, il su créer quelque chose d'inédit, apporter quelque chose de neuf et toucher un très vaste public au-delà de son pays, de sa langue, et au-delà de sa seule génération.

Par choix, ou par incapacité à faire autrement, on peut aussi suivre sa propre « inspiration » sans tenir compte du public et de l'air de son temps (et même rêver d'une reconnaissance posthume*), mais il est alors très déplacé, pour l'artiste comme pour ses admirateurs, de se plaindre de l'absence de succès auprès du grand public.

Pierre Delorme

 

* Un auteur-compositeur inconnu, déjà âgé, écrivait récemment sur un réseau social que Télérama viendrait pleurer sur sa tombe ! Le mythe de l'artiste maudit, une invention de la fin du XIXe siècle, a la vie dure...

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Impression

Le nombre de jeunes personnes qui se lancent dans le métier de la chanson est en expansion constante, comme l'Univers ! On en voit fleurir des flopées ahurissantes dont on ignorerait jusqu'à l’existence s'il n'y avait les réseaux sociaux, sur lesquels ils se manifestent en abondance. On peut même se demander si les réseaux sociaux eux-mêmes ne sont pas l'origine, du moins en partie, de tant de vocations nouvelles.
La plupart de ces inconnus, qui voudraient ne pas le rester, œuvrent dans le domaine de la chanson dite de qualité, sous des formes musicales diverses. Ils sont innombrables, mais il est frappant de constater que rien ne les distingue vraiment les uns des autres, que ce soit sur le plan vocal ou sur le plan de l'écriture et de la composition. On ne voit pas bien pour quelles raisons tel ou tel réussirait à accéder à la célébrité plutôt que tel autre. La qualité de la voix ne semble plus vraiment être un critère... Savoir faire le « show », assurer comme on dit , non plus. La plupart sont assez bons dans cet exercice, mais il faut bien dire que cabotiner n'a jamais été très difficile non plus.... Non, décidément qu'on les trouve tous bons ou tous mauvais, rien ne les distingue plus vraiment. Un tirage au sort, une » loterie du succès », semblerait finalement le plus juste moyen d'en élire certains et de laisser les autres dans l'ombre.

Dans les années soixante-dix, les jeunes chanteurs à « texte » furent également nombreux à se lancer dans l'aventure, mais dans de bien moindres proportions. Avec le recul et en écoutant ce que chacun proposait, voire continue de proposer (pour les plus tenaces), on peut faire le même constat : rien ne les distinguait vraiment les uns des autres.

Lorsqu'il y a pléthore de candidats à une fonction (ici « artiste chanson ») et qu'ils se ressemblent tous plus ou moins, l'impression d'absence de différences entre eux croît avec leur nombre. Plus ils sont nombreux, plus ils se ressemblent. Même s'ils font preuve d'un certain talent, ce talent, pour les mêmes raisons, devient banal. Et les voix nouvelles et singulières n'en sont que plus frappantes, mais elles sont très rares, très rares.

 

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Les temps ont changé

Notre génération de baby-boomers a été dans sa jeunesse la cible privilégiée des marchands de chansons. Nous avions des « idoles », anglo-saxonnes pour la plupart, et parfois leurs caricatures hexagonales. Pour bon nombre d'entre nous les chansons de notre jeunesse sont restées un horizon indépassable. Combien d’entre nous ne considèrent-ils pas que depuis les Beatles, Bob Dylan ou Jimi Hendrix, rien de vraiment nouveau n'a plus été produit ? Pourtant depuis les années cinquante et soixante les temps ont bien changé. Nous prenions alors le temps d'écouter ou regarder certaines émissions, à certaines heures (Salut les Copains, Âge tendre et tête de bois) et nous achetions à grand-peine les disques 45-tours ou 33-tours que nous chérissions comme des trésors. Aujourd'hui, les nouvelles générations (et nous aussi!) sont abreuvés d'un flot incessant de chansons.On ne dit d'ailleurs plus chanson, mais simplement « musique ».

Quand j’exerçais dans un conservatoire, de jeunes ados m'ont expliqué un jour que la musique que je leur faisais jouer les ennuyait et qu'ils voulaient chanter des chansons. Comme j'étais d'accord, ils m'ont apporté le cours suivant un CD de chansons piquées sur le Net et dont ils m'ont dit qu'elles leur plaisaient. Au moment d'en choisir une pour travailler pendant le cours, je me suis aperçu qu'ils ne connaissaient ni les titres, ni les interprètes ou les auteurs... J'ai eu alors l'impression très nette que la chanson se consommait désormais comme la flotte, il suffisait d'ouvrir un robinet à chansons (internet ou radio). Les temps avaient changé... après tout Bob Dylan, l'idole de nos jeunes années, ne l'avait-il pas annoncé ?

 

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Ce que j'aime en vous, c'est moi !

«  Il est beau jeune ou vieux, brillant engagé, sage, philosophe, subtil spirituel. Il est tout ce que j'aime. Il est mon miroir, en fait je n'ai pas très envie de me critiquer ce matin... Je l'aime c'est tout. Je n'ai pas besoin de cette chanson naze... Si cela peut le rendre heureux : j'écouterai sa chanson tous les jours. »

Cette phrase surprenante a été écrite (sur un réseau social) par une fan du chanteur Renaud, dont le retour d'alcoolisme semble fort bien parti sur le plan médiatique.

Quelle phrase ! Pourrait-on trouver ailleurs une meilleure expression de ce qu'est « l'idolâtrie », du moins quand elle concerne les « stars » du show-business ?

Nous passerons sur l’excès des qualités de toutes sortes accordées à la louche au chanteur, pour nous arrêter sur « Il est mon miroir ». Apparemment cette fan se regarde dans son idole comme dans un miroir, et comme elle lui accorde beaucoup de qualités, qu'il est « tout ce qu' [elle]aime », on ne peut voir là qu'une manifestation rigolote et, par procuration, d'un narcissisme bien exacerbé. Ce qu'on aime en son idole, c'est soi. Ce que j'aime en vous, ça n'est plus vous, comme chantait Guy Béart, mais ce que j'aime en vous, c'est moi !

Il existe bien sûr tout une littérature « psy » sur le sentiment amoureux. Aime-t-on vraiment l'autre ou bien est-ce soi-même qu'on aime à travers cet autre ? L'aime-t-on vraiment ou aime-t-on l'aimer, pour mieux s'aimer soi-même ? On pourrait gloser à l'infini sur les abîmes insondables de l'amour, du moins tels qu'ils sont explorés par les psychanalystes, parce qu'on peut aussi aimer simplement sans se poser trop d'inutiles questions ! « Parce qu'au fond les phrases/ ça fait tort à l'extase » (Avec les anges, Alexandre Breffort/ Marguerite Monnot )

Dans le cas des « idoles » du spectacle, du showbiz, la donne est différente. Le rapport est à sens unique, nulle extase partagée. Le fan ne connaît généralement pas personnellement celui ou celle qu'il idolâtre, qui n'est donc qu'une image, comme celle qu'on voit dans un miroir, et plus on aime son idole plus on s'aime soi-même.

Vous ne vous aimez pas, vous êtes mal dans votre peau ? Trouvez une idole et tout ira mieux. Un truc que les gens du showbiz et les petits marioles de la chanson ont compris depuis très longtemps et savent exploiter à merveille.

 

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La chanson est jeune

La chanson est à jamais jeune. C'est un moyen d'expression de la jeunesse. Les grandes chansons, même celles des cadors de la « belle chanson française », ont été écrites alors que leur auteurs avaient à peine passé la trentaine. Ils ont écrit ensuite de belles choses, bien entendu, mais ils ont rarement atteint le niveau d'inspiration qui fut le leur avant d’atteindre l'âge « mûr ».

Bien sûr, on trouvera toujours quelques exemples de formidables chansons écrites sur le tard, mais cela reste l'exception. Oui, la chanson est jeune, et même de plus en plus jeune. Les Américains dans ce domaine, comme dans d'autres, donnent le ton. On considère généralement que Bob Dylan himself, par exemple, a produit ses trois meilleurs albums* avant d'avoir trente ans.

La floraison incessante de jeunes talents propulsés sur un marché en crise ne viendra pas démentir cette impression. La chanson est avant tout une affaire de jeunesse.

La plupart des individus restent attachés aux chansons qui ont marqué leur adolescence, celles qu'ils entendent ensuite ne font que les effleurer, sans véritable incidence sensible. Il y a bien sûr les grands amateurs chansonophiles qui consomment de manière parfois compulsive de la chanson et se réjouissent de la découverte permanente de nouveaux (jeunes) talents. Mais ils sont peu nombreux.

Peut-être cela provient-il du fait que pour écouter et « entendre » une chanson il n'est pas besoin d'une « culture » particulière, de celle qui lentement mûrit au fil du temps et permet d'apprécier des œuvres moins faciles d'accès. Cela pourrait être une première raison à ce phénomène. La chanson ne demande pas d'effort particulier à l'auditeur. Cependant, loin de moi l'idée de considérer la chanson comme « l'enfance de l'art », voire un « art enfantin », puisqu'elle a aussi ses raffinements et ses ambitions, ses beautés, son histoire. Mais, à la différence d'autres formes d'expression, celle-ci garde un caractère dit « populaire » (qui, au regard de la culture dominante peut devenir assez rapidement un caractère « infantile» ou « primaire »). Elle est plus facile d'accès.

La deuxième raison pourrait être que, si la chanson a joué un rôle très important dans la vie des couches populaires, pour les jeunes comme pour les vieux, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, sa diffusion devenue massive à partir des années cinquante, à la radio, puis à la télévision, a changé la donne. Le public « jeune » est devenu la cible privilégiée des marchands de chansons, et ceci explique peut-être cela. A savoir que la chanson, sa pratique et sa consommation, sont devenues avant tout une affaire de jeunesse et qu'à partir d'un certain âge, les nouveautés ne touchent plus guère que les amateurs éclairés du genre, les autres se contentent de celles entendues dans leur jeune temps, ça leur suffit.

Pierre Delorme

* Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited, Blond on Blond

 

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33-tours et playlists

Il y a fort longtemps, jusqu’au milieu des années quarante, on ne pouvait graver qu'une seule chanson (ou œuvre musicale) sur la face d'un disque. Deux chansons par disque, cela faisait assez peu. Les industriels américains ont réussi à mettre au point le procédé permettant de faire figurer plusieurs chansons, ou pièces différentes, sur une même face. Ce fut la naissance (progressive) du 33-tours. Les artistes purent donc commencer à concevoir le disque comme une sorte de récital, avec un début, un milieu, une fin, bref, à « penser » l'ordre dans lequel ils souhaitaient donner à entendre leurs chansons. Généralement ce choix faisait l'objet d'un soin minutieux. Aujourd’hui, à l'ère des enregistrements numériques et de la dématérialisation des supports, les chansons sont le plus souvent vendues à l'unité. Les anciens enregistrements de l’époque « analogique » sont proposés à la découpe... Cette conception ordonnée d'un disque 33-tours, à laquelle il faut ajouter la réalisation de la pochette dont la grande dimension permettait l'expression et la recherche graphiques, a maintenant disparu.

Toutefois, par un curieux retour des choses les divers sites consacrés à l'écoute et à la vente de la musique, le plus souvent des chansons, proposent des applications qui permettent à chacun de concocter lui-même sa propre playlist, avec les chansons d'un même artiste ou avec celles d’artistes différents. C'est une façon de prolonger, ou renouer avec, la conception du 33-tours de jadis. De la même manière, les chansons sont choisies et présentées regroupées dans un certain ordre. Simplement le choix « minutieux » de cet ordre est passé de l'artiste (ou son producteur) à celui qui écoute, ou « consomme ».

On ne peut s'empêcher de voir là un écho à un phénomène plus général qui fait passer une activité artistique jusque-là réservée aux seuls « professionnels » à une activité (notamment en ce qui concerne l'enregistrement) aujourd'hui accessible à tous. On peut considérer, à bien des égards, que la frontière entre le monde professionnel et celui des amateurs s’estompe, au plan de la qualité technique notamment. La frontière e ntre les producteurs et les consommateurs semble aussi devenir plus « poreuse ».On peut se demander si nous ne sommes pas en train de passer d'un mode de consommation passif à un autre plus actif.  Une consommation active qui inclurait, pour un grand nombre de jeunes gens, aussi bien l'écoute que la composition de ses propres chansons, clonées à partir des modèles divers et variés proposés par le marché. Comme si, du moins pour les plus intéressés par la chose, la consommation se transformait en participation active. La ligne de démarcation entre ces deux mondes, production et consommation, forme aujourd'hui un cercle où chacun se positionne selon son rapport, plus ou moins actif/passif, à la chanson.

Écrire ses propres chansons pourrait n'être qu'une nouvelle forme particulière de la consommation de ce genre musical en général. Une caractéristique de notre époque.

 

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M(h)ériter

La petite foule des artistes qui restent dans l'ombre a ses admirateurs fervents. Ces derniers s'indignent souvent dans leur prose du sort, injuste à leurs yeux, réservé à ceux qu'ils aiment. La disparition récente et très médiatisée de Michel Delpech, aimable chanteur de variétés des années soixante-dix, a provoqué la colère de certains de ces amateurs de chanson. Pourquoi autant de lumière sur un artiste somme toute assez banal, alors que tant d'autres mériteraient de sortir de l'ombre, écrivait en substance l'un d'entre eux ?

Mériteraient  ? Mais qui le mérite ? Le problème du mérite, c'est qu'il est comme la médaille du même nom, il ne vient pas d'un décret tombé du Ciel ou encore d'une sorte de tribunal naturel qui rendrait la justice suprême. Qui mérite ou qui ne mérite pas, certaines personnes en décident, selon des critères plus ou moins arbitraires, plus ou moins vagues. Tout le problème est là d’ailleurs : qui mérite ? Et qui décide de qui mérite de mériter? Le nombre de places au soleil étant limité, même les amateurs de « chanson de qualité » en viendraient rapidement aux mains avant de se mettre d'accord sur cette question s'ils avaient le pouvoir d'en décider.

Comme bien d'autres, je suis très sensible à la chanson, mais combien de fois ne me suis-je pas trouvé surpris d'entendre des aficionados de telle ou tel réclamer sa « sortie de l'ombre » alors qu'une simple écoute de la voix et des chansons de l’artiste en question, et son absence criante d'originalité, me plongeaient dans des abîmes de perplexité... Tout cela est très subjectif.

Bien sûr, ce qu'on appelait jadis la « variété » est souvent très médiocre et confondant de niaiserie, mais cela ne veut pas dire pour autant que tous ceux qui chantent dans la « marge », hors de cette niaiserie, c'est-à-dire avec plus d'ambition au niveau des « paroles », ont forcément suffisamment de talent pour susciter la reconnaissance du public. Devenir un Delpech n'est pas donné à tout le monde, mais devenir un grand artiste, tel Brel ou Ferré, ne l'est pas non plus. Ce sont deux catégories différentes, avec des critères d'élection et de reconnaissance particuliers à chacune d'elle.

Non, la question du mérite reste très épineuse, car subjective, et, à tout prendre, plutôt que « mériter » vaut-il mieux hériter. Ce ne sont pas les rejetons Gainsbourg, Dutronc ou Chedid* qui viendront vous dire le contraire. Ajoutez ici les noms que vous voudrez, la liste est longue.

*Dans une des nombreuses interviews récentes de la « famille » Chedid, Louis (le père) expliqua que lorsque M (le fils) avait émis le désir de jouer de la guitare, il lui avait dit : « D'accord, mais à condition que tu sois le meilleur ! ». Mission accomplie semblait dire le sourire béat mais modeste du fils, M, qui ne fut donc pas maudit. Le meilleur à la guitare... M ? C'est bien vrai, à côté les Sylvain Luc ou Pat Methenny font bien pâle figure. Ce n'est pas son ami, le fils Dutronc, le nouveau Django Reinhardt, qui prétendra le contraire.

 

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L'émotion puis le verbe

« Au commencement n'était pas le verbe, au commencement était l'émotion », cette citation de Louis-Ferdinand Céline est demeurée célèbre, comme le style « émotif » qu'il a inventé en écrivant ses romans. En regardant les choses de ce point de vue, on peut se demander si le problème du renouvellement du public de la « chanson de parole(s) » et la faiblesse de son audience ne viennent pas justement du fait qu'elle compte avant tout, voire uniquement, sur son verbe pour toucher le public en oubliant qu' « au commencement était l'émotion ».

Un bon texte ne peut à lui seul faire une bonne chanson, il faut que le son, le rythme, la musique, y soient. Sinon, le rapport à la chanson n'est plus qu'un rapport au langage, à l'écriture, un rapport « intellectuel ». La chanson qui ne compte que sur son verbe s'adresse à l'intelligence de l'auditeur avant de s'adresser à sa sensibilité, son émotion.

Un internaute m'a écrit un jour que si un texte de chanson était bon, la musique lui importait peu. Pourquoi pas ? Mais l'émotion première que peut procurer une chanson, c'est bien l'émotion du son, du rythme, de la sonorité de la voix et celle des mots, bien avant leur signification. Elle précède le verbe. C'est l'émotion, plus ou moins intense, que cherche tout un chacun dans les chansons qu'il entend ou écoute. Ce que raconte le texte ne peut être pris en compte que dans un deuxième temps. Georges Brassens lui-même considérait que le public avait goûté les textes de ses chansons après avoir été séduit par la musique. Les chanteurs de paroles d'aujourd'hui considèrent trop souvent qu'un verbe de qualité peut permettre de « négliger » un peu la musique et le rythme.

Bien sûr, quand on entend le « son » d'une chanson qui nous touche, on entend aussi des mots, qui ne sont pas que des sonorités, il y a une sorte de sens flottant (pas forcément exact d’ailleurs) qui se mêle à la mélodie, à son rythme et ses intervalles. De la même manière l'amateur de « chanson à texte » entend forcément aussi la musique, même s'il prétend ne pas s'y intéresser, quand il concentre toute son attention sur les paroles. Cependant, si ce type de chanson « à texte » entend renouveler son public vieillissant et surtout l'élargir, elle devra chercher son « style émotif » et se pencher sur tout ce qui précède le verbe, aussi bien la mélodie que la sonorité des mots et la voix, auxquels vient s'ajouter aujourd'hui l'image.

Finalement, on devrait peut-être écrire les chansons comme si on voulait séduire un public qui ignore la langue qu'on utilise. Ce qui n'empêcherait pas d’écrire de beaux textes, mais obligerait à les considérer sous un autre angle et à ne pas mettre l'accent uniquement sur leur qualité et en faire le seul argument d'une chanson.

 

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Boulez versus Ferré

A l'occasion de la mort de Pierre Boulez, grand musicien à la personnalité controversée, les « comiques » de télévision, dans une émission célèbre, se sont répandus en boutades imbéciles concernant sa musique (dite contemporaine). Commentaires qui n'étaient pas sans rappeler ceux que suscitèrent les œuvres de Picasso en leur temps, ou encore, plus tard, ceux qu'on entendit à la suite des films de Jean-Luc Godard.

La culture populaire, représentée ici (très mal ) par ces comiques médiatiques, demeure très révérencieuse devant la culture dominante à la condition qu'elle soit légitimée par quelques siècles d'existence ou bien soit conservatrice et sans audace. On veut bien « du » Vivaldi, « du » Mozart, ça c'est de la musique, mais pas György Ligeti, par exemple, ça n'est pas de la musique.

Il faut bien dire que de son côté la culture dominante, ou savante, regarde de haut la culture populaire Culture populaire à laquelle appartient la chanson, on le sait, au grand dam des amateurs de chanson à texte et de certains de ses pratiquants qui voudraient qu'elle soit reconnue comme un art majeur.

Léo Ferré, grand auteur de chansons et grand interprète, a essayé de rapprocher le populaire et le savant, ou plutôt une idée du « savant » telle qu'elle peut avoir cours dans la culture populaire.

Il a écrit des mots très durs sur Boulez, et à travers lui sur la musique dite contemporaine. « La musique dans la rue » hurlait-il en gesticulant avec sa baguette devant des musiciens qu'il pensait diriger, mais qui en fait étaient complémentent perdus et naviguaient au « radar » (les témoignages sont nombreux). Peu importe son absence de technique pour diriger (c'est un métier qui s'apprend) mais sans doute avait-il perdu de vue que les harmonies qu'il utilisait lui-même pour composer ses chansons et ses arrangements, avaient commencé par écorcher les oreilles des mélomanes, à peine un siècle plus tôt. Elles avaient été imposées par des novateurs qui furent moqués. Comme lui-même brocardait les « contemporains ».

Bref, Ferré a écrit de très belles chansons, c'est le principal. Il s'agissait simplement de dire une nouvelle fois ici les difficultés de communication entre une culture dite savante et une culture dite populaire, qui d'une certaine manière se « méprisent », ou du moins se mésestiment, l'une l'autre. Et pour faire passer la chanson, fut-elle de qualité, de la deuxième à la première catégorie, il y a du boulot, beaucoup de boulot...

 

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Soleil couchant

J'aime bien chanter les chansons de ma jeunesse, des chansons qui me semblent dater d'hier tant elles ne m'ont jamais quitté depuis que je les ai découvertes, à l'adolescence. Elles accompagnent ma vie, discrètement. Cependant, il se trouve toujours dans le public quelqu'un qui les avait oubliées dans un coin de sa mémoire et qui, les réentendant soudain comme on redécouvre des objets de son enfance dans le grenier de la maison familiale, vient me dire à la fin du spectacle:  « Eh bien, ça ne nous rajeunit pas! ». Le temps de ces quelques mots, voilà que je parcours à la vitesse grand V toutes les années qui m'ont mené jusque-ici, de la même manière qu'on voit, paraît-il, sa vie défiler à l'instant de mourir. Hier s'éloigne ainsi terriblement, et, comme le soleil couchant, disparaît derrière l'horizon. J'observe alors, comme si c'était pour la première fois, la fine couche de poussière qui recouvre désormais la patine dorée de ces chansons.

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Ne dites pas que je fais de la chanson, je fais de la musique !

 

J'ai travaillé longtemps dans un conservatoire où l'on enseigne la chanson. Les enseignants dans cette discipline, récente en ces lieux, se recrutent surtout parmi les musiciens et profs de musique que la chanson intéresse. Des vocalistes, des accompagnateurs, des arrangeurs, des pianistes et des guitaristes, mais peu d'auteurs, ou même pas du tout. Rien de bien étonnant à ça. La chanson semble souvent n'être plus qu'une affaire de « musique ». Les chanteurs, célèbres ou inconnus, disent d'ailleurs qu'ils font de la musique plutôt que des chansons.

Les élèves qui me présentaient une nouvelle chanson qu'ils venaient de composer  (ils ne disent jamais écrire, mais composer, et non pas « chanson » mais « compo ») me donnaient généralement force détails sur l'arrangement qu'ils imaginaient. Ils me jouaient alors (souvent) des mélodies et des paroles ni faites ni à faire, très embryonnaires, mais suffisantes dans leur esprit pour être un point de départ et prendre leur sens une fois « arrangées ».

Que le texte passe au second plan, pourquoi pas ? Mais si la mélodie est aussi réduite à la portion congrue, que reste-t-il de l'intention de « faire une chanson » ? Les paroles données sur une certaine mélodie, ou une mélodie donnée à travers certaines paroles, ne sont plus qu'un prétexte hâtif, une base sur laquelle « bidouiller » des sons, qui de leur côté n'auraient pas de sens sans cette base ! Tout se tient.

Pourquoi pas ? Les enseignants évoqués plus haut quand ils parlent d'une chanson parlent souvent en premier lieu des problèmes musicaux, de la mise en place rythmique, de l'harmonie, de l'orchestration, un peu de l'interprétation parfois, mais la compréhension des mots, et l'impression qu'ils peuvent laisser, restent aléatoires, elles sont réduites à une simple question de sensibilité personnelle, de couleur. Elles semblent accessoires.

La chanson, vue sous cet angle, n'est plus qu'une occasion de produire et de « goupiller » des sons. C'est une manière de faire de la  musique quand même, malgré l'insuffisance des qualités qui permettraient de jouer de la musique instrumentale sans le prétexte des paroles pour dissimuler un manque de consistance.

Pour cette raison les chansons qui osent n'être que des chansons (accompagnées d'un simple piano ou d'une guitare) sont souvent dénigrées par ceux qui n'y voient qu'un support à « arrangement », le plus souvent à un empilement de sons flatteurs auquel la voix sert de caution, de béquille, et qui sans elle ne tiendrait pas le coup en tant que musique instrumentale.

A cela s'ajoute aujourd'hui les images filmées, les clips, qui sont une occasion de plus de ne pas approfondir le travail de ce qui constituait jusqu'à présent l'essentiel d'une chanson, à savoir sa mélodie et ses paroles. Ce ne sont plus que des éléments parmi d'autres et qui, à parts égales, forment ensemble une « chanson » qui se regarde autant qu'elle s'écoute, souvent sans dire grand-chose. 

Pierre Delorme

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Robert Zimmerman joue à Bob Dylan

 

« Complexe, le bonhomme, mais génial.Quand on revoit les extraits de "Dont Look Back", dans le film de Scorsese, c'est étonnant de voir Bob écrire à jet continu sur sa machine à écrire (inspiration divine?), tandis que Joan joue et chante dans la chambre d'hôtel. » 

C'est que m'a écrit un gars alors que nous échangions à propos de No Direction Home, un montage de documents d'archives réalisé par Martin Scorcese à la demande du producteur de Bob Dylan.

Mon interlocuteur a vu dans cette séquence, extraite de « Don't look back* , la preuve du « génie » du jeune Robert Zimmerman, alias Bob Dylan, puisqu'il écrit « à jet continu  sur sa machine à écrire ». 

Pourtant, on peut aussi imaginer que se sachant filmé la jeune idole américaine tapait sur sa machine à écrire des suites de lettres sans aucun sens, simplement pour faire comme s'il écrivait à « jet continu » suivant le miracle d'une inspiration aussi fiévreuse que géniale ( « divine » dit mon interlocuteur avec un sourire). Pourquoi pas ?

Bien sûr, la mise en scène est renforcée par la présence de Joan Baez (le couple Dylan/Baez est mythique à l'époque pour les ados) qui chante, assise dans la pièce sur un canapé ou un lit. Tous les ingrédients sont en place pour les fantasmes des teenagers du monde occidental, toujours avides de  « magie » et devenus la cible privilégié du marketing américain. Belle image, bien sûr...

Cela dit, rien ne prouve que Bob n'écrivait pas vraiment quelque chose, par exemple une page de cette espèce de prose imbuvable, vaguement inspirée de l'écriture automatique des surréalistes, qu'il semblait affectionner à l'époque. Bref, il écrivait peut-être tout ce qui lui passait par la tête à ce moment. Nous eûmes droit, au dos des pochettes de ses albums, à des échantillons de cette prose que nous déchiffrions à grand peine comme des textes sacrés ! 

Robert Zimmerman est un malin qui a su (et qui sait encore ?) parfaitement contrôler son image de « génie » boudeur et peu bavard, s'exprimant par sentences plus ou moins énigmatiques, du moins à cette époque, au début des sixties. Et comme nous avions besoin de mythes et de croyances ( quand on est ado, quoi de plus normal, il faut bien rêver un peu) sa petite affaire a plutôt bien marché.

Il demeure que Robert Zimmerman avait trouvé à l'époque une façon de contrefaire sa voix de manière séduisante, le timbre était attirant (à la fois jeune et vieux, enfantin et adulte, masculin et féminin) et ses mélodies (parfois piquées, il faut bien le dire) très réussies. A cela, ajoutons des accompagnements parfois approximatifs et brouillons, mais une chouette sonorité folk/rock . Le tour était joué. C'est tout, et c'est déjà pas mal.

Mais l'âge venu, dans cette scène où ce « bonhomme, complexe mais génial » tape (donc, peut-être n'importe quoi)  fiévreusement sur sa machine écrire, sous la caméra de Pennbaker,  pour soigner son image de poète inspiré, j'ai bien du mal aujourd’hui à voir autre chose que Robert Zimmerman jouant à Bob Dylan.

Et passé la soixantaine, on n'a plus forcément envie de jouer avec lui. Peut-être même lui non plus, d'ailleurs !

Pierre Delorme

 

 

*Dont Look Back est un film documentaire de D.A. Pennebaker sorti en 1967 et retraçant principalement la tournée de Bob Dylan au Royaume-Uni en 1965. (Wikipédia)

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Couvrez ce silence que je ne saurais entendre !

 

Si l'on considère que le silence est une page blanche, la conception de l’environnement sonore d'une chanson (autrefois appelé son arrangement et aujourd'hui sa  production ) consiste le plus souvent à remplir intégralement cette « page blanche » et à faire disparaître les moindres interstices où sa blancheur pourrait encore apparaître.

Les peintres classiques ont travaillé de cette manière, masquant toute la surface de la toile avec des couleurs, mais en créant de nouveaux « espaces » grâce à l'intensité plus ou moins forte des tons utilisés, de la transparence jusqu'à la plus grande opacité.

La peinture chinoise, comme parfois la pratique de l'aquarelle, joue au contraire avec le support en laissant vierges certaines zones. Les artistes traditionnels chinois composent leurs paysages, ou d'autres sujets, en utilisant ces « vides » qui donnent de la profondeur aux motifs peints ou simplement aux traits. Ils font partie de la composition.

Ces vides ont leur équivalent en musique, c'est le silence. Les compositeurs de musique savante en jouent, les jazzmen aussi, seuls les chanteurs semblent vouloir faire reposer leurs chansons sur une épaisse couche de sons. Dans le meilleur des cas (notamment quand il s'agit d'un arrangement composé par un musicien compétent) la sensation d'espace et de perspective viendra de l'intensité des sons utilisés, des nuances, comme celles qu'on peut l'observer dans les toiles des maîtres des siècles passés. Mais le plus souvent, le remplissage systématique du silence ne donne aucune perspective, aucun relief, seulement une « image » plate, certes faite de sons agréables, mais sans réelle profondeur.*

Dans la chanson (généralement) pas de « traits » qui se dessinent comme des arabesques sur un silence à peine habillé d'un souffle de contrebasse et d'un glissement soyeux de cordes ou de peau, point de respiration. Point de ces nuances pianissimo où la musique suspend son vol. Point de nuances musicales tout simplement, mais un mur de sons d'intensité égale tout du long, le plus opaque possible, sur lequel surnage ou se pavane une voix plus ou moins puissante, plus ou moins travaillée.  

La chanson aurait-elle peur du vide, du silence et des nuances musicales ? J'entends déjà les bons esprits se gausser et dire que la plupart des chansons ne peuvent avoir peur du vide, car elles sont  le « vide » ! Mais pour préciser et « nuancer » à mon tour je dirais que même les chansons dont les paroles contiennent des raffinements et des subtilités souffrent, à mon avis, de cette affection. Si les paroles jouent parfois avec le « non-dit », le « entre les lignes », la musique à laquelle elles sont mêlées ne donne que rarement à entendre « entre les notes », à deviner le silence initial. Un silence qu'on ne devrait pourtant jamais oublier. Mais après tout la chanson n'est pas une peinture chinoise et je commence à me demander si mon point de vue sur l'environnement sonore des chansons n'est pas un peu chinois.

 

Pierre Delorme

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Au boulot !

 

L'heure de la retraite a sonné. Les auteurs-compositeurs en herbe de l’École nationale de musique (ENM) de Villeurbanne devront se passer de ma présence, ce qui devrait leur être plus facile qu'à moi, je veux dire plus facile pour eux de se passer de moi, que pour moi de me passer d'eux. En effet, j'ai vraiment appris beaucoup de choses à leur contact, et je leur sais gré de tout ce qu'ils m'ont appris, même s'ils ne le savaient pas.

Finalement, il m'aura fallu bien années d'enseignement pour commencer à avoir une très vague et très minuscule idée de ce que j'enseignais vraiment, à savoir « la chanson ».

Certains amateurs passionnés de chanson sont prêts à vous expliquer le pourquoi du comment des chansons, les bonnes comme les mauvaises. Demandez-leur ce qu'est une chanson, ils vous le diront illico, quitte à emboîter les ronds dans les carrés. J'en ai même rencontré un, il y a quelques années, qui m'a expliqué (sans rire) ce que je faisais en écrivant des chansons, alors que je ne le savais pas moi-même !Je ne le sais toujours pas d'ailleurs, et je ne sais pas au juste ce qu'est une chanson, ni pourquoi certaines produisent autant d'effet sur nous.

Les élèves arrivent généralement avec des questions, formulées ou non, mais des questions qu'on ne s'est pas forcément posées soi-même. Si on se les pose à son tour, on peut même espérer faire un peu de progrès, à la condition de savoir les entendre et de ne pas croire (et faire croire aux élèves !) qu'on connaît forcément la réponse. C'est pour cela que je me demande qui a finalement le plus appris tout au long de ces années, eux ou moi ?

La présence de la chanson dans les conservatoires (et encore, pas dans tous!) est assez récente. Les profs dans mon genre se sont formés sur le tas, ils sont autodidactes, et devenir prof aura été une manière d'aller enfin dans une école de musique! Enseigner ce que l'on a appris plus ou moins seul, petit à petit en tâtonnant,  nous fait mesurer la somme de nos ignorances, de nos lacunes. Il faut les combler dare-dare, comme on construirait un pont au fur et à mesure de ses pas pour franchir un vertigineux abîme, afin de ne pas se retrouver comme un personnage de dessin animé qui s'aperçoit soudain qu'il continue de courir au-dessus du vide !

De même que je ne sais pas trop ni comment ni pourquoi j'écris encore des chansons, je ne sais pas si j'aurai enseigné quelque chose de valable à mes élèves, mais une fois encore, merci à eux, car j'ai beaucoup appris.

Et maintenant, je retourne à mes chères études, nanti de mon nouveau bagage, pour essayer de comprendre enfin ce qu'est une chanson.

 

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Mémoire d'un (âne) professeur

 

J'ai dit peu de bêtises dans ma vie, mais je n'ai aucun mérite car je n'étais pas très bavard. En revanche j'en ai pensé beaucoup, mais fort heureusement les bêtises qu'on pense ne s'entendent pas.

J'ai dû penser aussi pas mal d'âneries sur la chanson, un genre qui m'occupe depuis bien des années déjà. Au point que j'ai fini par l’« enseigner », une occasion rêver de pouvoir dire de vive voix les bêtises que je pensais habituellement tout bas. Avec l'avantage de ne pas courir le risque d'être contredit, ou si peu, puisque le fait d'être professeur confère une manière d'autorité intellectuelle à laquelle le plus scrupuleux des pédagogues finit par céder, tant la position est gratifiante et confortable. J'ai donc dit tout mon soûl de bêtises sur la chanson, avec une grande sincérité, convaincu de détenir des vérités premières.

Ça n'est que dans l’intimité des doutes qui me tiennent généralement lieu de pensée, que je pouvais sourire de bon cœur, puisqu’il me faut bien reconnaître que je n'y connais pas grand-chose et que je n'en sais pas plus qu'au premier jour, celui où une chanson m'avait ému. La sincérité de cette émotion est d'ailleurs la seule certitude que j'aie sur le sujet. Et encore, peut-être ne faut-il pas gratter trop loin, de peur de ne plus être sûr de rien. Mais enfin, les émotions, même si elles peuvent intéresser un psychanalyste, semblent rester spontanées et sincères, on doit même pouvoir s'y fier. Elles surgissent dans notre vie et se passent de mots . D'ailleurs, dès qu'on essaie d'y mettre des mots, on commence à dire des bêtises. Dont acte, je la ferme.

 

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Notre plus beau costume

 

Chacun, lorsqu'on lui demande quels sont les livres, les films, les chansons, qui l'ont marqué le plus ou qu'il a le plus aimés, donne alors quelques titres généralement assez valorisants. De la même manière qu'on montrera une photo de soi où l'on est à son avantage, plutôt que banal et moche, c'est bien normal.

Les œuvres que l'on cite alors sont effectivement importantes pour nous, ou du moins le croit-on. Qu'elles nous aient marqués, vraiment ou non, n'est d’ailleurs pas le problème. Le problème est que l'on oublie dans cette liste  pas mal « d’œuvres » qui nous ont « touché », même à notre insu,  et qu'il ne nous viendrait pas à l'idée de citer, tant y faire référence semble peu flatteur.

Il est plus facile de dire que l'on a été très sensible à la lecture de Marcel Proust, Stendhal ou Albert Camus (que l'on apprécie sans doute vraiment aussi), plutôt que de faire référence à Gérard de Villiers ou Guillaume Musso, par exemple... C'est la même chose pour les films ou les chansons. Pourtant, nous sommes tout autant faits de chefs-d’œuvre que de productions très médiocres. Mais quand on nous demande ce que nous aimons en matière de culture, nous prenons la pose, dans notre plus beau costume. C'est vrai, que l'on se fait rarement photographier en peignoir ou en slip.

 

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Tomber amoureux d'une chanson

 

Longtemps, je n'ai pas su, ou pas osé, mettre un nom sur le sentiment très doux que me procuraient certaines chansons, au point de vouloir les écouter sans cesse et de ne plus voir la réalité qu'à travers elles. Je dis chansons au pluriel, mais il n'y en avait qu'une seule à la fois bien sûr, la force du sentiment pour la nouvelle venue effaçant la précédente. Mais toujours, je gardais secrète cette attirance irrésistible.

Puis un jour, j'ai entendu une émission à la radio dans laquelle Georges Brassens expliquait qu'il pouvait rester pendant des jours amoureux d'une musique. J'ai donc compris qu'on avait le droit d'être amoureux d'une chanson, sans être ridicule, puisque Georges Brassens lui-même n'avait pas peur d'affirmer qu'il l'était parfois.

Il est difficile de dire de quoi au juste on tombe amoureux quand il s'agit d'une chanson : Est-ce de sa mélodie, de ses paroles, de la voix qui la chante, des instruments qui l'accompagnent ? C'est un peu tout ça à la fois, sans doute. Lorsqu'on est amoureux d'une personne, c'est la même chose, on est amoureux de la personne tout entière, de sa présence, de ses gestes, sa manière d'être. 

On peut avoir des réponses différentes à la question de savoir si la musique est plus importante que les paroles, ou bien l'inverse, mais une chanson qui nous arrive, c'est avant un tout aussi un genre de présence, un son. Telle voix, avec tels instruments et telle inflexion mélodique sur telle syllabe, tel mot. Le tout nous est donné en bloc, à tel moment. Le plaisir que l'on y devine semble nous saisir soudainement et réveiller en nous quelque chose qui semblait lointain, quelque chose que l'on croit avoir toujours connu sans le connaître pourtant, qui a peut-être à voir avec l'enfance, ou pas. C'est une fenêtre qui s'ouvre sur un monde qui était là, à côté, et qu'on ne voyait pas. Un monde qui appartient à l'ordre de l'émotion et non pas de la réflexion.

Souvent, je suis tombé amoureux d'une chanson, alors que je débarquais, ou qu'elle me tombait dessus, en son milieu, sans que j'aie entendu le début...  comme une personne qu'on distingue soudain, parmi les autres, là, sans origine ni passé et qui vous attire irrésistiblement. C'est comme une irruption dans l'existence, un monde qui s'ouvre. Et se refermera, ensuite.

 

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La langue des signes

La chanson dite de « qualité », celle issue de la tradition des chansons « à texte » de la rive-gauche parisienne, bat de l'aile. Elle est peut-être même carrément moribonde, tant son auditoire est vieillissant. Les jeunes artistes « de qualité » dont c'est l'unique public devraient d'ailleurs commencer à s'en inquiéter. D'ici une dizaine d'années ce public-là aura disparu, ou bien n'aura plus ni la force ni le goût de se déplacer jusqu’à un concert. Pour qui chanteront alors ces « ex-jeunes » chanteurs ? On peut se le demander.

La chanson qu'on appelle aujourd'hui « de qualité » s'éteindra sous cette forme, comme son public, et comme tout le reste. Ce qui ne disparaîtra pas, c'est la capacité à être ému par des chansons, et peu importe le type de chanson.

Depuis le temps que les langues humaines meurent et se transforment, on voit bien  qu'elles sont périssables. Ne demeure que l'aptitude humaine au langage. Dans le domaine qui nous occupe, c'est l'aptitude à vibrer au chant et aux chansons qui demeure intact à travers les âges, non les chansons elles-mêmes ou la façon de les faire.

Distinguer celles qu'affectionne ce public de baby-boomers sur le retour en les proclamant de « qualité » ou «  de parole », c'est signifier implicitement que la qualité et la parole sont absentes d'un tas d'autres chansons de style plus récent. Est-ce bien raisonnable ? Pourrait-on affirmer que la langue française du XIXe siècle avait plus de qualité que celle d'aujourd'hui ? On rencontre, c'est vrai,  pas mal de gens (des « vieux » généralement) qui pensent que le français parlé et écrit en 2014 est moins performant que celui parlé et écrit « avant »,  ne serait-ce qu'en 1950, par exemple. C'est l'éternelle rengaine de l'appauvrissement de la langue d'aujourd'hui par rapport à celle d'hier. Le phénomène n'est pas nouveau, et depuis le temps que cette pauvre langue française s'appauvrit, on ne devrait pas être loin de s'exprimer uniquement par signes, accompagnés de quelques borborygmes*. En fait, la langue évolue en permanence, mais nous semblons évoluer moins vite, « attachés » que nous sommes à certaines formes apprises dans l'enfance. La langue s'adapte aux contextes et la vie d'aujourd'hui n'est plus la même qu'en 1950, donc la langue aussi. Elle est vivante, elle nous traverse, nous la parlons autant qu'elle parle à notre place, c'est donc un objet d'enjeu et de « passions ». Elle est produite en permanence par la société pour répondre à ses besoins et elle transforme la société à son tour.  En ce qui concerne la chanson, et tout autre forme d'expression d'ailleurs, c'est exactement la même chose. Et nous restons le plus souvent attachés aux formes de chanson qui ont marqué notre jeunesse, pour le meilleur comme pour le pire.

  

*Borborygmes, c'est ce à quoi les vieux aficionados de la « qualité » résument le plus souvent les paroles des chansons qu'ils considèrent sans qualité, et dont ils pensent qu'elles sont destinées uniquement à faire « se trémousser les popotins ».  Car chez l'amateur de « chansons à texte » tout ce qui ne relève pas de cette catégorie, fait partie des chansons à danser, c'est-à-dire remuer certaine partie de notre anatomie.

 

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Le succès n'est pas un dû

Face à l'obstination de certains « vieux » chanteurs (et leurs aficionados) à se considérer comme  floués par le système économique du méchant showbiz, il va devenir urgent de préciser aux jeunes gens, de plus en plus nombreux à se lancer dans l'aventure de la chanson, que le succès n'est pas un dû.

Aussi haute soit l'opinion que l'on a de soi-même et de ses œuvres, il ne faut pas oublier que, d'une certaine manière, c'est quand même le public qui choisit ce qui lui plaît et qu'il n'est pas composé seulement d'abrutis qui gobent tout ce que leur donnent à avaler les vilains médias. D'ailleurs, le grand méchant showbiz le sait bien, qui ne réussit pas toutes ses opérations, d'une part, et qui se fout bien, d'autre part, de produire n'importe quel genre de chanteur, pourvu que cela lui rapporte.

Les chanteurs poètes à petite carrière, qui ont passé la soixantaine aujourd'hui et qui hurlent à l'injustice et au mépris dans lequel on les tient, ont largement eu le temps de chanter ici ou là et de se faire entendre. Si un public plus large avait suivi, les plébiscitant haut et fort, le showbiz les aurait vendus aussi bien qu' il vend de la chanson de consommation. Le showbiz s'en fout, il est capable de récupérer n'importe quoi et n'importe qui, sans états d'âme. Il veut vendre, c'est tout.

Seulement voilà, le commun des mortels s'emmerde aux chansons de ces chanteurs poètes, elles leur tombent de l'oreille, comme le livre de poésie de René Char leur tombe des mains, ou comme le film chinois sous-titré les accable. Ces chanteurs-là ont pensé prendre la suite des Trenet, Brel, Brassens ou Ferré, à qui on les comparait,  mais ils ont oublié une chose : ces grands artistes populaires chantaient de la poésie, de belles paroles certes, mais avec de formidables mélodies qui accrochaient l'oreille. C'est par la musique que le public est arrivé jusqu’à la finesse de leurs textes. Pour faire une bonne chanson, qui touche le quidam, un texte, aussi poétique soit-il, ne suffit pas, il faut que la musique y soit, la mélodie surtout*.

Si l'on veut avoir du succès, il faut aller vers le public et non pas l'attendre, drapé dans sa dignité d'auteur, perché sur les cimes de son inspiration. On a tout à fait le droit de rester dans sa tour d'ivoire et d'œuvrer  pour un tout petit nombre d'adeptes, et même pour la postérité (si on y croit), mais en matière de succès il ne faut pas réclamer un dû quelconque, personne ne vous doit rien.

 

* L'acteur de cinéma Jean Gabin aimait à répéter que pour faire un bon film il faut trois choses : Premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, et troisièmement, une bonne histoire. C'est évidemment un peu court, mais je me demande si on ne pourrait pas, en suivant cet exemple, dire que pour faire une bonne chanson il ne faut aussi que trois choses : une bonne mélodie, une bonne mélodie et une bonne mélodie.

C'est peut-être également un peu court et on peut ne pas le croire, mais personne ne vous croira  non plus si vous dites que pour faire une bonne chanson il faut trois choses : un bon texte, un bon texte et un bon texte. Ça ne suffit pas.

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De quoi s'inquiéter

 

L'âge venant, le public de la chanson de qualité (CFQ) se raréfie. Au point que certains amateurs s'inquiètent de la disparition possible d'un genre qu'ils pensaient éternel. Ils ont bien raison de s'inquiéter. L'apparition régulière de jeunes artistes sur la scène CFQ n'est qu'un trompe-l’œil qui ne pourra pas faire illusion bien longtemps. Sans public, ces artistes se raréfieront et disparaîtront aussi.

Les « jeunes » se déplacent volontiers pour aller au concert, mais ils sont sensibles à d'autres climats musicaux et d'autres codes de spectacle. Ils se reconnaissent davantage dans les chansons d’artistes qui vivent dans le même temps et le même « ton » qu'eux, qui partagent les mêmes préoccupations,  

Plus étonnant est l'attachement de certains jeunes auteurs-compositeurs actuels à des formes d'expression qui étaient en vigueur à l'époque de la jeunesse de leurs parents ou même de leurs grands-parents. C'est d’ailleurs à ces générations qu'appartient majoritairement le public qui les suit aujourd'hui. Il semble difficile de bâtir une carrière sur des bases aussi fragiles dans le temps. De quoi s'inquiéter aussi.

Jacques Brel, un connaisseur, disait qu'un chanteur était suivi par une génération (son public) et laissé de côté par la suivante. Bien sûr, dans son cas c'est exagéré, comme dans pas mal d'autres cas , mais dans toute exagération il y a une part de vérité (celle qui est exagérée précisément). Et si l'on veut avoir une chance de séduire plusieurs générations à la suite, encore faut-il commencer par séduire la sienne. C'est ce qu'ont compris, en leur temps, des artistes comme Bernard Lavilliers ou, à une autre échelle, Bob Dylan. Ils ont, au début de leur carrière, changé radicalement de style musical afin d'être en phase avec leur époque et sans doute avec eux-mêmes. On sait ce qu'il advint.

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La chanson en « art moyen »

 

On discute encore parfois pour savoir si oui ou non la chanson est un art mineur. En fait, je crois qu’aujourd’hui la question ne se pose plus en ces termes. Il serait peut-être plus juste de se demander si elle un « art moyen » ou non.

En 1965, Pierre Bourdieu a fait paraître un ouvrage sur la vulgarisation de l'art de la photographie*. Grâce à un matériel facile de maniement, et à portée de toutes les bourses, tout le monde (ou presque) a pu se mettre à la photo. Il a parlé alors de la constitution d'un « art moyen ». C'est d’ailleurs le titre de l'ouvrage*.

Je crois qu'on peut dire que l'usage domestique de l’informatique et la vulgarisation du traitement de texte ont engendré de la même manière le développement d'un « art moyen » de la littérature (le nombre de « vocations » littéraires qui n'auraient pas vu le jour sans  l'usage du traitement de texte, est considérable, du moins dans la classe « moyenne », justement).

Aujourd'hui, je me demande si la chanson n'est pas en train de devenir à son tour un art moyen... Le nombre de personnes qui écrivent des chansons et les chantent est vertigineux. Ici aussi,  l'informatique (qu'il s'agisse des instruments de musique, claviers divers, ordinateurs programmés ou matériel d’enregistrement, la possibilité de « jouer » et graver des CD) a mis la production de chansons à la portée de tous, comme jadis la photographie (et aujourd'hui davantage encore, toujours grâce aux progrès techniques et aux appareils numériques).

Ces « arts moyens » permettent à chacun de s'exprimer, ce qui est très bien. Certains bien sûr rêvent en secret de reconnaissance, mais nul n'est parfait ! Et de toute façon, cela n'empêche pas l'éclosion d’artistes majeurs, mais en très petit nombre, comme d'habitude.

 

 

* Pierre Bourdieu et Robert Castel (sous la direction de), Un Art moyen, Essai sur les usages sociaux de la photographie, Les Éditions de Minuit, collection « Le sens commun », 1965.

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Emotions communes

 

C'est la fête au foot ! Les articles de toutes sortes fleurissent dans les journaux, et les commentaires dénonciateurs font rage sur Facebook, qui appellent au boycott de la Coupe du monde. A chacun ses rêves d'action.

Comme tous les quatre ans, les « penseurs », sociologues et historiens du sport, ou simples journalistes, nous font part de leurs profondes réflexions sur le jeu le plus populaire de la planète et sur cet événement médiatique par excellence qu'est la Coupe du monde de football.

Pourquoi en parler ici ? Généralement les amateurs de chansons de qualité vomissent cette passion populaire et le business organisé autour. Peut-on les en blâmer ? Mais doit-on pour autant considérer les fans de foot comme des abrutis ?

Pourtant, rien de bien extraordinaire dans tout ça, chacun a le droit d'aimer ou de détester ce qu'il veut, et surtout chacun a les émotions qu'il peut. Le quotidien est pour la plupart d'entre nous assez tarte et les émotions sont rares.  Alors on peut se laisser  bouleverser par un but de « son » équipe qui se qualifie in extremis, comme on peut aussi pleurer des larmes de joie en voyant enfin paraître sur scène Patrick  Bruel ou Vanessa Paradis ! On peut aussi, si on préfère, découvrir la foi poétique derrière un pilier pendant un récital de Jacques Bertin. Bref, on peut s'émouvoir avec un tas de trucs, peu importe lesquels, ça n'est jamais qu'un prétexte à se laisser chatouiller la sensibilité pour la raviver un peu.

Je viens de lire un article consacré au « mythe » de l'équipe du Brésil de 1970 (celle de Pelé), j'ai trouvé amusant que son auteur (un journaliste de Libération) écrive en conclusion qu'on magnifie souvent à rebours des matchs, ou des équipes, qui n'étaient peut-être pas si extraordinaires, et qu'on a tendance à embellir et à mythifier ceux qu'on a vus dans notre jeunesse. On n'est jamais loin du « c'était mieux avant », et, spécialiste de foot ou non, personne n'y échappe, dit-il.

Je crois qu'il a raison et je me dis que ça fait finalement au moins un point commun entre les  amateurs de foot et les amateurs de chanson.

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Chanter dans sa brosse à cheveux

 

Je cherchais sur internet les paroles de la très belle chanson de Guy Béart Où vais-je ?, Google s'obstinait à me proposer Où je vais d'Amel Bent. J''étais prêt à traiter de tous les noms ce moteur de recherche inculte lorsque je tombais en fin de page sur l'objet de ma recherche.

Remarque, je ne regrette pas  le voyage, j'ai écouté Amel Bent et surtout j'ai vu  le clip de sa chanson pour préados. Notons d'abord qu'à l'époque de Guy Béart, au mode interrogatif, l'inversion était de mise (celle du verbe et du sujet, je précise...) on disait Où vais-je ? Chez les Amel Bent on parle prolo et on dit Où je vais ?, c'est moins compliqué, ça prend moins la tête, mais bah, ça n'est pas bien grave... J'ai été en revanche bien plus interloqué par le clip, qui met en scène (enfin le mot est fort !) Amel en train de chanter dans sa chambre, sa brosse à cheveux en guise de micro, pendant que sa maman la regarde discrètement  et attendrie dans l'embrasure de la porte.

Ensuite, elle est en classe, (vu son âge, genre élève très en retard dans ses études), au collège ou au lycée. Elle se voit en chanteuse sur l'écran télé de la classe, au lieu d'y voir des sciences naturelles. A la fin, retour dans la chambre avec la brosse à cheveux, puis sa mère l'engueule parce qu'elle  chante trop fort et qu'il est l'heure de pioncer. Comme dans la vraie vie, c'est trop de la bombe ! C'est chantmé !

Bref, je ne sais pas qui fabrique ces daubes pour gamines prépubères, mais à coup sûr ce sont de fameux margoulins qui, eux, ne se posent pas la question de savoir où ils vont, ils le savent : à la banque !

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Par bonheur ou par défaut

Les vieilles barbes dans mon genre, de la génération des années cinquante, ne peuvent que s'étonner du retour en grâce de la chanson de style rive gauche auprès des trentenaires et quadragénaires d'aujourd'hui. Bien sûr, au temps de notre jeunesse nous avons apprécié quelques chansons de Georges Brassens et nous n'avons pas échappé à  « l'ouragan » brélien, cependant nous étions bien plus attirés par les chansons aux musiques novatrices, généralement venues d'outre-Atlantique ou d'outre-Manche. La chance que nous avons eue fut de trouver dans ces chansons-là aussi de quoi étancher notre soif de poésie et de texte: nous écoutions avec avidité Bob Dylan ou Léonard Cohen, dont on ne peut pas dire que les textes de leurs chansons furent une moindre préoccupation pour eux. Cette musique plus rythmée (à tempo fixe) n'était pas forcément synonyme de paroles indigentes. L'arrivée de Graeme Allwright dans le style folk nous apporta certaines de ces mêmes chansons américaines, le plus souvent, traduites en français, c'était parfait !

Le style rive gauche, à moins d'être pratiqué par ses maîtres, nous semblait désuet, voire pénible laborieusement joué par les seconds couteaux qui marchaient dans les pas de leurs aînés sans en avoir le talent et surtout, crime suprême, en jouant de la guitare comme des cochons.
Donc, nous pensions ce type de chanson, avec ses chefs-d’œuvre et ses croûtes, définitivement rangé dans les archives.

En somme, nous avons eu pas mal de chance, à la différence des générations suivantes dont le goût pour le rive gauche peut sans doute s'expliquer par l'indigence de ce qui leur fut proposé en matière de chanson pendant leur enfance et leur adolescence (période de sensibilité extrême à la chanson chez certains), c'est-à-dire pendant les années quatre-vingt, puis quatre-vingt-dix. Pas grand-chose de très conséquent à se mettre entre les oreilles...

Jean-Jacques Goldman, Michel  Berger, Francis Cabrel, qui tenaient alors le haut du pavé*, même s'ils furent d'habiles mélodistes, n'ont pas fait preuve d'une folle ambition dans l'écriture des paroles de leurs œuvres. Les ados, attirés par la chanson « de texte » dans ces années-là, durent se tourner vers le néo rive gauche, dont Juliette est la plus emblématique représentante, ou les « grands  anciens », pour trouver de quoi satisfaire leur goût pour des « paroles » plus bavardes, plus longues, plus ambitieuses, et qui leurs semblaient nouvelles (!).

Leur goût pour ce type de chanson est né d'un manque, et comme chacun sait la nature à horreur du vide.

Gageons qu'aux frontières du rap, du slam, de la musique électro, et de la chanson française, apparaîtra un genre nouveau où de nouvelles générations trouveront leur content d'émotions, comme d'autres l'ont trouvé dans le style rive gauche, par bonheur ou par défaut.

 

* Il y avait aussi bien sûr le duo Souchon/Voulzy qui a sa manière donnait à entendre des textes un peu plus conséquents, cependant généralement assez minimalistes et répétitifs.

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L'âge venant

L'âge venant, et même venu, j'en viens à penser qu'un désir d'expression artistique s'il est trop fort, trop ambitieux, peut difficilement trouver à s'épanouir dans le domaine de la chanson. C'est à la littérature, au théâtre, à la musique savante ou à la peinture, qu'il vaut mieux confier les inspirations les plus graves et les ambitions les plus hautes. La chanson se doit de garder toujours une certaine légèreté, sauf à se condamner à la confidentialité.  Elle ne doit pas donner l'impression de se prendre au sérieux, de viser plus haut qu'elle ne peut atteindre. Quant à savoir si elle est un art mineur, ou même simplement un art, la question n'a finalement que peu d'importance. La modestie de l'artisanat lui va bien.

La chanson peut, bien sûr, parfois émouvoir, tirer quelques larmes, faire sourire ou rire, et même faire danser les pieds et le cœur, mais elle est trop fragile pour accueillir un désir d'expression trop intense, comme on peut en trouver dans une peinture, un roman, un film, une œuvre savante. D'ailleurs, on ne lui en demande pas tant. La brièveté de sa forme n'autorise pas de longs bavardages, elle est généralement concise, parfois brillamment, et la plupart des gens se contentent d'un air agréable et de quelques mots habilement « troussés », sympathiques. Pour les émotions fortes, ils iront chercher ailleurs, dans les domaines évoqués plus haut, ou même, ils n'iront pas chercher du tout. Chacun est libre de choisir  l'intensité des émotions qu'il souhaite ressentir ou pas, en ce qui concerne l'expression artistique, bien entendu.

Pour celui qui se sent l'âme foutrement  littéraire de l'écrivain ou du poète, ou encore celle tourmentée du peintre qui ne peint pas que le dimanche, il sera toujours mieux de frapper à d'autres portes que celle de la chanson. Le public ne réclame pas forcément à un auteur une ambition plus élevée que celle d'écrire une bonne petite chanson.

J'ai cédé, moi aussi, dans ma jeunesse, à la colère de la voir traitée comme un genre mineur par rapport à d'autres, plus nobles. J'en suis bien revenu. La plus belle chanson ne peut donner que ce qu'elle a. A savoir un peu de légèreté, parfois un peu d'émotion, ce qui n'est déjà pas si mal.

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Le caveau

Un soir, j'assistais dans un petit théâtre au récital de deux vieux copains chanteurs. Ils s'étaient attaqué avec vaillance au répertoire de Léo Ferré. C'était un beau récital et une bonne occasion de se remémorer des chansons plus anciennes et moins connues de l'anar chantant.

A l'issue de la représentation, le petit public présent fut convié à un pot de l'amitié au cours duquel il serait possible de faire la causette avec les deux artistes. La moyenne d'âge dudit public était assez élevée, le plus jeune d'entre nous devait approcher la soixantaine. Le verre  à la main, certains fidèles se remémoraient la « grande époque », c'est-à-dire celle de notre jeunesse et de nos fiers débuts dans la chanson. Cependant j'étais venu en compagnie d'un jeune chanteur du coin (et même au-delà, aussi!) qui, lui, vient tout juste de passer la trentaine.

Comme je le présentai à un de mes vieux potes, qui venait de chanter donc, nous remarquâmes que cela faisait au moins un jeune chanteur dans l'assistance et que la relève de notre génération flageolante était assurée.

« C'est super, dit mon pote, ça fera quelqu'un pour fermer le caveau ! » 

C'est vrai, rien n'est plus désolant que de devoir s'en aller seul au tombeau sans personne pour fermer derrière soi, surtout si on craint les courants d'air.

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Intemporel, oui, mais jusqu’à quand ?

L'amateur de chansons aime parfois qualifier d'intemporels les chansons et les artistes qu'il aime tout particulièrement, et surtout depuis longtemps. Parler d''intemporalité est une manière pour lui d'exprimer son affection, quand elle déborde. Un genre d'excès d’enthousiasme qui est peut-être aussi une simple manière d'affirmer sa fidélité à ses propres goûts malgré le passage du temps.

Une façon d'affirmer arbitrairement la pérennité de quelque chose pour se consoler d'être soi-même périssable.

Intemporel, le dictionnaire nous le dit, c'est ce « Qui ne varie pas en fonction du temps, qui est de tous les temps », c'est le « Caractère de ce qui, par sa nature, échappe au temps et à la notion de durée. » On apprend qu'on peut aussi dire à la place, impérissable ou éternel.

Intemporel, éternel, pourquoi pas ? De toutes façons, les limites de l'éternité sont assez mal connues. Celle des chansons ou d'autre chose, n'a finalement, pour être mesurée, d'autre échelle que la durée de la vie de celui qui les aime. Le reste n'est que suppositions hasardeuses.

Pour cette raison, avant de parler imprudemment d' intemporalité, je commence toujours par compter mon âge et regarder ma montre.

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La TSF sur le buffet

Du plus loin que je me souvienne, il y a toujours eu une TSF posée sur le buffet de la cuisine chez mes parents. D'abord un simple bahut bas, mais qui me paraissait immense quand j'étais encore tout petit, puis ensuite un buffet à deux étages, comme il y en avait dans toutes les cuisines de prolétaires avant l'invasion du formica.

La TSF était posée tout en haut du buffet, sur le « toit », inaccessible. C'est comme ça que j'ai entendu mes premières chansons, elles descendaient des hauteurs lointaines du buffet. Milord, Le petit cordonnier, Les lavandières du Portugal, et plus plus tard Stewball et La fille du Nord, me sont arrivées ainsi. C'est tout un monde inconnu qui descendait vers moi, un monde d'images avec plus de couleurs. Un genre de chaleur m'enveloppait soudain et arrondissait les angles trop vifs de cette cuisine moche et sans rêves.

Depuis, lorsque qu'une chanson accroche mon oreille, elle me fait toujours l'effet de venir d'en haut, de planer dans l'air, virevolter, me rendre visite et disparaître.

Lorsque, plus tard, nous eûmes des électrophones, puis des chaînes stéréo dont nous posions souvent la platine sur le parquet de nos chambres, quand une chanson me touchait particulièrement j'avais l'impression qu'elle venait de haut quand même, qu'elle envahissait l’air de la pièce et déposait sur la réalité un voile bienfaiteur.

Ensuite j'ai écrit moi-même des chansons, dont je souhaite qu'elles donnent à celui qu'elles touchent l'impression de virevolter dans l'air, de lui rendre visite, de descendre de quelque part, d'une TSF posée sur un buffet, par exemple, et de s'ouvrir à lui comme un monde flottant et rêveur.

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Un message de Petrus Felix

 

Aujourd'hui j'ai reçu ce mot de Petrus Félix, et ma modestie dût-elle en souffrir un peu, ce qu'il écrit me plaît tant que je vous le livre dans son intégralité.

Bonjour Pierre,

Samedi matin 21 décembre 2013 à 10h30. Hier j’ai posé et teinté un podium pour l’église de Chasselay. L’église est habituellement fermée à clé et nous avons convenu avec le prêtre que j’irai passer le vitrificateur ce samedi matin entre 10 et 12, pendant la confession d’avant Noël. Je laisse ma belle-mère chez la coiffeuse de Morancé, puis les Chères et sur la route entre Les Chères et Chasselay il y a le Tata Sénégalais.

En ce moment je lis « Le crime de Napoléon » de Claude Ribbe, j’ai lu récemment « la bataille de L’Arbresle » et « l’art français de la guerre » d’Alexis Jenny.

Il faisait très doux ce samedi matin, je me suis arrêté devant le portail du Tata et j’ai fait des photos. Je suis entré et j’ai retrouvé le souvenir d’un petit matin de Pentecôte, à Vassieux en Vercors où j’étais seul avec mon vélo devant toutes ces croix…

J’ai pensé que tous ces morts c’est trop pour moi tout seul. J’ai fermé les yeux, j’ai fait tourner mon bras gauche et mon index a pointé n’importe où, et puis j’ai ouvert les yeux. Mon index m’a indiqué le caporal ZIBAGO Thiac, mort pour la France le 19 juin 1940.

Je vais chercher l’histoire de cet homme, l’histoire dans l’histoire. Vous pourriez en faire une chanson. Vous qui avez si bien chanté le Tata, ce dialogue d’un père avec son fils qui ne peut pas comprendre l’horrible vérité. Vous êtes bon pour les dialogues Père-Fils : « Salut gone, ça va ? ».

A midi j’ai parlé du Tata à mon fils unique et adopté en Albanie âgé de 13 ans. Il m’a écouté d’une oreille distraite en pensant à ce qu’il allait faire de ses vacances de Noël.

Après ma visite du Tata j’ai rejoint l’église de Chasselay. Ce village a la particularité de ce que tous les carrefours fonctionnent avec la priorité à droite. Je suis arrivé d’une petite route sur la départementale. J’ai vu arriver une auto de ma gauche et je me suis arrêté. L’auto s’est arrêtée aussi parce que j’avais priorité. Alors je suis reparti juste au moment où l’autre croyait que je le laissais passer et repartait aussi. On a failli se tamponner et le type m’a fait des gestes de haine et des doigts d’honneur. Moi j’ai ri. J’étais encore au tata et je n’avais que faire de savoir à qui était la priorité. Ce type là, s’il avait eu un fusil, je serais mort, même pas pour la France…

A bientôt Pierre et ... Joyeux Noël

 

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Laborieux

   Longtemps j'ai écrit laborieusement les paroles de mes chansons, jusqu'à découvrir un jour que derrière chacune de ces chansons laborieuses était cachée une autre chanson beaucoup plus simple, plus évidente, plus fluide. Comme je suis devenu plus habile, au fil du temps, j'ai essayé de parvenir directement  à la chanson « cachée » en ignorant la phase de labeur sur celle qui la  dissimulait. Eh bien, ça ne marche pas, en fait la chanson n'est pas cachée derrière une autre chanson, mais derrière le labeur lui-même.

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La tresse sémantique

   Aujourd'hui, je lis une esquisse d'analyse sémiologique de la chanson de Léo Ferré, Avec le temps.

    En entendant le refrain « Avec le temps, avec le temps va, tout s'en va » on entendrait,surtout deux syllabes « tan » et « va », et donc comme un message subliminal « va-t-en »...Pourquoi pas ?

  Ensuite comme le « l » et le « v » sont dans toute la chanson plus fréquents que dans n'importe quel texte français courant (selon une moyenne établie par des phonéticiens) « l » associé au « v »  peut donner la structure consonantique de « love » (en anglais )...

   Bon, les points de suspension ne sont pas de moi, ils sont de l'auteur (Louis-Jean Calvet) , il veut  sans doute exprimer par là que la porte  est ouverte à des interprétations  plus vertigineuses encore, aux confins de la linguistique et de la psychanalyse. Je m'y engouffre donc :

« Avec le temps, avec le temps, va toussant, va », par exemple, puisqu'on sait que Ferré était un gros fumeur de Celtiques .

Ou encore, « Avec Lot, en va-tout s'en va ! » On sait que Ferré et Madeleine se sont séparés dans le Lot et que Madeleine, racontait-il, a flingué Pépé, le chimpanzé, jouait-elle son va-tout ?

 et aussi : « Avec l'OTAN, avec l'OTAN va tout sang, va ! » Ferré était pacifiste...

  Bien sûr c'est pour rigoler, j'exagère, mais à ce petit jeu on peut trouver par l'analyse bien des signes différents et se dire que l'inconscient entend d'autres choses que ce que le conscient croit entendre.  On peut...Tout le problème est de ne pas jeter trop loin le bouchon et de ne pas rencontrer le ridicule, qui ne tue pas bien sûr, mais qui peut quand même vous friper le fessier, puisque aussi bien en le nommant on entend « ride » et « cul », etc..

 

 

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Colère ou compassion...

 

  Une dame d'un certain âge, nous l'appellerons Monique pour indiquer la génération à laquelle elle appartient, explique qu'elle a pleuré lorsqu'elle a appris la mort de François Béranger. Pourquoi pas ? On peut être ainsi fait qu'on a la sensibilité à fleur des paupières. Mais elle dit aussi que lors de la disparition de Barbara, ses amis l'ont appelée pour lui présenter leurs « condoléances »... Là, on peut trouver que c'est un peu exagéré, puisqu’on comprend bien que Barbara ne faisait pas partie des  proches de cette personne, qu'elle la connaissait seulement en chansons et en image.

Chacun a le droit à sa part de ridicule, voire d'indécence, ça ne tue pas. Cependant on balance entre la pitié et la colère, quand on voit des gens de cet acabit être terrassés par le chagrin lors de la disparition de personnages publics, qui ne sont pour eux qu'un fantasme et qui,  s'ils les avaient connus vraiment, leur auraient sans doute fait moins d'effet. On se dit aussi qu'il feraient mieux de réserver leur dose de chagrin personnel pour des copains, des amis, ou simplement des gens de chair et d'os qu'ils connaissent, dans la vraie vie.

On en a vu déjà pas mal, terrassés par la douleur, venir pleurer sur la tombe de Cloclo, fondre en larmes à la disparition de Lady Di, ou de je ne sais quelle célébrité. On les trouvait un peu faibles d'esprit, ces pauvres gens, assez peu éduqués, et on pensait aussi que la chanson dite de qualité était épargnée par ce genre de sottise... C'est faux, certains  pleurent Barbara, ou même Leprest, à chaude larmes, comme d'autres pleurèrent Joe Dassin ou Dalida, des larmes identiques et qu'on a du mal à comprendre.

La fin du message de cette dame nous éclaire un peu. Elle écrit que la chanson est « une matière qui ne souffre pas d'explications rationnelles » et relève « du plus profond de l'intime »...

On se dit qu'il faut-il être bien seul pour n'avoir personne avec qui  parler un peu et partager le « profond de l'intime » (au propre comme  au figuré, et tant pis pour les prudes).

Les gens connus, chanteurs ou autres, ça sert peut-être aussi à ça, finalement, à donner des émotions par procuration à des gens qui, sans ça, n'en auraient pas, tant leurs existences sont vides et monotones.

Finalement le mépris et la colère n'ont pas leur place ici, c'est plutôt la compassion et la tristesse qui sont de mise.

 

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Quoi de neuf ?

Il peut arriver qu'un amateur de chansons ait la fâcheuse impression que rien de neuf n'a vraiment émergé depuis les années cinquante et soixante. C'est vrai surtout pour ceux qui ont vécu les moments forts de la chanson francophone avec les Brel, Brassens et Ferré (une sorte d'apogée du genre « à texte ») et le bouleversement de la musique populaire par l'irruption du rock, et de la pop ensuite, avec les Elvis, Beatles et Dylan par exemple. Ce qui se passe depuis cette époque (sur laquelle on mythifie beaucoup) peut sembler manquer de relief.

Cependant  la musique populaire et la chanson ne se sont pas arrêtées ces années-là, elles ont poursuivi leur évolution. Et la question n'est peut-être pas de savoir si quelque chose de neuf à émergé ou pas, mais plutôt de savoir si on est en mesure de le percevoir?

Les exemples de  personnages illustres qui ont ignoré l'aspect novateur de certaines œuvres sont nombreux. Critiques, intellectuels, ou artistes de renom, sont passés en nombre à côté d'œuvres novatrices, et cela, le plus sincèrement du monde.

Les critiques d'art de la fin du XIXe siècle, dans leur grande majorité,  n'ont pas perçu comme telle la « révolution » de l'Impressionnisme. André Gide, lui-même a refusé le premier manuscrit (Du côté de chez Swann) de Marcel Proust chez Gallimard. On pourrait également citer les critiques littéraires qui n'ont pas du tout mesuré l'ampleur du chamboulement stylistique célinien. L'énumération serait longue. Brassens lui-même fut considéré comme « le pornographe du phonographe » par une partie de la presse à ses débuts.

Lorsque quelque chose de neuf apparaît, nous n'en faisons pas forcément la bonne lecture pour en évaluer la nouveauté. Nous sommes prisonniers de critères qui ne seront plus ceux des nouvelles générations. Elles apprécieront en masse ce qui ne nous apparaît pas comme spécialement « novateur » et ne nous semble pas promis à un grand avenir.

Il est très difficile de voir clair dans ce genre de choses. Il faudrait pouvoir prendre un peu de recul avec ses propres goûts, ne pas s'en remettre à sa seule sensibilité, savoir les « objectiver », ce qui n'est pas facile et peut sembler désagréable. Les goûts (et les couleurs, dit l'expression) relèvent avant tout de la subjectivité (mais est-ce bien sûr?). Cependant, il peut être salutaire d'essayer de les mettre à distance, la bonne distance, pour avoir sur eux un meilleur point de vue et tâcher de mieux comprendre leur valeur relative, et ainsi, peut-être, mieux comprendre les goûts différents des nôtres.

Avec une vue en perspective peut-être apercevrons-nous à l'horizon quelque chose de neuf. 

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A un chanteur malheureux

J'ai lu récemment la complainte d'un chanteur (inconnu) qui essaye d'exercer ce métier depuis trente ans :

« Cela fait plus de 30 ans que j’essaie d’exercer ce métier (Auteur-compositeur-interprète). Bien entendu il n’a jamais été facile de diffuser un travail (qu’on espère) de qualité mais je n’ai jamais vu un tel climat de censure. Partout la création musicale est étouffée, la presque totalité des canaux de diffusion est bouchée. Sur la télé publique, par exemple (financée en partie par nos impôts, on ne le répétera jamais assez), nous sommes toutes et tous, purement et simplement, interdits d’antenne. »  

Pourquoi pas ?

 Mais, le soir même, je lisais dans l'autobiographie de Johnny Cash, ceci :

Ce fut vraiment un merveilleux jour que celui où je reçus des mains de Marion Keisger mon premier chèque de royalties. Le montant était minuscule -6,42 dollars, je crois- mais pour moi c'était comme si on m'offrait des millions. Peut-être n'aurais-je bientôt plus à faire semblant de vendre des réfrigérateurs, ni à prendre aucun boulot dont je ne veuille  absolument pas ; peut-être, à la fin de l'année, pourrais-je payer le loyer de cette petite maison que nous occupions, Rosanne et moi  (…). Peut-être, et seulement peut-être, allais-je réussir à en vivre !  (Johnny Cash (avec Patrick Carr) Cash L'autobiographie, « Castor Music » Le Castor Astral, 2013)

 Je dirais bien  à ce chanteur malheureux  de méditer cette leçon d'humilité de Johnny Cash. On n'essaie pas de faire ce métier contre son gré. Chanter professionnellement n'est pas un droit. Rien n'est dû, on tente sa chance, c'est tout.

Et peut-être, seulement peut-être, on réussira à en vivre.

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Instruction et culture

   Il existe les brèves de comptoir, qui semblent en quelques mots dirent beaucoup, même si elles ne disent pas grand-chose et sont simplement rigolotes, pour peu qu'on les imagine dites avec l'accent parigot.

    Chez nos amis Belges, à Bruxelles, en plein centre, on parle plus longtemps et pour dire plus.

Témoin notre passage  dans ce joli café (assez luxueux) de la Galerie St Hubert où, de bon matin, nous avons surpris une conversation entre un client et une  serveuse au sujet de la différence qu'il y a ou non entre instruction et culture! Pour la serveuse il était évident qu'il s'agit de la même chose, mais pour le client il s'agissait de deux choses différentes, puisque, selon lui, on peut avoir reçu une instruction et n'avoir pas de culture, comme par exemple George Bush! L'exemple était asséné comme une évidence.

  Une fois le client parti (car il causait tout en payant la caisse) la conversation s'est poursuivie entre un type, silencieux jusque-là, qui préparait les cafés derrière le bar, la serveuse et une cliente solitaire assise devant sa consommation. Chacun avait un avis sur la question.

  Il était huit heures et demie, et je me suis dit que dans certains cafés belges, qui ne se prétendent pourtant pas « philo » comme certains bistrots présomptueux de chez nous, ça démarrait fort dès le matin.

   Je trouve que c'est une bonne façon de commencer la journée, se poser des questions de cet ordre. Nous avons ensuite poursuivi notre chemin dans les rues de Bruxelles en réfléchissant nous-mêmes à la différence entre l'instruction et la culture, sans parvenir à nous mettre d'accord et en nous égarant finalement  dans les rues de la ville comme dans nos raisonnements.

   D'un commun accord nous décidâmes de remettre la question à plus tard, en fin de journée par exemple, devant une bière à La Mort Subite, une brasserie épatante sise juste à la sortie de la Galerie St Hubert. 

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La chanson de qualité

On l'a d'abord appelée « chanson à texte », puis « chanson française de qualité », elle est devenue ensuite « chanson de paroles » , et aujourd'hui « chanson non formatée ». Sous ses diverses appellations, elle est passée des feux de la rampe glorieuse des cabarets parisiens et des music-halls  à ceux moins prestigieux des maisons des jeunes et de la culture, des centres associatifs, avant de finir  dans la marge, dans les   « îlots » de résistance. De festivals minuscules en « fête à », elle termine maintenant son existence chez l'habitant, dans les chant'appart …

Chanson « à texte » ou « de paroles », c'est bien sûr une appellation curieuse. Une chanson ne saurait être privée de paroles, faute de quoi elle deviendrait musique instrumentale. Quant au fait d'être « non formatée », personne n'a jamais indiqué par rapport à quel format supposé … fantasme repoussoir des amateurs de « chanson de qualité ».

La qualité, parlons-en... Qu'est ce qui fait la qualité d'une chanson ? Et quels sont les critères qui permettent de la mesurer, cette qualité ?

Il y a des chansons pour tous les goûts, toutes les circonstances, on les entend, on les écoute, ou encore on les danse, on les chante ou on les braille, seul ou en chœur.

On sait bien que certaines chansons ne sont faites que pour le plaisir du rythme et de la danse, et que d'autres sont plus ambitieuses sur le plan littéraire ou simplement dans le sujet qu'elles évoquent. Mais chacune dans son genre peut être de bonne qualité ou ratée, ça n'est pas une question de nature, plutôt une question de justesse par rapport à son ambition initiale.

Cependant l'amateur de chanson « de qualité » considère, par cette appellation même, que celles qui ne sont pas de son goût en sont privées. Il adore les unes autant qu'il déteste les autres, il les  vomit même. Ce qui me fait penser à cette phrase de Pierre Bourdieu (philosophe et sociologue (énervant), auteur notamment de La distinction) : « Le goût c'est presque toujours le dégoût du goût des autres »...

Heureusement, il a dit « presque », ça laisse une petite brèche dans laquelle les amateurs de chanson de paroles pourraient avoir la bonne idée de s'engouffrer.

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Les mots, les noms, les notes 

Lorsque j'étais jeune, et ma jeunesse s'attarda longtemps, j'étais fasciné par les mots et les noms, mais plus enclin à rêvasser à partir d'eux qu'à en chercher le sens exact et les contextes auxquels ils sont attachés comme font les sages et les savants, ceux qui n'aiment rien tant que dissiper les brumes des rêves et se méfient de l'imagination comme des mirages. Les sages furent rarement des artistes.
Je me laissais guider par leur sonorité vers un sens plus ou moins fantasmé, plus ou moins proche de la réalité.

Je pouvais aussi rêver des heures sur trois notes de musique assemblées à la diable et dont les vibrations faisaient s'envoler dans ma tête des flopées d'images et à leur suite, des mots.

J'ai donc fini par faire des chansons, une façon de continuer à rêver et élargir la réalité qui m'entourait.

Aujourd'hui je cherche davantage le sens des mots, je les étudie, dans des langues diverses, ce qui me procure des plaisirs intellectuels certains, mais laisse mon imagination parfois sur le carreau. Il faut dire que je ne suis plus jeune et ne suis plus dupe de l'ivresse des rêves. De même lorsque j'associe des notes, le diable n'y est plus, les règles de l'harmonie ont tôt fait de les remettre dans le droit chemin.

Cependant j'écris encore et toujours des chansons, et chacune à sa façon s'en va chercher sa part de rêve perdu, quelque part dans le monde de ma jeunesse.

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Vous avez dit Rimbaud ...

Entendu sur ma radio préférée Les poètes de sept ans, le célèbre poème d'Arthur Rimbaud, chantée par Léo Ferré. La chanson avait été choisie par un « cinéaste » dont le nom importe peu, une fois la chanson diffusée (qui forcément attira l'oreille de l'amateur vieillissant mais éclairé de chansons que je suis) l'animateur de l'émission précisa pour les ignorants que nous venions d'entendre une chanson de Léo Ferré, intitulée Les poètes de sept ans.

A aucun moment l'animateur ou le cinéaste (récemment puni par la justice pour avoir organisé des castings où le voyeurisme l'emportait sur le désir de choisir une comédienne pour son film) n'ont cru utile de préciser qu'il s'agissait d'un poème d'Arthur Rimbaud mis en musique et interprété par Léo Ferré... Ce qui peut sembler étonnant, sauf à considérer que l'animateur et le cinéaste l'aient ignoré eux-mêmes, ce qui semble peu probable puisque la chanson est extraite d'un album intitulé Verlaine et Rimbaud chantés par Léo Ferré... Mais bon, tout est possible quand il s'agit de l'absence de culture des animateurs d'émissions radio ou télé... Et de toutes façons, le fait que le texte soit un poème de Rimbaud ou de Tartempion n'est sans doute pour eux qu'une anecdote.


Léo Ferré a dû se retourner dans sa tombe. Je l'imagine grommelant « Pauvre Rimbaud! » comme il s'était lamenté « Pauvre Verlaine! »  en lisant un jour pour une journaliste sa feuille de SACEM où paraissait en face d'un poème de Verlaine, qu'il avait chanté, la somme de 3frs50!

En ce temps-là, les années soixante (c'est-à-dire pratiquement la préhistoire pour l'imbécile moyen à jolie voix ayant réussi à se hisser derrière le micro d'une radio de service public), les chanteurs populaires n'hésitaient pas à mettre en chansons les grands poètes. Ferré a beaucoup œuvré dans le domaine (Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Aragon, Apollinaire et plus près de nous Jean-Roger Caussimon),

Brassens a mis en musique Victor Hugo, Paul Fort, Jean Richepin, aussi Aragon, et bien sûr Jean Ferrat « musicien populaire » d'Aragon et même d'Apollinaire (Si je mourais là-bas)...

De nos jours la mise en musique des grands auteurs se pratique peu ou plus du tout.. Est-ce une bonne chose? La mise en musique récente du Pont Mirabeau d'Apollinaire par Marc Lavoine, m'inciterait à le penser.

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Chanter comme un enfant

En écoutant chanter ma petite fille, ma conviction se renforce : interpréter une chanson n'a rien d'un exercice intellectuel, les mots d'une chanson sont avant tout de la musique, un matériau sonore qui se confond avec la mélodie, le sens peut être vague, c'est secondaire.
Ceci dit, il n'est pas mal quand même de connaître le sens des mots que l'on chante, surtout si on est adulte, car ma petite fille n'a que trois ans et les enfants ont un génie de la chanson que les adultes ont perdu depuis longtemps...

J'aimerais bien chanter comme ma petite fille, avec autant de conviction et de naturel.

Mais bon, pour ça il faut sans doute savoir oublier ce qu'on a appris, ce qu'on sait ?

J'y arriverai peut-être, c'est pas dit ! Picasso a bien mis toute sa vie à essayer de peindre comme un enfant... Bon d'accord, il s'agissait de Picasso, mais on peut quand même essayer, c'est comme rêver, ça n'est pas défendu.

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M. Le grand guitariste !

J'ai entendu ce matin le fils Dutronc-Hardy, (faux grand guitariste manouche) faire l' éloge de quelqu'un qui l'a beaucoup frappé lorsqu'il était plus jeune et encore inconnu: ce quelqu'un est Mathieu Chedid.

Il expliquait à quel point il avait été estomaqué, non par le chanteur (on le comprend!) mais par le musicien, le guitariste (et là, on ne comprend plus!).

Au royaume des aveugles les borgnes sont rois, dit-on, sans doute dans ce cas assistait-on à un de ces moments magiques d'entre-célébration où les borgnes se confortent l'un l'autre pour le cas où les aveugles commenceraient à émettre des doutes sur la légitimité de leur trône.

A chaque fois qu'on me parle du fils (et petit-fils) Chedid comme de l'exemple même du super guitariste, je réécoute un cd de Sylvain Luc ou de Pat Methenny avec un sourire à peine narquois aux lèvres. C'est assez plaisant. Dommage que le fils Chédid et le fils Dutronc ne me voient pas à ce moment-là !

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Le rap mélodique

    Les rappeurs ne sont généralement guère appréciés des amateurs de « chanson française de qualité » (CFQ) pour cause notamment d'absence de « chant ». Cependant certains rappeurs, c'est-à-dire ceux qu'il m'arrive d'entendre, et même parfois écouter, sur ma radio de service public, commencent à introduire le chant dans ce qui n'était jusqu'à présent qu'une scansion où le rythme était prédominant et  la mélodie réduite à sa plus simple expression.

  Les parties chantées, dans ce que j'ai entendu, ressemblent à des refrains, ce qui finalement rapproche cette forme de rap de la chanson « traditionnelle » dans laquelle le couplet est (ou était) généralement récitatif et le refrain plus mélodique et chanté. (Ce qui explique, en partie,  qu'il était généralement plus mémorisé, « retenu », par les auditeurs que les couplets).

  On peut se demander si cette expérience du rap n'est pas une récapitulation de l’histoire de l'évolution* de la chanson, dont on peut imaginer qu'à l'origine elle était une forme de scansion, rituelle sans doute, puis qu'au fil des âges, la science musicale évoluant, elle est devenue mélodique ? Avec, par exemple, le passage du domaine modal au domaine tonal**.  Durant cette évolution toutes les nuances et stades d'évolution sont imaginables, nous ne pouvons que supposer, du moins pour les époques les plus anciennes .

 En gros, ces rappeurs-là ne seraient-ils pas en train de réinventer la chanson, comme on dit de quelqu'un qu'il réinvente l'eau chaude (ou tiède selon les goûts)?

*voir chapitre ontogenèse et phylogenèse ( pour faire savant) 

**voir chapitre théorie de la musique (toujours pour faire savant)

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Je ne regrette rien !

   Lorsque je lis la presse culturelle, qu'elle soit de caniveau ou haut de gamme, gratuite ou chère payée, je dois dire que regrette beaucoup moins de ne pas avoir  fait carrière !

   La vitesse à laquelle sont dézinguées les gloires d'avant-hier, la hâte avec laquelle on dresse les bûchers pour brûler ce qu'on avait adoré le matin même, la promptitude à reléguer un travail pourtant sincère et original  au rang des vieilleries, tout cela m'épouvante et m'attriste !

  Il faut du nouveau, sans arrêt du nouveau, à consommer et à recracher le jour-même, nous vivons vraiment une époque de cervelles d'oiseaux et de zapping forcené, à laquelle ni les consommateurs ni les « experts »et critiques en tous genres  n'échappent. Plus personne ne surveille ni sa plume ni ses pensées, on ne doute de rien (et surtout pas de soi-même), on se fait une opinion à la vitesse de l'éclair, on se fie à de simples impressions, épidermiques, et surtout on ne réfléchit pas, car la réflexion ça fait mal à la tête et surtout ça peut faire douter.

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Le robinet d'eau tiède

   J'écoute souvent la radio, en déjeunant et en bagnole aussi, ce qui me permet d'avoir un aperçu de la production d'une ribambelle de chanteuses et chanteurs trentenaires qui font partie des playlists, notamment celle de la radio de service public.

  Je m'étonne surtout du fait qu'ils soient aussi nombreux à être lancés sur un marché qui pourtant est en crise et où le cd ne se vend plus. Mystère...

   Cela mis à part, je suis surtout frappé par le style extrêmement affecté, même maniéré, de leur façon de chanter. Je ne discute pas la qualité de leurs chansons, mais simplement la manière dont ils les chantent.

   Les garçons s'inventent des sortes d'accents improbables qui disparaissent dès qu'ils parlent, ils chantent dans un registre assez haut, tandis que les filles cultivent, outre un même accent débile, le voile souvent artificiel de leur voix et chantent dans des registres assez graves. Sans doute un reflet de la question du genre qui hante nos médias, après importation des Amériques?

    On peut être sensible ou non à ces voix, qui finalement n'enthousiasment que très peu le public auquel elles sont destinées. Les élèves que je fréquentent dans le cadre de mes cours « chanson » à l'ENM ne s'y intéressent guère... Aucun de ces « artistes » (dont la folle rotation dans ce marché en crise confine au vertige ) ne semble vraiment pouvoir marquer et se démarquer des autres, leurs chansons coulent de la radio comme l'eau courante du robinet.

     Mais ce qui manque chez eux, à mon avis, plus encore que la qualité des chansons, c'est la sincérité dans la voix, une authenticité et une simplicité qui feraient qu'on a envie de les écouter et de s'intéresser à eux. Quelque chose qui trancherait et les ferait émerger de ce flot continu et tranquille d'eau tiède des playlists.

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Robert a encore frappé !
 
  J'avais bien promis de ne plus parler de Robert la Science, mais c'est plus fort que moi! Je suis accroc à ses commentaires enchantés! C'est ma came, comme dirait Carla Bruni !
     Aujourd'hui, Robert, qui est branché chanson, est apparemment aussi branché sur l'au-delà et donc en relation avec le grand Léo. Il nous affirme tout de go que Léo Ferré aurait aimé le cd de ses œuvres ré-interprétées par tel chanteur (dire ici lequel n'a pas grande importance).
 
   Mais qu'en sait-il vraiment Robert?
 
  N'aurait-il pas compris, à son âge, qu'apprécier les œuvres d'un artiste ne veut pas dire forcément bien le connaître et, surtout, que ça n'autorise pas à prendre ses propres pensées pour les siennes. Quant à savoir qui il est (ou était) vraiment, même de nombreuses lectures d'interviews, biographies ou  autres, ne disent qu'une « vérité », celle du personnage public à l'image généralement soignée, policée par pas mal de frime et de mise en scène avantageuse de soi-même. L'idée qu'on peut se faire des artistes qu'on aime correspond rarement à la réalité des hommes qu'ils sont. Elle nous renseigne davantage sur ce que nous sommes. 
 
  Un bon ami à moi, particulièrement intuitif et aussi admiratif des chansons de Bob Dylan, aurait pu  avoir, il y a quelques années,  l'occasion d'assister à une conférence de presse du maître, à Paris. Comme je lui demandais pourquoi il n'avait essayé d'en profiter, il m'a expliqué qu'il ne voulait surtout par le rencontrer ! Je le comprends, Bob devenu réel, un simple mortel de chair et d'os, le mythe avait toutes les chances de s'évaporer !  Sage décision donc, la déception n'est jamais loin lorsqu'on rencontre son idole. Tel ce jeune homme, grand gaillard super costaud, qui, de passage au Festival de Cannes, se faisait une joie d'approcher le comédien « baroudeur » Bernard Giraudeau, mais qui, tombant presque par hasard sur lui, fut stupéfait que de constater que son idole lui arrivait à peine à l'épaule ! Tout un monde d'images s'écroulait soudain.
 
   Maintenant Léo Ferré a disparu, on peut lui prêter n'importe quelles pensées, c'est pratique.
Et rien n'empêcherait quelqu'un d'affirmer que Léo aurait détester le travail du chanteur évoqué plus haut, tout aussi péremptoirement que Robert la Science affirme le contraire.
   Une seule certitude cependant avec Léo, question taille pas de surprise, il n'y a pas grand-monde qui lui arrive à la cheville.

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C'est la fête

    La fête du chanteur ou de la chanteuse est à la mode. Tout a commencé je crois dans un festival   de chansons très renommé ( à la Rochelle) où les jeunots célèbres faisaient la fête à un ancien encore plus célèbre, la fête à Léo (Ferré) par exemple.

   Ceux de la marge, les oubliés du show business, s'y sont mis aussi et les « fêtes à » une telle ou un tel pleuvent. Mais comme ce petit monde cultive l'entre-soi, sans doute pour se tenir chaud, on retrouve toujours les mêmes ! A la fête des uns participent les autres qui, fêtés à leur tour, inviteront ceux qui les avaient invités. Ils se fêtent et s'entre-fêtent, comme la sous-préfecture de Brel fête la sous-préfète (Je suis un soir d'été).

  Disons pour faire court qu'on n'y retrouve toujours les mêmes (vieilles barbes) de la chanson de  qualité, des copains quoi, qui font bloc contre l'absence de succès et de grandes carrières.

   On peut difficilement s'en étonner, il se passe dans ce petit monde, après tout, rien de bien différent de ce qui se passe dans les familles, pour les anniversaires, fêtes et autres joyeusetés. Simplement dans ce cas il s'agit de la famille « chanson de qualité ».

    Mais c'est vrai aussi que le récital solitaire de ces habitués des petits lieux de la chanson ne fait plus guère recette, alors en s'y mettant à plusieurs on a plus de chance de décider un public de plus en plus restreint  d'amateurs vieillissants.

    Bon, je m'arrête là, sinon je sens que ça va être ma fête !

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Les Bataves, le latécoère et le doute
 
 
   J'ai assisté pendant deux jours aux auditons/examens des élèves du département chanson de l'ENM de Villeurbanne.
   Chaque élève doit chanter deux chansons de son choix  et s'entretenir ensuite avec le jury composé des professeurs du département.
   Durant l'entretien j'ai été surpris de constater que les élèves étaient capables de chanter avec  conviction des chansons dont le sens de certains mots leur échappaient complètement. S'ils perçoivent le sens général de la chanson (enfin, pas toujours...), ils semblent ne pas vouloir s'embarrasser de détails.
 
   J'ai eu ainsi  le plaisir d'apprendre à la suite d'une interprétation d'Amsterdam (Jacques Brel) que « batave » était un terme maritime, ou du moins un truc qui avait à voir avec les bateaux. Quant à l'image de la femme dans cette chanson, puisque c'était une jeune femme qui avait chanté  je lui ai demandé si cela ne la gênait pas de chanter une chanson où les femmes sont soit des prostituées, soit des infidèles (les deux à la fois peut-être même, dans l'esprit de l'auteur!), mais la jeune chanteuse n'a pas eu l'air de bien comprendre ma question...
 
  Nous avons ensuite découvert, avec une autre jeune interprète, qu'un  Mistral gagnant  (Renaud) est... ben je sais pas, moi... Heu, un souvenir ! Bien sûr ça n'est pas tout à fait faux, mais quand même... la chanson évoque des « bonbecs fabuleux »... je n 'ai osé lui demander de quoi il s'agissait de peur d'entendre parler  d'un oiseau mythique, par exemple...
 
   Je serai plus charitable avec l'élève qui après avoir chanté Le jardin d' hiver (Henri Salvador), chanson dans laquelle il est dit qu'un vieil homme aimerait revoir un Latécoère, a estimé qu'un Latécoère ça devait être... heu... un oiseau peut-être ?  Bon, pas loin... bien essayé ! En fait c'est un avion et Latécoère est le nom de son constructeur, tout le monde ne le sait pas bien sûr, mais enfin, si on rencontre ce nom dans une chanson qu'on a envie de chanter, on peut se renseigner (avec Internet c'est pas difficile), au moins par curiosité.
 
  Bref, je me suis dit que finalement, le texte d'une chanson n'est pas si important que ça et que le charme des chansons, quand elles en ont un, vient d'ailleurs, d'une sensation vague, indéfinissable, une sorte de flou qui permet de  rêver et peut même donner envie de chanter... Après tout pourquoi pas ?   Pour tous les auteurs de chansons qui s'échinent à traquer le mot juste, l'expression qui fait mouche, c'est dommage , mais comme dit Gainsbourg dans sa Chanson de  Prévert, « à cela il n'est rien à faire » !
 
   Ces jeunes gens (ils ont entre vingt et vingt-cinq ans) ont souvent commencé en chantant des chansons en anglais, sans forcément toujours bien saisir ce qu'ils chantaient, ils continuent simplement à faire la même chose avec les chansons françaises.
   L'envie de  chanter dépasse de loin l'envie de comprendre ce qu'ils chantent. On dirait parfois que la chanson n'est qu'un support pour leur voix.
 
   Il est à noter que pendant ces deux jours nous avons entendu par deux fois, avec deux interprètes différentes, Les gens qui doutent, une chanson d'Anne Sylvestre dont on pourrait s'étonner que des gens aussi jeunes la connaissent, mais lorsqu'on sait que Vincent Delerm et consorts l'ont reprise, on comprend mieux. Cela m'a mis un peu de baume au cœur de savoir qu'une chanson pouvait être remise au goût du jour et plaire à de jeunes interprètes, c'est chouette.
 
 Les gens qui doutent... Je n'ai jamais eu des grandes certitudes concernant la chanson en général, simplement des convictions, mais après ces deux jours, je crois que dorénavant je vais quand même grossir les rangs de ceux qui doutent.

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Le piège de la musique
 
  Comme il interrogeait Louis Aragon sur la façon dont Léo Ferré avait mis en musique certains de ses poèmes, un journaliste s'étonnait que le poète ne s'indigne pas des coupes et autres arrangements que Léo s'était permis dans certains textes pour les transformer en chanson.
    Louis Aragon répondit simplement qu'il n'était nullement choqué et que Léo Ferré était un excellent critique, qu'il avait su extraire ce qu'il y avait de meilleur dans ces poèmes.
   J'aime bien cette idée du rôle critique de la musique vis-à-vis de la poésie.
   Peut-être certains chanteurs/ poètes auraient-ils dû s'en inspirer et faire confiance à la musique plutôt que la considérer comme une menace, un piège à éviter. 

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Chanter sans être chanteur
 
 
    Jusqu'aux années cinquante environ, pour faire une carrière d'interprète  et prétendre chanter sur une scène il fallait être doté d'une voix que le public considérait comme légitime, il fallait avoir « du coffre » et un timbre « agréable » ou « original » mais puissant. La qualité de la voix et sa puissance étaient les critères premiers de reconnaissance d'un artiste par le public, c'était l'héritage direct du temps où l'amplification n'existait pas, où il fallait « passer la rampe ».
 
    Avec la généralisation de l'usage du microphone et l'apparition massive des auteurs-compositeurs-interprètes les critères vont changer. L'originalité du répertoire prendra le pas sur la qualité vocale. Les défaillances éventuelles, l'absence de coffre,  ne seront plus un obstacle aux carrières, le public s'habituera aux voix « atypiques ». Les défauts d'hier deviendront même parfois des qualités ou du moins une caractéristique essentielle de l'identité de l'artiste (Brassens, Perret, Renaud etc.).
 
     Aujourd'hui nombreux sont ceux qui composent les chansons qu'ils interprètent. Au-delà du désir sans doute réel de s'exprimer en mariant les notes et les mots, on peut se demander si chanter ses propres œuvres n'est pas aussi parfois la seule solution possible pour chanter « quand même », malgré le handicap d'une voix peut-être banale ou peu remarquable, voire défaillante, qui ne permet pas de se frotter à un répertoire plus exigeant vocalement, comme le faisaient les interprètes d'époques plus anciennes, ou même à celui d'artistes plus récents que leurs particularités vocales rendent difficile à reprendre sans tomber dans la simple imitation ?
 
    A défaut de légitimité vocale, un répertoire sur mesure, qu'on se concocte pour soi-même, peut permettre de chanter malgré tout, comme l'ont fait Brassens ou Renaud, par exemple, sans pour autant se prendre pour des chanteurs.
    On peut aussi espérer rencontrer le même succès qu'eux, mais à condition de faire preuve d'originalité, d'apporter quelque chose de neuf,  et ça, c'est une autre paire de manches.
 
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Ca eut payé

 

   Comme neige au soleil fondent les rayons cd des grandes enseignes jadis spécialisées. Ça ne se vend plus, tout le monde pique les chansons sur Internet, c'est dégueulasse éructent encore quelques saltimbanques à succès  et leurs maquignons qui transpirent. Plus moyen de mettre sur le marché une bonne grosse daube et de se remplir les poches à peu de frais ! C'est con, la poule aux œufs d'or a clamsé !

   Il va falloir vendre autre chose, des produits dérivés, des fringues, les saltimbanques serviront simplement de produits d'appel, de pub pour les marques.

  Bref,  la chanson ne paie plus et pourtant jamais il n'y a eu autant de postulants au succès et de produits lancés sur le marché ! Si quelqu'un peut m'expliquer ce paradoxe, il a gagné un cd de son  choix !

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Une éternelle adolescente ?

    On écrit aujourd’hui les chansons comme on les consomme, c'est-à-dire très vite, toujours fraîches, du jour, sans se soucier de ce qui a été fait avant et sans même chercher à imaginer ce qui pourrait se faire après.

  Le nombre d'auteurs-compositeurs et interprètes est considérable. Il y a tellement de chansons que Bob Dylan lui-même (qui en a écrit un certain nombre) dit aujourd'hui que le monde n'a plus besoin de chansons !

   Les aspirants à la gloire du métier, ou même à la discrétion de ses marges, sont si nombreux qu'on peut voir là un phénomène de société qui peut-être  intéressera un jour les sociologues et historiens du futur.

   Cependant, trop souvent, les chansons qu'ils écrivent ne sont qu'un prétexte à venir faire quelques grimaces sur une scène ou encore à s'amuser à bricoler des « arrangements ». A regarder de plus près on s'aperçoit que les « auteurs » n'ont souvent aucune connaissance du répertoire et de ce qui s'est fait avant eux, ils pratiquent la chanson comme un « art » du jour, spontané, sans passé. Bardés de quelques références  contemporaines qui correspondent aux modes du jour, ils se lancent sur des sentiers battus avec l'impression de réinventer le monde, comme n'importe quel adolescent croit le réinventer avec la certitude d'éprouver des sentiments que personne n'a éprouvés avant lui.

 La chanson n'est peut-être, au fond, qu'une éternelle adolescente ?

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Nostalgie
 
 
  La nostalgie, comme le dit l'étymologie, c'est la douleur du retour, le regret douloureux d'être loin de l'endroit auquel on appartient, ça s'appelle aussi mal du pays. Par extension c'est devenu toute forme de regret douloureux du passé.
 
   C'est un sentiment connu de tout le monde et abondamment  décrit par la littérature, la poésie, le cinéma et dans pas mal de chansons évoquant l'enfance ou encore le déracinement. Cependant on appelle la nostalgie à la rescousse, d'une façon à mon avis souvent abusive, pour qualifier n'importe quelle chanson, pourvu qu'elle ne soit pas légère, dansante et enjouée, voire rigolote.
 
  Même si elle ne parle pas du passé (ou même si elle en parle, mais sans douleur ni regret), il lui suffit d'être grave, émouvante, pour être classée au rayon « nostalgique ».
 
    Je me demande si ce qu'on appelle si facilement « nostalgie » en chanson, ça n'est pas tout simplement le sentiment de manque, d'aspiration à, d'incomplétude qui s'y trouve exprimé parfois ?
 
   Cette espèce de désir latent, de sentiment d'une absence, porte un nom dans toutes les langues, c'est le Sehnsucht des Allemands, la Saudade des Brésiliens, le Blues des Américains etc. Ces mots-là présentent la caractéristique commune d'être réputés intraduisibles, de faire état chacun dans sa culture d'un sentiment irréductible à aucun autre dans une autre culture, malgré une certaine proximité de sens. Les traduire c'est les trahir et ne pas rendre compte de leurs nuances et leur richesse, en français on les traduit donc souvent par « nostalgie », un mot commode et imparfait, qui peine à rendre compte de ce qu'il voudrait exprimer, comme il peine à rendre compte de l'état d'esprit de chansons qui ne font que dire, après tout, la difficulté de la condition humaine.
 
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Robert

  Nous  l'appellerons Robert, pour situer à peu près la génération à laquelle il appartient. Robert est un amateur de chansons, de qualité, extrêmement disert qui intervient un peu partout sur le Net pourvu qu'on y parle chanson. Il y cultive d'ailleurs davantage sa détestation du show-business et de ses stars plutôt que son amour de la « bonne » chanson .

   Cette détestation est si importante pour lui qu'il pousse le vice jusqu'à se rendre chez Virgin par exemple, pour s'indigner de ne pas y trouver en rayon les chanteurs et chanteuses inconnus, ou presque, qu'il affectionne. Mais où sont nos disquaires d'antan ?

   Il voue aux gémonies le pauvre vendeur du rayon chanson qui ignore comment s'orthographie le prénom de Michèle Bernard (au féminin ou au masculin ?) ou encore qui ne sait pas, le sombre crétin, que l' Alain de Leprest s’écrit avec deux « l » ! Ces types ne connaissent pas leur métier, c'est dégueulasse ! Mais où sont nos disquaires d'antan ?

   Aujourd'hui Virgin va fermer ses portes et licencier ses vendeurs ignorants. Je ne sais pas s'il  y a une relation de cause à effet  entre la visite de Robert et le fermeture de l'enseigne, mais si j'étais vendeur « chanson » à la Fnac, j'aurais les chocottes de voir se pointer Robert dans mon rayon, ça sentirait le début de la fin. Mais où sont nos disquaires d'antan ?

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Une autre confidence

   La chair est triste hélas et j'ai lu tous les livres, écrivait Mallarmé. Pour ma part j'ai parfois l'impression d'avoir entendu toutes les chansons.

   J'ai toutes les peines du monde à en écouter encore de nouvelles sans les arrêter avant la fin. Après quelques mesures et quelques mots, j'ai l'impression que tout est dit, qu'il est inutile de poursuivre.

   C'est bien entendu navrant, mais je suis navré plus encore par la prose des amateurs de chanson dite de qualité dont les propos m'échappent chaque jour davantage. Entre la détestation de certains chanteurs et l'admiration sans borne et inconditionnelle d'autres, j'ai bien du mal à déceler dans tout ça un minimum de cohérence, quelque chose qui échapperait aux réactions passionnelles et épidermiques.

 J'ai râlé plus souvent qu' à mon tour pour réclamer  la naissance d'une véritable critique dans le domaine de la chanson, comme on en trouve (de moins en moins cependant)  dans le domaine du cinéma, par exemple. Aujourd'hui, j'en suis bien revenu.

   Non, finalement les chansons ça se chante, s'entend ou s'écoute parfois, et c'est tout . Ça entre par une oreille  et ressort par l'autre, quelquefois ça va un peu plus profond, surtout pendant le jeune âge, ça traverse une génération ( et encore, est-ce bien certain,) puis on passe à autre chose. Chacun les siennes, son petit hit parade perso.

   Faire des commentaires sur le sujet n'a, pour ma part, plus vraiment de raison d'être. C'est comme un chewing-gum, on le mâche et remâche mais il faut bien admettre au bout d'un moment qu'il n'a plus de goût du tout.

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Un chanteur hérissé...

Intemporel ?

 Les artistes sont orgueilleux, je crois l'avoir déjà dit dans ces pages. Autant ils sont prompts à se tortiller de plaisir et ronronner sous les louanges, autant ils se hérissent au moindre commentaire qui ne leur semble pas aller dans ce sens.

  Rappeler qu'un artiste, quel qu'il soit, appartient à un courant et que son style peut éventuellement « faire penser à », tout cela est généralement mal vécu par lui. Chacun se rêve tombé des cieux, en créateur original.

   J'avais écrit au sujet de l'un d'eux, qu'il était un des plus beaux fleurons d'une résurgence de la chanson dite Rive gauche (c'est-à-dire celle qu'on entendait dans les cabarets parisiens sur la rive gauche dans les années cinquante et soixante), mais je m'étonnais qu'un artiste de sa génération ait,  semble-t-il, échappé à la tourmente musicale venue d'Amérique et d'Angleterre dans les années soixante. En soi cela n'a rien d’infamant et pour moi ça n'est qu'une affaire de style, cela n'a rien à voir avec le talent (et celui de l'artiste en question est grand), même si d'autres artistes plus jeunes proposent aujourd'hui des façons de faire plus novatrices, à mon goût.

   Personnellement je ne serais ni étonné ni fâché qu'on me dise que je viens du style « folk » des années soixante-dix, des chanteurs à la guitare de cette époque (Graeme Allwright, Guy Béart, et les Anglo-américains du même métal), c'est effectivement de là que je viens, c'est le style de chansons qui me touche et que j'ai fait mien, Bien sûr il n'est pas vraiment à la mode, d'autres ont réussi à explorer des voies nouvelles depuis (Bashung, Souchon, puis Camille aujourd'hui, par exemple).

   Ce chanteur-là, hanté comme tout un chacun  par l'idée d'être considéré comme « ringard », d'appartenir au passé, m'a alors longuement expliqué que la chanson telle qu'il la pratiquait n'était pas Rive gauche ou quoi que ce soit, mais intemporelle ! Que personne n'inventait jamais rien, que tout n'était que recyclage.

   Pourquoi pas ? Chacun s'en sort comme il peut avec son vieillissement, et il peut même croire qu'il ne sera jamais vieux si ça lui fait plaisir.

   Pour ma part, j'ai la faiblesse de croire que je suis tout à fait temporel, que j'appartiens à une génération et à un contexte social qui m'a façonné, comme tout le monde. Et « ma » culture, patiemment et difficilement accumulée, est vieillissante, même si je le regrette, mais il n'y a rien à y faire, l'intemporalité n'existe pas.

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Tachan touchant

 

   Henri Tachan est un vieil homme aujourd'hui, et il ne veut plus chanter, il est fatigué,  il le dit à la fin d'une interview qui  fait l'objet d'un DVD que son réalisateur, Christophe Régnier, a eu grand peine à financer.

Il dit aussi qu'il est heureux que ce film voit le jour parce que cela laissera une trace pour sa famille  ses amis et les gens qui ont parfois fait des kilomètres pour venir l'écouter chanter. Pour lui même, cela semble n'avoir pas grande importance. C'est une belle leçon de  modestie de part de quelqu'un qui fut une vedette de la chanson. Il semble revenu de bien des choses,  peut-être est-ce le privilège de l'âge. Aujourd'hui il est oublié, au point qu'il faut lancer une souscription pour réaliser un DVD consacré à sa carrière. Dure réalité d'un métier qui n'en est pas vraiment un et volatilité du succès.

 

On trouvera les renseignements sur ce DVD sur le site de Christophe Régnier.

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Triste sort du professeur !

Les élèves qui se forment, ou continuent à se former, auprès de ma pomme tout en pratiquant déjà  la scène, et l'enregistrement d'albums, sont nombreux. Ils mènent leur vie d'artiste avec plus ou moins de succès et ils viennent régulièrement se « ressourcer » ou même se « sourcer » dans mes cours, avant de voler vers de nouvelles aventures et s'en aller défier l'avenir. Tandis que moi, je rentre chez moi,  pour écrire et parfois écouter les chansons de Pierre Delorme qui vivent leur vie tant bien que mal, sans se faire remarquer, plutôt dans l'indifférence générale. Comme je trouve la situation un peu cocasse parfois, pour ne pas dire blessante, j'ouvre une bonne bouteille et je ris de la situation pour n'en pas pleurer, car cela choquerait certainement mes chers élèves, dont les plus téméraires ont à peine osé une oreille distraite du côté de mes oeuvrettes. Triste sort du professeur !

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Entre l'orgueil et l'humilité 

   Les artistes sont souvent très orgueilleux, même s'ils le cachent bien et affichent généralement une modestie dont on devine vite au détour d'une phrase ou d'un commentaire qu'elle n'est que de façade.

    On ne saurait leur en tenir rigueur. Comment se vouloir artiste, se choisir en artiste (car on n'est jamais artiste contre son gré) sans l'orgueil nécessaire pour passer outre sa timidité première et chercher à s'imposer ? Il faut de l'orgueil et de la ténacité pour faire sa place. Celui qui n'est pas sûr de lui restera dans l'ombre. L'orgueil est aussi sans doute une forme suprême d'inconscience qui permet  de passer outre les modèles parfois écrasants de nos aînés. Sans lui on ne ferait rien.

  Cependant cet orgueil nécessaire est insuffisant s'il n'est pas contrebalancé par une grande humilité, vis-à-vis justement de la tradition et des maîtres qui se sont illustrés dans la discipline qu'on a choisie. L'orgueil est le moteur nécessaire pour oser sortir de son trou, mais l'humilité le carburant pour progresser. Le problème est le rapport entre ces deux pôles, c'est une question d'équilibre.

  Dans ma génération, en ce qui concerne la chanson,  la puissance d'expression d'un Brel ou d'un Ferré, l'invention et la rigueur prosodique et mélodique d'un Brassens, en ont fait des modèles  écrasants dont il a été difficile de se défaire. Nous en sommes-nous d'ailleurs jamais défaits ? Disons qu'il a fallu au moins un certain temps pour accepter de n'être que soi-même, aussi décevante cette acceptation fût-elle.

 On rêve d'être Verlaine, enfin sublime

On n'est que soi, c'est décevant  

(Jean-Roger Caussimon, Il est minuit)

    Chacun son inaccessible étoile, pour le chanteur ça peut être Jacques Brel, pour le jazzman John Coltrane ou Miles Davis, pour le peintre Picasso ou Rembrandt , pour le poète Rimbaud, pour le romancier Céline ou Proust et ainsi de suite... Chacun s'arrange pour se frayer un chemin entre son orgueil et son humilité et tâcher de faire le mieux possible selon son talent.

 On pourra toujours se réconforter en se souvenant que Schubert vouait une admiration sans bornes à Mozart et qu'il disparut prématurément avec le sentiment de n'avoir finalement encore rien composé de valable en regard de son aîné.

  Schubert, ça n'est pas si mal, non ?

 

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Canetti et Brassens

   Jacques Canetti, grand accoucheur de chanteurs à texte […] :  Je continue à penser que la chanson ne peut s'épanouir que grâce à la musique. Il y a quelqu'un qui m'a donné complétement raison : Brassens. Vous vous souvenez de cette longue interview où Jacques Chancel lui a demandé : «  Georges, à votre avis, qui vous a servi le plus dans votre carrière, vos textes ou vos musiques? » Brassens, avec son beau regard, lui a dit : « Vous plaisantez ? Uniquement les musiques. » Et    Chancel stupéfait ! « Oui, a ajouté Brassens, je considère que mes musiques ont crée le climat nécessaire pour écouter , par la suite, le texte. »

Jacques Canetti, interview dans Je chante, n°15, 1994. (in Le cabaret « rive gauche », Gilles Schlesser, L'archipel, page 97)

 

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La poésie courante

   Il y a des auteurs-poètes de chansons qui écrivent comme on ouvre le robinet pour avoir de l'eau. Ils ont chez eux la « poésie courante ». On sent bien dans leur écriture une sorte de flot continu, leurs vers se ressemblent tous, à quelques variations près de débit et d'intensité, cela va du filet d'eau jusqu'au jet puissant qui remplit les bassines ou même inonde, mais ça ne reste jamais que de l'eau courante, toujours recyclée.

   Jean de La Fontaine disait de lui-même qu'il faisait des vers comme le pommier fait des pommes, signifiant par-là que l'écriture lui était en quelque sorte « naturelle », comme elle est naturelle sans doute aux auteurs-poètes de chansons évoqués plus haut.

   Bien sûr Jean de La Fontaine était un génie (la longévité de ses œuvres le prouve), mais tout le monde n'a pas de génie et une plume qui coule à flots, même talentueuse, ne saurait en tenir lieu.

    Cependant, il existe une autre sorte d'auteurs qui, même s'ils ont peut-être aussi la poésie courante chez eux, s'en méfient comme de la peste, comme ils se méfient peut-être même des pommiers, ils préfèrent aller creuser des puits ailleurs, dans des régions peu courues et même  désertiques, parfois ils trouvent l'eau, ne serait-ce que quelques précieuses gouttes, de quoi étancher leur soif,  et d'autres fois ils ne trouvent rien du tout.  Mais cette flotte qu'ils trouvent, quand ils y parviennent, ne sort pas des circuits et n'est pas recyclée. C'est une eau nouvelle qui demain deviendra courante, qui sait ? Peut-être même irriguera-t-elle des pommiers ? 

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En tramway (nouvel exercice de modestie)

  Le wagon était presque vide, nous y étions assis ma compagne et moi-même. Nous rentrions at home après le cinéma. Comme nous approchions d' une station, un type se lève au fond du wagon et se tient debout devant la portière, prêt à descendre.

   Au dernier moment il se tourne vers moi ( nous étions assez loin l'un de l'autre mais comme il y avait peu de monde dans le wagon j'ai compris qu'il s'adressait à moi), il me dit  : « Le tata sénégalais? », surpris, je réponds un vague « oui » en hochant la tête. Le tramway s'arrête. «  Très belle chanson! » enchaîne le type, puis il descend et disparaît.

  Le tramway redémarre, ma compagne me sourit et moi, à peine remis de ma surprise, je me dis dans un accès d'enthousiasme: « Je savais bien que n'écrivais pas des chansons pour rien! ».  Mais soudain, craignant d'avoir pensé trop fort et d'être pris en flagrant délit d'immodestie, je regarde  les visages des autres voyageurs...Ouf, personne ne s'était aperçu de rien ! Les grandes douleurs sont muettes, les grandes carrières aussi.

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Être artiste 

Être artiste n'est pas une sinécure, c'est un job terrible, l'inspiration peut même être un fardeau, témoin l'anecdote suivante :

   Au cours d'un débat, comme seules les années soixante-dix surent produire, le dialogue s'engagea entre un auteur de chansons inconnu ou presque et un ouvrier d'usine. Comme le deuxième faisait remarquer  au premier que « faire chanteur » c'était quand même plus facile que bosser à l'usine, il s'était entendu répondre du tac au tac : « On voit bien que ça n'est pas toi qui es obligé de te lever en pleine nuit parce que tu as une idée de chanson! ».

   C'est évidemment caricatural mais parfaitement authentique. L'ouvrier était resté coi, ça lui en avait bouché un coin! Moi itou. 

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Enregistrer sans fioritures, à l'os...

 

   Enregistrer ses propres chansons dans un studio, sans les noyer dans un flot de notes plus ou moins arrangées et plus ou moins gratifiantes, mais en restant confiné à l'essentiel (à l'os, ou au nerf, comme dit), c'est se trouver confronté à ses propres limites, son absence de génie, de grâce  et de légèreté. A la sortie on a l'impression de laisser derrière soi un champ de ruines, dans lequel on erre ensuite longtemps pour chercher ça et là les éclats de la beauté qu'on n'a pas réussi à maîtriser ou simplement atteindre. Chaque album est une défaite. Cependant on recommencera quand même, comme fait le joueur invétéré.

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Paroliers sans musique

 

Les textes sans musique des paroliers sont comme des bateaux amarrés dans un port. Ils attendent le musicien qui leur fera prendre la mer. Pour un naufrage immédiat ou de belles traversées des esprits.

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Le cadeau

 

Qui fait un cadeau à qui?

 

   Souvent dans la prose des fans de chanson (de qualité ou non) on trouve l'idée d'un « cadeau »  que l'artiste ferait au public, cadeau d'un nouvel album, d'une nouvelle chanson. Cette histoire de cadeau me laisse un brin perplexe quand même...

    De tous les artistes que j'ai connus il ne me semble pas en avoir vu dont le souci premier était de faire un cadeau au public en écrivant de nouvelles chansons, mais simplement de satisfaire leur besoin d'expression, égoïstement et uniquement, voire gagner leur vie tout simplement.

J'ai toujours pensé que si cadeau il y avait, c'était bien le public qui en faisait un à l'artiste. Pas seulement le cadeau, non négligeable, du prix du billet ou du disque, mais surtout le cadeau de sa présence, le cadeau de s'intéresser à son travail et de le reconnaître comme artiste, finalement le cadeau de se constituer en public, sans lequel l'artiste n'existe pas.

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Dans mon tombeau

 

Hier, j'ai rencontré une vieille connaissance que je n'avais pas vue depuis pas mal de temps, plusieurs années peut-être. Comme elle me demandait si j'écrivais toujours des chansons, je lui ai répondu sans réfléchir que maintenant le pli était pris depuis si longtemps que j'écrirai toujours, jusqu'au tombeau, et que, peut-être, même une fois dedans je continuerai à gribouiller mes chansonnettes ! Elle a bien ri et moi aussi, tout en étant interloqué par ce que je venais de dire. Parfois (pour ne pas dire toujours) les mots parlent à notre place et disent ce qu'ils veulent, les pensées étranges nous traversent, comme un courant d'air une pièce vide.

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Toute ma vie

 

    J'ai pensé aux chansons toute ma vie, et peut-être n'était-ce après tout qu'une façon de ne pas penser à autre chose.

 

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La musique

On en passe des heures à s'expliquer avec la musique, à triturer les notes dans  tous les sens pour essayer de leur faire dire quelque chose, même un petit quelque chose...

On peut avoir parfois l'impression d'y parvenir à ce petit quelque chose, mais rien n'est moins sûr !

Qui y est arrivé  jamais  au fond ? Bach, Mozart, Miles Davis, un anonyme auteur de  chansons ?      Chaque époque les compte sur les doigts d'une main ceux qui ont su la faire parler ! Les autres, elle les traverse et parle à leur place, comme un ventriloque fait avec sa marionnette.

 

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Pourquoi sont-ils si nombreux ?

 
   Dans son blog consacré à la chanson, Nos enchanteurs,  le journaliste Michel Kemper a la bonne idée d'ouvrir ses colonnes à des passionnés de chanson de diverses régions de France. C'est l'occasion de découvrir des chanteuses et chanteurs parfaitement inconnus au plan national, mais qui jouissent d'une petite notoriété locale, parfois naissante et d'autre fois plus ancienne. Ce sont eux qui font vivre les rares petits lieux chanson disséminés sur le territoire.
 
   Le vivier de ces chanteurs, plus ou moins en herbe, est considérable. On peut se réjouir  de cette vivacité et du fait que tant de jeunes (ou moins jeunes) gens éprouvent le besoin de s'exprimer en chanson. C'est une bonne chose, chacun à bien le droit de s'exprimer dans l'activité de son choix.
 
   Là où le bât blesse, c'est que tous ont l'ambition d'en vivre, ce qui est impossible bien sûr. Dans une société donnée et à un moment donné, il ne peut y avoir qu'un nombre limité d'artistes professionnels. C'est une évidence. Cependant le nombre de prétendants au « métier » est toujours plus important, au point qu'on peut se demander les raisons de cet accroissement... voire engorgement au portillon d'accès au métier.
 
    Les chances de réussite, même relative, sont extrêmement minces, alors qu'est-ce qui les pousse à se lancer quand même ?  Les illusions propres à la jeunesse ? Une forme d'inconscience ?
  Sans doute un peu les deux et pourquoi pas une sorte de facilité aussi ? 
 
   Les jeunes garçons qui rêvent de devenir joueurs professionnels de  football, par exemple, sont légion, cependant les critères d'aptitude physique et d'adresse auxquels ils se confrontent mettent rapidement fin à leurs illusions, et c'est la même chose pour des tas de carrières prestigieuses. Dans la chanson l'absence de critères précis permet tous les espoirs. La médiocrité vocale et technique de certains qui ont réussi à franchir la rampe encourage sans doute cette impression et chacun peut se dire « pourquoi pas moi, aussi? » Les modèles sont très accessibles. C'est plus facile de chanter comme Vincent Delerm ou Bénabar que de jouer comme Zidane.
  
   C'est un domaine où la réussite semble davantage basée sur le hasard et la ténacité que sur le talent. En gros, cela ressemble à une loterie où n'importe qui peut décrocher le gros lot. Que la chanson soit de type dit « formaté » ou dit « de qualité » le rêve et l'ambition sont les mêmes. Peut-être les télé-crochet et l'idée de promotion sociale rapide ont aussi leur part de  responsabilité, plus ou moins consciente, dans  ce phénomène massif.
 
  Tant mieux pour les ceusses férus de chansons qui y trouvent leur compte. Cependant à côtoyer depuis de nombreuses années pas mal de ces jeunes gens et discuter souvent avec eux, il me vient aussi parfois l'étrange idée que les raisons de l'engouement pour le métier de la chanson sont peut-être plus tristes et négatives que ça : je me demande si ça n'est pas simplement parce qu'ils n'ont pas trouvé ailleurs, dans d'autres disciplines, de quoi se passionner suffisamment, qu'ils  veulent être  « artistes » ? Finalement plus par défaut que par véritable vocation, pour échapper à d'autres activités qu'ils imaginent forcément très routinières, peu flamboyantes.
 
    Aussi bizarre que puisse paraître cette question, je crois qu'elle peut être posée.
  
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La discothèque idéale

 
   Souvent, l'amateur éclairé de chansons ( c'est-à-dire celui pour qui elles ont de l'importance et qui ne se contente pas de les entendre distraitement en épluchant des légumes ou en conduisant sa voiture) éprouve le besoin de dresser la liste des cd qui constituerait la « discothèque idéale ».
 
  C'est chouette d'avoir un idéal, même pour sa discothèque, mais la caractéristique d'un idéal est de rester un fantasme. Une fois atteint il devient la simple réalité. Un idéal c'est un château en Espagne ou la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté,  la liberté, l'égalité et la fraternité, bref quelque chose d'inatteignable.
 
   Or la discothèque idéale de l'amateur n'a rien d'inaccessible puisqu'elle est composée de disques que généralement il possède déjà. L'entreprise consiste plutôt à éliminer tous les disques qui ne sont pas admis à en faire partie. Avoir une discothèque idéale ne semble donc pas bien difficile à réaliser. C'est une affaire de tri, de choix maniaque, une sorte d'épuration.
 
   Bien sûr la discothèque idéale, pure des disques moyens (ou même mauvais) en quelque sorte,  est  par nature éminemment subjective, composée des albums qu'on préfère. C'est une sorte de hit parade personnel dont on se demande bien à quoi il peut servir ?
 
   Cherche-t-on à affirmer ses goûts ? Affirmer leur pérennité malgré les évolutions dues à l'âge et à l'environnement qui change ?  Se rassurer sur la cohérence de sa personnalité dans le temps ? Veut-on simplement fixer des points de repères qui nous permettent de nous sentir un peu moins changeants ? Faire le point ?
 
   Ça fait beaucoup de questions pour ce qui finalement n'est peut-être qu'un jeu, un écho du monde dans lequel nous vivons où l'on trie, élimine, classe, hiérarchise tout le temps, et en particulier dans le monde culturel médiatisé : les  « le plus grand de tous les temps »,    les « indépassables », les  « culte », « du siècle », « du monde » «  absolu génie », j'en passe et des  meilleurs, fleurissent tous azimuts, jusqu'à la fameuse « chanson du siècle » qui change tous les dix ans ou même plus souvent encore. 
 
   C'est le règne du superlatif et du vocabulaire excessif. Dans le domaine de la peinture, il y a quelques années, la pub pour une exposition la qualifiait d'événement « qu'on ne reverrait pas de notre vivant »!  Dame ! Il fallait forcément s'y précipiter, qu'on soit sensible à la peinture ou pas, c'était un peu une affaire de vie ou de mort.
 
 Dans une interview on m'a demandé un jour qu'elle serait ma discothèque idéale, je ne savais trop que dire, l'âge des admirations absolues et immodérées étant déjà dépassé depuis belle lurette pour moi. J'ai donc répondu que la discothèque idéale était finalement celle où il y avait encore assez de place pour accueillir de nouveaux disques.
   Et je crois que j'avais bien raison car depuis j'ai découvert pas mal de disques tout à fait dignes de figurer dans une discothèque idéale.
 
 
 
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L'âge et les oeuvres

  Les livres et les films que j'ai aimés dans ma jeunesse ne supportent souvent pas la relecture ou une nouvelle vision, le charme que je leur trouvais a disparu avec celui  que j'étais à l'époque. Mais pas toujours. Certaines œuvres semblent avoir le pouvoir de se régénérer et devenir autre selon l'âge auquel on les relit ou les revoit. Certains livres lus plusieurs fois, à des âges différents de la vie, deviennent chaque fois un autre livre. Peut-être est-ce là une caractéristique des « grandes » œuvres : elles évoluent en même temps que nous, sans doute parce qu'elles sont plus grandes que nous et donc s'adressent toujours à nous, quel que soit notre âge.

Je dois dire que jamais une chanson  ne m'a donné cette impression de pouvoir se renouveler et vieillir avec moi. Lorsque j'écoute aujourd'hui une chanson que j'ai aimée dans ma jeunesse j'entends la même chose qu'à l'époque, comme si elle n'avait rien d'autre à offrir que ce qu'elle avait donné la première fois.

 

   Le miroir renvoie toujours l'image de celui que l'on est au moment où on le regarde, peut-être ces grands livres ou grands films sont aussi un genre de miroirs dans lesquels on peut se regarder  d'âge en âge ?  Alors que les chansons qu'on a aimées ressemblent davantage à un album de photos qu'on feuillette et qui nous parle du passé mais ne nous dit rien sur ce que nous sommes devenus. 

 

 

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Le prix Charles Cros

  J'ai eu la chance, l'honneur, le privilège (comme on voudra), d'obtenir le prix de l' Académie Charles Cros il y a un certain nombre d'années. C'est un prix du disque. Précisons pour ceux qui l'ignorent que ce prix n'est pas unique, il y a un certain nombre de prix décernés chaque année dans diverses catégories de musique par l'Académie.

   Dans mon cas, en ce qui concerne la fierté et l'encouragement que constitue un tel prix, il y prescription depuis belle lurette, c'était en 1984.

  Cependant j'y repense chaque fois que je lis la biographie, ou du moins les jalons de la carrière, d'artistes très célèbres qui ont obtenu le prix Charles Cros à un moment ou un autre. On ne manque pas de signaler cette distinction comme gage de qualité. En revanche dans mon souvenir (peut-être défaillant) obtenir ce prix pour un chanteur peu connu, voire pas du tout, dans les années quatre-vingt, cessait d'être un gage de qualité mais plutôt la marque d'une certaine ringardise. Un animateur de radio, en province, au cours d'une émission à laquelle j'avais été convié, m'avait dit avec un sourire condescendant aux lèvres : « Bon, vous avez eu le prix Charles Cros, d'accord, mais peut-être vaut-il mieux être multimillionnaire  du disque »... et ça n'est pas le cas pauvre plouc, semblait-il vouloir ajouter, mais il se retînt.

   D'une certaine manière les honneurs n'honorent que ceux qui sont déjà honorés et célébrés, ils n'honorent pas les autres, inconnus ou méconnus, qui n'ont aucune légitimité à les recevoir. Dans leur cas ces honneurs sont forcément immérités, puisqu'aucune  célébrité ne les justifie.  Du coup ils sont sans valeur. Un peu  comme un bijou ne prendrait la sienne qu'en fonction de la personne qui le porte.

   Quoi qu'il en soit, la cérémonie de remise des prix reste pour moi un bon souvenir, le buffet était remarquable,  le champagne abondant et frappé à souhait, on pouvait y croiser Serge Gainsbourg ou Jack Lang  leur coupe à la main. Je me souviens aussi y avoir croisé Paul Castanier, l'ancien pianiste de Léo Ferré, que je connaissais un peu. Il avait obtenu lui aussi un prix,  pour un disque de musique instrumentale. Comme il était aveugle, il errait un peu solitaire dans ce cocktail mondain.

Je suis allé le saluer et il m'a dit : « Ah salut, c'est toi, j'ai entendu ton nom  tout à l'heure, qu'est-ce que tu fous là? »

Je me le demande encore...

 
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J'écris des chansons
 
Encore une confidence
 
   J'ai commencé à écrire des chansons à l'âge de dix-sept ans et je ne me suis jamais arrêté depuis. C'est trop longtemps diront certains.
    J'ai aujourd'hui soixante et un ans et j'ai traversé bien des époques différentes, du moins en ce qui concerne les goûts en matière de chanson.
  J'ai vu le rock, puis la pop balayer la vieille chanson à texte des cabarets de la Rive Gauche. La pop a dominé le marché et les goûts un bon bout de temps, chanson industrielle et artisanale confondues. La chanson plus folk dans l'esprit des années soixante a rapidement été dépassée aussi. Pendant toutes ces années la succession des modes diverses était claire, un style chassait l'autre sans ambiguïté.  Aujourd'hui bien malin celui qui saurait tracer des frontières entre les genres et prédire un avenir quelconque à la chanson, une tendance dominante. On a l'impression que tous les styles sont représentés chez ceux qui pratiquent la chanson, qu'ils rencontrent un écho médiatique et la célébrité ou pas.
 
    Cependant par un drôle retour de balancier (ou de retour en arrière, comme on voudra)  c'est cette vieille chanson Rive Gauche, qu'on croyait disparue, qui tient le haut du pavé chez les amateurs de chansons aux goûts plus exigeants. Elle revient  même assez fort chez le pratiquant comme chez l'amateur, y compris chez des jeunes gens qui ignorent tout de ses origines et la croient entièrement nouvelle.
 
      Les chansons actuelles de ce style ont en commun de privilégier le texte et de  gommer de leur musique toute trace de rock ou de pop, sauf à titre humoristique ou parodique.  La musique ne semble être là que pour illustrer le texte.  Le trois temps, valse ou java, règne en maître et gageons que  le « tango » ne tardera pas à faire sa réapparition, en version « comique », comme on le retrouve déjà chez Juliette, grande prêtresse du genre.
 
    Ringards hier, revenus en grâce aujourd'hui, à nouveau dépassés demain, les genres se succèdent dans la confusion, mais finalement sans grande nouveauté et, à part le rap peut-être,  rien de bien nouveau sous le soleil de la chanson depuis mes dix-sept ans.
 
     Quant à moi, je regarde passer les courants comme les vaches regardent passer les trains, en ruminant mes chansons dans mon coin.
 
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Tremplins et concours
 
 
   Les concours pour chanteurs et  autres tremplins pour jeunes talents  fleurissent  tous azimuts. Depuis la capitale jusqu'aux bourgades de province,  au Sud comme au Nord, et même  sur le Net qui est partout et nulle part.
 
    Les radio-crochets des années trente  et les concours de plage, qui dans les années cinquante faisaient florès,  avaient disparu lentement du paysage, les voilà donc qui reviennent en force sous une forme différente et avec une ampleur sans précédent. C'est une sorte de mode, il en fleurit à tous les coins de rue.
 
 Qui n' a pas organisé son petit concours sponsorisé par la banque du coin et le Conseil Général, voire la SACEM qui donnera trois francs six sous ? Sur le Net, c'est encore plus simple, les jeunes « artistes» nous encombrent la boîte mail et la page Facebook avec des  «Il suffit d'un clic, votez pour moi! »
 
   D'où vient cette frénésie du concours ?  Sans doute de ces émissions du style Nouvelle Star ou Star Ac' à la télé (et j'en oublie sans doute beaucoup) ? Ou bien n'est-ce qu'une manière inconsciente pour la collectivité de réguler le flot toujours plus important de jeunes gens qui postulent à la réussite par la chanson ?
   
      Il y a tant de ces concours ou tremplins qu'il est rigolo de lire les CV des jeunes artistes, ils ont tous gagné ou bien été finalistes quelque part, ou encore ils ont obtenu le prix du public, ils ont fait deuxième etc., bref, les récompenses pleuvent !
 
    Elles pleuvent évidemment souvent sur les meilleurs bateleurs d'estrade, sur ceux qui savent ou peuvent attirer l'attention au premier coup d'œil, mais pas forcément sur les meilleurs  créateurs qui ont parfois besoin d'un peu plus de temps et d'attention.
 
   J'ai longtemps râlé contre les chanteurs poètes de ma génération et leur posture un peu hautaine et sans concession, mais je dois avouer que les nouvelles générations  qui passent moins de temps à écrie leurs chansons qu'à (re) découvrir de vieilles ficelles du métier pour amuser la galerie et ramasser des bravos sur scène, me laissent pantois !
 
    Une chose m'inquiète cependant : si effectivement cette abondance de concours de tous ordres pour les chanteurs est la suite naturelle  des émissions très médiatiques de télé-crochet, il y a du mouron à se faire  attendu qu'aujourd'hui ce sont les concours de « cuisiniers » qui  tiennent le haut du pavé. Gageons que dans quelque temps les concours culinaires envahiront tout le pays, subventionnés par les Conseils Généraux et le Syndicat des Métiers de Bouche.  
 
   Nos jeunes postulants à la chanson n'ont qu'à bien se tenir, à moins que d'ici-là ils ne se reconvertissent en apprentis cuistots, d'ailleurs certains connaissent déjà à peu près la recette de la daube, ça sera toujours ça de gagné.

 

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Tout le monde ne peut pas être artiste
 
 Une des élèves de l'ENM de Villeurbanne a écrit une chanson rigolote dont le refrain dit « y a trop de chanteurs »! On peut se demander si elle n'a pas un peu raison ?
   Témoin cette conversation à l'école avec les jeunes chanteurs  sur les difficultés du  métier et le peu de débouchés offerts, les aléas d'une carrière et les aménagements ou reconversions possibles, comme, notamment, professeur dans une école de musique .
 Moi : «  Attention, tout le monde ne peut pas devenir prof non plus, il n'y a pas assez de postes... »
  Un élève, un peu désabusé : « Oui, et puis en même temps,  tout l' monde peut pas être artiste non plus. ..»
  Sagesse ?
 
    Même si tout le monde devrait pouvoir développer ses capacités artistiques, c'est sûr qu'il n'y a pas assez de place pour que tout le monde en fasse son gagne-pain.
 
   À cette phrase de chanson qui dit « y a trop de chanteurs » mon ami René a réagi et fait remarquer très  judicieusement  qu'il faut se méfier du mot « trop » lorsqu'il s'agit de catégories humaines. C'est la sagesse même. Cependant il a ajouté que s'il y avait beaucoup de chanteurs, il  y avait en revanche  bien peu de chansons, et ça, je crois bien que c'est encore de la sagesse.

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Les trous de mémoire 
  
Lu dans un blog consacré à la chanson.
 
 Un fan béat de chanson de « qualité » a assisté à une soirée qui l' a bouleversé, une soirée pleine de chansons et de chanteurs, il en tremblait encore d'émotion au moment de prendre la plume pour témoigner de l'exceptionnel moment auquel il avait assisté. Tout était si beau durant cette soirée que même les trous de mémoire des artistes étaient beaux et donnaient des œuvres une vision nouvelle. Je cite :
 « Les trous de mémoire deviennent alors de véritables cadeaux du moment présent : en survenant au détour d’un texte sublime, ces petites faiblesses passagères offrent à l'œuvre une dimension nouvelle, prenant en compte et à revers un public qui se fige en même temps que le temps suspend son vol. »
 
C'est pas beau ça ?  À quand les fausses notes qui donnent une dimension nouvelle à Mozart ? Et les trous de mémoire et autres bafouillages qui éclairent Tartuffe sous un nouveau jour ?
 
   On savait que la chanson industrielle n'a que faire de la critique et qu'elle se contente d'articles de promotion, on se disait que la chanson non médiatisée et dite « de qualité », mérite peut-être mieux, c'est-à-dire une véritable critique, même au sein de modestes blogs ...Mais non, si « critique » il y a, elle reste à un niveau infantile et se résume à des exercices d'admiration sans bornes, où les artistes sont tous « immenses », « grand Monsieur et grande Dame » de la chanson (à condition quand même qu'ils soient un peu vioques) et où ils font « cadeaux » de nouvelles chansons à un public énamouré, bref tout ça dégouline d'un trop plein d'admiration et d'émotion qui déborde, faute sans doute de pouvoir s'épancher ailleurs.
 
   Bien sûr ça ne mange pas de pain, mais pour ma part, je me dis que finalement lire la prose d'un fan d'Anne Sylvestre ou de Pascal Obispo ça devient hélas la même chose, pour peu que le fan gobe tout sans distinction et sans esprit critique dans un grand élan d'amour  et d'admiration pour « son » ou « ses » artistes. C'est un peu navrant, mais, après tout,  peut-être devrais-je profiter d'un trou de ma mémoire pour essayer voir tout ça sous un jour nouveau ?
    Ou simplement l'oublier, ce qui serait plus sage.
 
 
 
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Ecouter les galettes en boucle !

 
    Jeunes chanteurs, méfiez-vous ! Si un ami ou un parent vous dit qu'il écoute en boucle votre cd, ou plutôt votre « galette »  et qu'il se « régale », c'est souvent qu'il n'ose pas vous dire que votre cd l'emmerde et qu'il ne l'a même pas écouté jusqu'au bout !
 
  Je sais bien tout cela car ce sont les mots que je choisis également moi-même  pour me tirer de cette situation gênante où, quand quelqu'un vous a envoyé un cd, il faut dire un petit quelque chose en guise de remerciement. Car bien sûr on ne peut pas dire : merci pour le cd  mais ça n'était pas la peine, je l'ai rangé au fond d'un placard d'où il n'est pas près de ressortir, sauf s'il y a un vide grenier un jour dans le quartier.
 C'est la même chose avec les « super ton cd » ou encore  « sympa ton truc », ou encore « j'adore »  et j'en passe !  N'en croyez rien, tout ça manque trop de précision pour être honnête.
 
    En revanche vous pourrez commencer à prendre au sérieux votre interlocuteur s'il vous cite quelques chansons en particulier, c'est déjà mieux. Méfiance cependant car il a peut-être simplement relu en vitesse  la jaquette du cd en prévision de votre rencontre, pour avoir un truc à dire.
Une anecdote personnelle à ce sujet :   un élu de la ville où j'habite avait acheté un de mes cd, Chansons toutes nues, et dans lequel figurait une chanson intitulée Louise, quelque temps plus tard, je le rencontre, il me sert la louche, met en route sa mémoire très rodée de politicien professionnel et après un temps me dit : « j'ai  bien aimé votre disque Louise  toute nue » ! J'ai trouvé son effort de mémoire très remarquable, je me suis dit « chapeau l'artiste » ! Mais dans le domaine  « faux derche »  les politiciens sont hors concours, si je peux dire,  et de toutes façons ils achètent rarement nos cd.
 
   Si cependant quelqu'un  vous dit ou vous écrit qu'il a été bouleversé par telle chanson, alors là vous tenez le bon bout, surtout s'il ajoute que telle autre chanson est très émouvante, mais que telle ou telle autre il aime moins, en gros qu'il n'aime pas tout, vous avez  à faire à quelqu'un qui a écouté votre cd, et plutôt  deux fois qu'une.   Mais bon, attention encore, ça peut être aussi un menteur rompu à toutes les stratégies de flagorneries de music-hall, comme je commence à être moi-même !
 
  Bref, si tout cela vous fatigue et vous paraît quand même trop incertain comme méthode d'évaluation de la sincérité de ceux qui vous parlent de  votre cd,  consolez-vous en  vous disant que ceux qui ont vraiment écouté et peut-être aimé votre travail, ont apprécié en silence car l'émotion véritable dans le domaine de l'art est indicible et donc se passe de commentaire ! 
    Même si cette idée, je le reconnais, semble assez oiseuse, on peut toujours la faire tourner en boucle dans sa tête et finir par y croire, on ne sait jamais.
 

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Que voulons-nous vraiment ? (suite)
 
    Dans le domaine du cinéma il y a les cinéphiles, qui ont  une véritable culture cinématographique et une capacité d'analyse qui leur permet de comprendre ce qu'ils voient et d'exercer leur esprit critique, et il y a aussi les cinéphages, ceux qui  gobent un peu tout sans distinction.
 
   Dans le domaine de la chanson les chansonophiles sont assez rares, les chansonophages en revanche y sont légion, notamment dans le domaine de ce qu'on a coutume d'appeler la « bonne » chanson, domaine assez mal aisé à définir, mais dont le trait commun à toutes les chansons qu'on y trouve est de ne pas ressembler à la production industrielle courante qu'on entend dans les médias. Les chansonophages de « bonne » chanson bouffent à peu près tout, sans distinction ni de style ni d'époque, et sans exercer vraiment leur esprit critique,  préférant s'abandonner tout entier au simple plaisir de la délectation et de l'émotion. Pourquoi pas ?
 
   Ce qui m'ennuie, est que l'autre chanson, celle de la télé et de la radio, fait figure chez eux de véritable repoussoir, mais parfois dans de telles proportions que je finis par me demander si ce qui l'emporte dans leur esprit est l'amour de la  bonne chanson  ou la détestation de la chanson dite de variétés, bref celle qui est médiatisée ?
 
  Il m'arrive aussi de me demander si  cette  chanson médiatisée, tellement honnie par eux, ne sert pas simplement de défouloir à toutes leurs frustrations existentielles, qui n'ont pas forcément grand-chose à voir avec la chanson ?  Comme je me demande parfois si l'absence de reconnaissance médiatique  du genre de chanson qu'ils aiment et l'indignation qu'elle provoque chez eux ne servirait pas de  simple exutoire à leur propre absence de reconnaissance sociale ?
 

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Que voulons-nous vraiment ?

  Toujours, ou presque, dans les débats sur la chanson actuelle, on finit par tomber sur quelqu'un qui dans ses arguments (en faveur de la chanson à texte qu'on n'entend plus dans les médias ) explique que si quelqu'un comme Georges Brassens apparaissait aujourd'hui il ne pourrait pas se faire connaître.
   C'est tout à fait vrai et c'est sans doute pour cette raison que Georges Brassens a choisi d'apparaître au début des années cinquante! Il n'était pas con ce Georges Brassens !
 
   Plus sérieusement, les artistes (je veux dire les grands artistes novateurs) ne sont pas des êtres intemporels qui tombent du ciel au hasard des époques, mais ils sont produits et façonnés par elles, comme nous le sommes nous-mêmes.  Et si les « Georges Brassens »  d'aujourd'hui restent dans l'ombre c'est sans doute parce qu'ils sont sacrément en retard, ils appartiennent  au passé.  C'est qu'il en a coulé du rock, du folk et du jazz dans les sillons depuis les années cinquante, n'avons-nous donc rien entendu, rien vu ? Où étions-nous ?
  
   Aujourd'hui il apparaît d'autres chanteurs qui ne sont pas "comme Georges Brassens", ils sont d'un tout autre style, celui de l' époque présente. Certains seront dans l'avenir l'équivalent de ce que Georges Brassens fut, et demeure, pour nous, mais sommes-nous capables de les entendre ?
 
  Les critiques à la fin du 19ème siècle pensaient le plus sincèrement du monde que les Impressionnistes peignaient comme des cochons, l'avenir leur a donné tort. Ils ne parvenaient pas à voir vraiment cette peinture comme nous la voyons. Aujourd'hui, malgré notre amour sincère d'une chanson poétique à texte, l'avenir nous donnera certainement tort, notamment dans nos détestations de certains rappeurs, slameurs  ou chanteurs de variétés, que nous sommes incapables d'entendre aujourd'hui comme d'autres les entendront plus tard.
 
    Rien ne sert de taper du pied par terre parce que les chanteurs qu'on aime ne passent pas sur les antennes et qu'on n'aime pas ceux qui y passent, d'ailleurs de quoi nous plaignons-nous ? Grâce à l'évolution technique et Internet nous avons accès, si nous le souhaitons, à tous les chanteurs de la planète, même les plus inconnus, et ils peuvent enregistrer des cd à moindre frais quand ils le veulent, jamais la production n'a été aussi abondante. Il y a de tout et pour tous les goûts, tout le temps. Alors ? Que voulons-nous vraiment, au fond ?
 
 

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Trois grands

 
Un hebdomadaire influent, du moins le dit-on,  a organisé une  rencontre entre trois chanteurs d'une même génération, dont l'un s'appelle Alain, l'autre Julien et le troisième Maxime.  
Cette réunion, où ils répondaient simultanément et comme à bâtons rompus  aux questions d'une journaliste, était censée être l'équivalent de la fameuse réunion Brel, Brassens, Ferré, organisée pour le journal Rock & Folk en 1969 et surtout immortalisée par la célèbre photo de Jean-Pierre Leloir. La plupart d'entre nous ne savent plus rien du contenu de la rencontre de ces trois « grands »,  seule reste cette photo encore vendue ou soldée en poster sur les marchés.

  Si l'intention est de vouloir nous faire croire que Julien, Maxime ou Alain  sont l'équivalent aujourd'hui de Léo, Jacques et Georges, il faut être naïf comme un journaliste pour même simplement l'imaginer, ou alors ignorant des choses de la chanson, sauf bien sûr à ne prendre en compte que l'ampleur du succès et non pas la qualité des chansons.

Les chansons de Maxime (un peu en déroute quand même, malgré quelques come-back ), celles de Julien ou d'Alain, sont très jolies,
de tout à fait aimables chansonnettes plaisantes à écouter en voiture, en faisant la vaisselle ou encore en attendant un train, par exemple. Elles auront disparu à mon avis depuis belle lurette, alors que des gens se pencheront encore sur l'œuvre de  Brassens, Brel ou Ferré. Il y a une telle différence de densité entre leurs chansons que pour le coup il n'y pas photo! En fait, il y en a une photo(!) bien sûr ! Mais cela  m'étonnerait qu'elle fasse date et qu'on la retrouve en poster dans quarante ou cinquante ans. Je prends le pari.
    Si on avait pris une photo réunissant à l'époque Gilbert Bécaud, Charles Aznavour et Enrico Macias, contemporains des trois « grands », peut-on imaginer qu'aujourd'hui elle aurait la même force symbolique que celle réunissant Brel, Brassens et Ferré ? J'en doute.
 
  L'époque est différente  bien sûr et les styles ont évolué, mais Maxime, Alain et Julien sont des Charles Aznavour, Gilbert Bécaud et Enrico Macias d'aujourd'hui, bons chanteurs de variétés, qu'il n'est pas déshonorant d'apprécier, mais dont l'ambition des chansons reste très mesurée et prudente.  Quant aux successeurs de Léo, Jacques et Georges, à mon avis, on les attend toujours, l'époque n'est pas propice à l'éclosion de talents aussi forts et originaux.
  Il y a aussi une autre différence de taille d'une époque à l'autre: la réunion de Maxime, Julien et Alain correspond à une actualité pour chacun d'eux, à savoir la parution de CD ou de DVD.  Je crois que Ferré, Brel et Brassens n'étaient là que pour causer chanson, anarchie  ou autre, pas pour vendre du disque, c'était une rencontre dont le but était culturel, comme la revue organisatrice l'était elle-même. C'était une époque où l'on pouvait interviewer des artistes  même s'ils n'avaient rien de précis à vendre dans l'instant. Ce qui évidemment de nous jours peut sembler aberrant.

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Prof (II)
 
 
Entendu récemment un élève auteur-compositeur (que je rencontre régulièrement dans le cadre  d'un atelier où je l'aide à mieux écrire ses chansons), à un moment où j'évoquais mon propre travail pour lui expliquer  quelque chose : « Ah bon,  parce que vous écrivez vous-même aussi des chansons ? »
  Les bras m'en sont tombés. Je les ai vite ramassés pour pouvoir continuer à jouer de la guitare avant qu'un élève guitariste ne s'étonne à son tour : « Ah bon,  vous savez donc vous -même jouer de la guitare ? »
 
  Le métier de professeur de musique, même dans une École dite Nationale et assez réputée, réserve pas mal de surprises. Comme ce père d'élève qui un jour décida d'assister au cours de son fils (du genre récalcitrant),  à la fin de la séance il me dit : « Quelle patience vous avez ! Ça doit être dur ! Et à part ça, vous avez quoi comme métier dans la vie? »
 
   À part ça ? Je croise de temps à autre des jeunes gens plein de talent, certains feront carrière et d'autres pas  (tant de paramètres autres que le talent entrent en jeu),  mais côtoyer le génie de la jeunesse est un grand privilège, qui vaut bien  les quelques petits désagréments passagers de ce métier...dont je me demande quand même, depuis cet épisode, si au fond il en est vraiment un ?
 
 

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Parachutiste

 
  L'autre jour je regardais une vidéo où l'on voyait Juliette  interpréter sur scène,  avec François Morel et Maxime Le Forestier lui-même, une chanson de ce dernier :  Parachutiste ! La chanson a connu son heure de gloire au milieu des années soixante-dix, puisque elle fut même interprétée par  Joan Baez herself en concert à Paris.
 
    Je crois que lors de ses tournées, dans tous les pays où elle passe, Joan Baez choisit de chanter une chanson célèbre d'un chanteur du cru. Après Parachutiste en France, quelques années plus tard elle chantera Prendre un enfant, immortel chef d'œuvre de niaiserie d'Yves Duteil, petit neveu du fameux capitaine Dreyfus et conseiller municipal RPR, le parti à magouilles de Jacques Chirac.
 
  Revenons à nos moutons. Interrogée sur cette performance  Juliette expliqua qu'ils (avec François Morel) avaient dû dépoussiérer la chanson de Maxime car elle datait un peu !
 
   Alors là, j'avoue en être resté baba ! Venant de Camille ou Bashung, bref n'importe qui cherche ou a cherché des formes nouvelles pour la chanson, le propos ne m'aurait pas choqué, mais là, venant de Juliette ! Elle qui fait son miel (avec talent certes) de chansons qui auraient pu être écrites dans les années cinquante (quand elle ne sont pas carrément issues de cette période, dit Rive gauche, que je considère moi-même comme poussiéreuse), l'entendre affirmer qu'une chanson d'un style postérieur, c'est-à-dire les chansons antimilitaristes « folk » des années soixante-dix, était pleine de poussière et datait un peu... Ma chronologie chansonnière a vacillé sous le coup !
 
    Plongé dans des abîmes de perplexité, je me suis dit que la question de la modernité des œuvres,  de leur obsolescence, de leur statut de ringardise ou celui de « au goût du jour », n'était définitivement  pas une question de dates, mais plutôt de mode et de subjectivité, et pourquoi pas de frilosité ?
 
   Si pour moi, après avoir écouté les Beatles et Bob Dylan, Guy Béart ou Graeme Allwright, dans mon jeune âge, il est certain qu'il n'est plus possible de chanter comme dans les cabarets de la Rive Gauche des années  cinquante, cette certitude est finalement très relative, comme pas mal de nos points de vue sur les choses. Peut-être que d'ici dix ou vingt ans on verra surgir des chanteuses « réalistes »  dans le style des années trente (Les roses blanches) et qu'elles mettront un sacré coup de vieux aux chansons du style des années cinquante? Elles chanteront peut-être parfois une chanson de Juliette en expliquant qu'elles ont dû la dépoussiérer, parce qu'elle datait un peu !  Après tout, peut-être que le temps s'est mis à tourner à l'envers?  
 
    En parcourant aujourd'hui les rayons des librairies et les devantures de cinéma, j'ai quand même la sale impression, comme dans un mauvais rêve, qu'on a enclenché la marche arrière et qu'on ne sait plus trouver la marche avant. Le repli frileux vers les valeurs artistiques (ou autres)  du passé n'est jamais bon signe. C'est comme mettre la poussière sous le tapis, ça ne sert à rien.
 

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La maison en Normandie

    Entendu, dans une archive de l'INA,  le jeune Jacques Dutronc interrogé par Denise Glaser, connue en son temps pour son émission hebdomadaire (Discorama) consacrée aux célébrités  de la chanson de l'époque.
 
    Y cultivant (déjà) son personnage décalé et décontracté, aux contours flous,  Dutronc évoque notamment sa collaboration avec Jacques Lanzmann (parolier et écrivain aujourd'hui oublié)  en la résumant brièvement à  un lapidaire « Il a maintenant une belle maison en  Normandie » !
 
    C'est  vrai que Lanzmann, qui n'était peut-être pas un grand auteur, ni un grand écrivain, a eu à un moment une étincelle de génie en écrivant Et moi, et moi, et moi, une chanson pas idiote du tout et qui a trouvé un écho durable dans l'esprit d'une époque. Ça lui a valu une belle maison en Normandie ! On comprend mieux pourquoi ils sont si nombreux,  les « paroliers »,  à chercher une idée de génie, ça rapporte gros ! 
 
    Encore faut-il que la chanson trouve un écho particulier dans  son époque, qu'elle attrape quelque chose de l'air de son temps.. Notons que celle-ci, Et moi, et moi, et moi, n'a pas beaucoup vieilli  et l'air du temps qu'elle avait capté ressemble encore au nôtre. Elle pourrait même résonner encore assez bien dans les têtes d'aujourd'hui, à quelques modifications  près, comme ce « sept cent millions de Chinois », le péril jaune d'alors (!),  qui ouvre la chanson, puisqu'ils sont désormais bien plus nombreux encore, économiquement plus forts, et toujours plus menaçants !
 
    Mais fort  heureusement, comme l'a prédit Louis-Ferdinand Céline (qui n'avait qu'une maison à Meudon en banlieue parisienne), à la dernière phrase de son dernier roman (Rigodon)  : «  qu'ils viennent, qu'ils osent les Chinois, ils iront pas plus loin que Cognac ! Il finira tout saoul heureux, dans les caves, le fameux péril jaune ! Encore Cognac est bien loin...milliards par milliards ils auront déjà eu leur compte en passant par où vous savez... Reims... Épernay... de ces profondeurs pétillantes que plus rien existe...
 
  Céline lui-même a disparu dans ces profondeurs « que plus rien existe », comme Lanzmann aussi, mais on lit toujours Céline. On entend parfois encore Et moi, et moi, et moi. En revanche, je ne sais pas ce qu'est devenue la belle maison en Normandie?

 

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Sur la mort d'Allain Leprest
 
   Allain Leprest, qui écrivait coquettement  son prénom avec deux « l », s'est donné la mort cet été, parce que sa vie  n'était plus une vie, d'après ce que j'ai entendu dire. C'est vrai, des fois la vie n'est plus vraiment la vie, tout le monde le sait bien, mais la mort est toujours la mort, tout le temps et pour toujours, le sait-on vraiment aussi?
 
 Allain Leprest était un grand auteur de chansons, méconnu, voire inconnu, du grand public, disent aujourd'hui quelques médias qui évoquent sa disparition.  Drôle de chose, singulière ironie... Les médias sont en principe la médiation entre les artistes et ce fameux « grand  public »...Alors ? Enfin nous n'en sommes plus à un  paradoxe près...
 
   Il écrivait ses chansons avec des bouts de crayons usés sur des feuilles volantes, à l'ancienne, c'est lui qui le disait. Comme un artisan aussi, comme son père menuisier. Il écrivait de très beaux textes que des amis mettaient en musique pour lui.
 
    Sa disparition a causé une émotion considérable dans la petit monde de la chanson d'auteur où il occupait une place de choix, souvent la première, dans le coeur des amateurs du genre. Des gens   d'une grande sensibilité, mais discrets, un peu introvertis, en tous cas peu exubérants, des gens qu'il fascinait par son talent, mais aussi  sans doute un peu par sa démesure, ses excès.
 
  Dans un registre plus grand public, et par médias interposés cette fois, Gainsbourg hier  et aujourd'hui Amy Winehouse par exemple , ont exercé cette même fascination, celle de l'autodestruction.
 
   La dernière fois que j'ai vu Allain Leprest sur une scène, très amaigri et fatigué, avec ses bras parfois écartés, j'ai pensé à une sorte de figure christique déglinguée qui prendrait sur elle les injustices faites  à chacun dans ce public de chanson,  une figure consolatrice et souriante au milieu de son naufrage. C'était émouvant.
 
  Je ne sais pas si Allain Leprest laissera des chansons derrière lui, les chansons qui survivent à leur auteur ne sont pas légion. Je crois qu'il le mérite cependant et devrait même y parvenir, mais la postérité n'est jamais qu'une hypothèse (c'est Picasso qui disait ça, alors...).
   S'il n'en laisse qu'une, j'aimerais que cela soit  C'est peut-être (musique de Richard Galliano). Elle a, à mon avis, la qualité des plus grandes chansons, elle dit beaucoup avec très peu. Elle dit que le développement des potentialités humaines et du talent de chacun dépend avant tout de l'origine sociale.  C'est une évidence bien sûr, mais qu'on préfère laisser cachée pudiquement derrière  une certaine idée républicaine où chacun, dit-on, aurait sa chance. Cette chanson parle de ça mieux qu'un long discours théorique, tout est dit:
    
C'est peut-être Mozart
Le gosse qui tambourine
Des deux poings sur l' bazar
Des batteries de cuisine
Jamais on le saura,
 L'autocar du collège
Passe pas par Opéra,
 Râpé pour le solfège.

C'est peut-être Colette
La gamine penchée
Qui recompte en cachette
Le fruit de ses péchés
Jamais on le saura,
 Elle aura avant l'heure
Un torchon dans les bras
Pour se torcher le coeur

C'est peut-être Grand Jacques
Le petit au rire bête
Qui pousse dans la flaque
Sa boîte d'allumettes
Jamais on le saura,
 On le fera maçon
Râpé Bora Bora,
un mur sur l'horizon

C'est peut-être Van Gogh
Le p'tit qui grave des ailes
Sur la porte des gogues
Avec son Opinel
Jamais on le saura,
Râpé les tubes de bleu
Il fera ses choux gras
Dans l'épicerie d' ses vieux

C'est peut-être Cerdan
Le môme devant l'école
Qui recolle ses dents
À coup de Limpidol
Jamais on le saura,
KO pour ses vingt piges
Dans le ring de ses draps
En serrant ses vertiges

C'est peut-être Jésus
Le gosse de la tour neuf
Qu'a volé au Prisu
Un  gros œuf et un bœuf
On le saura jamais
Pauvre flocon de neige
Pour un bon Dieu qui naît,
Cent millions font cortège
 
(Allain Leprest/Richard Galliano, 1992)
 

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Les auteurs-compositeurs et interprètes 
 
    Les auteurs-compositeurs et interprètes sont une drôle d'espèce, un peu indéterminée sur les bords, un genre aux contours flous.
 
    Les auteurs- compositeurs  et interprètes  ne sont généralement pas très musiciens et pas non plus poètes ou  gens de plume .  De surcroît, ils ne sont,  le plus souvent, pas vraiment chanteurs. Ils se servent tant bien que mal d'une voix plus ou moins bien foutue en s'arrangeant pour en transformer les défauts en qualités ou en traits plus ou moins caractéristiques.
 
   Ils n'appartiennent pas à un groupe social bien  défini. Si leurs origines sont plutôt situées entre la petite bourgeoisie et le prolétariat, une fois engagés dans leur activité de saltimbanque ils n'appartiennent plus à leur milieu d'origine et, pour ainsi dire, à aucun milieu particulier.
 
  Ils sont, sans doute pour cette raison, assez solitaires, jaloux de leur indépendance,  comme en marge de la vie sociale dont ils sont coupés en grande partie puisqu'ils n'ont pas de vie professionnelle quotidienne ou régulière et généralement une vie de famille limitée, voire inexistante. Ils sont « séparés » et s'ils ont des enfants, ils ne les élèvent pas eux-mêmes.  Ils vivent entourés de compagnons ou compagnes fidèles, fascinés par les arts et le monde du spectacle.
 
   Malgré une connivence de façade avec les autres auteurs et compositeurs, ils ont bien du mal à se constituer en groupe social.  Ils sont en concurrence et se jalousent quand ils se méprisent pas carrément, bref ils n'ont guère de respect mutuel. Chacun dans son  splendide isolement peut à loisir cultiver son  narcissisme (généralement  davantage développé que chez la plupart  des gens).
 
   Sur le plan professionnel ils ne sont généralement pas admis chez les musiciens, sauf en qualité d'employeurs  occasionnels. Les musiciens de métier n'ont généralement que peu de respect pour eux, sauf s'ils sont très riches et célèbres bien entendu. Mais de toute façon ils méprisent leur absence de compétence musicale et s'en moquent régulièrement.
 
   Les gens de plume, eux,  les regardent de haut, comme on regarde de haut et avec bienveillance le travail des enfants. Pour n'importe quel écrivain, poète, ou prétendu tel,  écrire une chanson relève davantage du divertissement sympathique et un peu puéril que d'une véritable activité artistique.
 
    Quant aux chanteurs de métier, artistes lyriques ou vocalistes de tous poils et de haut vol vivant dans la terreur du courant d'air, ils les observent d'un œil un brin amusé, dans le meilleur des cas. 
 
      L'auteur-compositeur et interprète n'est donc pas grand-chose, peut-être même n'existe-t-il pas socialement en dehors de son statut d'intermittent (quand il l'obtient), conservé le plus souvent de haute lutte, grâce à force contorsions et autres arabesques associatives. 
 
    Ces auteurs et compositeurs n'ont de place véritable dans la société, ils se contentent de celle laissée dans les interstices à la jonction entre des groupes sociaux mieux définis.
  
    En fait, ils ressemblent à ces herbes qui, quoi qu'il arrive, finissent par pousser dans la moindre faille du béton de nos villes, obstinément.
   C'est peut-être cela finalement un auteur-compositeur et interprète, un genre d'herbe qui dépasse. 
 

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Chanter en anglais
 
    Est-il vrai que le français  sonne  moins bien que l'anglais dès qu'il s'agit de chanter ?
 
    C'est ce que prétendent certains de mes élèves réfractaires à la sonorité du français quand ils chantent. En discutant davantage avec eux, on s'aperçoit cependant rapidement que ça n'est pas tant la sonorité du français que les mots eux-mêmes qui les dérangent. Le français est leur langue maternelle et chaque mot, ou expression, est chargé de sens, alors que l'anglais reste pour eux  une sorte de langue neutre et sans effet. Ils ne connaissent souvent des mots que le sens donné par le dictionnaire ( et encore pas toujours!) mais ils ignorent les contextes et les divers registres de leur emploi. Ce sont pour eux des mots « sans histoire », ils ne sont guère plus qu'une série d'onomatopées musicales.
     Lorsqu'ils chantent en anglais, ils s'expriment vocalement, ils font de la musique avec leur voix  comme avec un instrument.  Lorsqu'ils chantent en français,  ils font aussi de la musique, mais pas seulement, les mots les obligent à dire quelque chose, quelque chose qu'ils comprennent. C'est bien ce qui les gêne.
   Comme me le faisait remarquer une de mes élèves, chanter Je t'aime bébé, ou chéri, est ridicule alors que I love you baby  ne l'est  pas... Peut-être est-ce une affaire de pudeur?
 
   Un des arguments qui revient aussi, souvent, chez les chanteurs francophones qui s'expriment en anglais est celui des sonorités qui n'existent pas en français. Ils ont l'impression que grâce à ses sonorités spéciales, ses particularités  phonétiques donc, la langue anglaise s'adapte  « naturellement»  mieux à la chanson! 
   Leur expliquer que chaque langue a ses propres sons particuliers qu'on ne retrouve pas dans d'autres langues, et que n'importe quelle langue peut être considérée comme s'adaptant « naturellement »  bien à la chanson, ne les convainc pas. Quant à évoquer la notion « d'impérialisme culturel américain », expliquant l'omniprésence de l'anglais dans les chansons, ça ne leur dit pas grand-chose non plus, c'est comme leur parler chinois ou hébreux!  Cette omniprésence est suffisamment ancienne déjà pour qu'ils la croient « naturelle » aussi.
 
     Si le passage par la traduction française reste encore (pour le moment) obligé pour les films et les romans (qui sinon rebuteraient le public et ne se vendraient pas), la chanson est diffusée en version originale à longueur de temps sur les radios, télés et aujourd'hui  l'internet. Sans doute parce que dans ce domaine il  n'est pas  nécessaire de  « comprendre », « prendre » suffit.
 
     Par mimétisme les jeunes chanteurs et chanteuses francophones se livrent donc à des imitations stériles et insignifiantes de ce qu'ils entendent (sans le comprendre le plus souvent) à la radio. Ils  préfèrent s'exprimer dans une langue « neutre » donc, qui finalement  leur  évite de dire vraiment quelque chose quand ils chantent.
    Pourtant chanter dans leur langue maternelle nourrirait davantage leur chant et leur permettrait de s'y engager  plus... mais de cela, ils n'éprouvent apparemment pas le besoin.
 

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C'est l'inconscient qui parle ?

   Une ancienne élève de l'École Nationale de Musique  de Villeurbanne participe au télé-crochet  X Factor sur une chaîne de grande audience. À une question du jury qui lui demande  pourquoi elle participe à cette émission, elle répond : « J'en avais marre de chanter toute seule dans mes toilettes alors je me suis dit, pourquoi pas choisir le plateau de X Factor... il fallait un endroit pour évacuer tout ce que j'avais à donner... j'espère que je me suis pas trompée! » 

  On ne saurait mieux dire. 

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Une affaire de croyance
 
   Il y a des artistes de renommée mondiale dont la réalité du talent est si peu évidente que certains commentateurs se croient parfois obligés de préciser en parlant d'eux « qu'ils ont forcément du talent sinon ils ne se trouveraient pas là où ils se trouvent ! » C'est sans doute vrai, mais c'est un peu l'histoire de l'œuf et de la poule : ont-ils du succès parce qu'ils ont du talent ou pense-t-on  qu'ils ont du talent parce qu'ils ont du succès ?
  
   Le succès à grande échelle est une fabrication commerciale qui, souvent,  n'a pas grand-chose à voir avec le talent, dans nombre de cas il dispense même  d'en avoir, puisque le succès public remplacera son absence et deviendra, par un curieux renversement, la preuve de son existence. C'est un étrange paradoxe.
 
     Tout est affaire de croyance, finalement. Et pour croire, pour nous faire croire, en l'occurrence au talent, il y a le marketing, le matraquage publicitaire qui nous « aide » à croire ce que nous devons croire. C'est valable dans tous les domaines. C'est une histoire de budget et d'obstination. Surtout d'obstination. Un nombre impressionnant d' « artistes »  sans véritable talent pour jouer la comédie ou chanter, sont obstinément mis sur le devant de la scène jusqu'à ce que le public, et le métier tout entier, finissent par leur reconnaître un talent qu'ils n'ont pas (ou qui est tellement limité  qu'il devrait rester anecdotique). C'est une sorte de passage en force, puis tout un travail  d'érosion laborieuse de l'esprit critique du public, alors ces  artistes « prennent du talent »  comme on prend du galon ou de la bouteille. À l'usure.
  
    Un jour, je me promenais près d'une basilique avec un copain, qui avait un peu échappé à l'école et aussi à toute éducation religieuse. Dans les jardins, où se trouve un chemin de croix, il m'a dit en voyant diverses inscriptions et statues religieuses, « c'est dingue toute cette réclame (l'ancien mot pour dire pub)! ». Ça m'a fait rire, mais il n'avait pas tout à fait tort finalement. Pas plus que du talent de certaines stars, nous n'avons de preuve de l'existence de Dieu, mais le marketing  deux fois millénaire est très au point, il est bon et le succès populaire est donc considérable. Planétaire, dirais-je,  disponible en versions multiples et variées selon les églises.
   Bien sûr, je blasphème, mais c'est un vrai plaisir pour un mécréant de s'adonner au blasphème au moment où le retour du religieux vient nous obscurcir terriblement l'horizon, nous les briser menu et, pour tout dire, nous inquiéter salement.
     Les  bondieuseries  m'emmerdent  surtout quand elles ne sont qu'un prétexte à l'appartenance à une communauté qui, bien souvent,  n'est que le rejet de ceux qui n'en font pas partie.
 
    Mais, me voilà déjà bien loin de mon sujet de départ.  Enfin, peut-être pas tant que ça... John Lennon lui-même n'avait-il  prétendu un jour être plus connu que le Christ ? 
   Tout est affaire de croyance.

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Populaire et savant

 
     J'ai reçu un jour  dans mon cours un monsieur qui ne voulait jouer que les chansons de Paul McCartney, comme j'avais l'air un peu surpris, il m'a dit :  McCartney, c'est bien le plus grand, non? 
-        Le plus grand quoi, lui ai-je demandé (avec un peu de perfidie quand même) ?
-        Ben, le plus grand musicien !
  Comme je lui faisais remarquer que Mozart, Beethoven, Ravel ou Miles Davis, par exemple, ça n'était pas mal non plus,  il a pris l'air indigné, il est parti et je ne l'ai jamais revu !
     Il n'y a rien de méprisable à apprécier McCartney, mais ça n'est pas une raison pour ignorer Mozart et consorts. C'est dommage, cette lutte éternelle entre le populaire et le savant...
 
  Un jour j'ai entendu Pierre Boulez, à qui on faisait écouter un disque de Bill Evans (grand pianiste de  jazz) pour avoir son opinion, déclarer (d'un ton un peu méprisant, il faut bien le dire)  « Il y a déjà tout ça dans Scriabine ». C'est sans doute vrai pour une oreille comme celle de Boulez, cependant il me semble que cela ne fait pas le même effet pour une oreille plus ordinaire, qui n'entendra pas la même chose selon qu'elle écoute la musique au piano de Scriabine ou celle de Bill Evans.  Toujours peut-être cette histoire de savant et de populaire...
 
   Aujourd'hui je lis un article consacré à une jeune pianiste virtuose chinoise, elle y dit notamment :
    «Je n’aime pas les œuvres trop faciles, si j’ai envie de musique au premier degré, il y a la pop.»
  
   La musique au premier degré, c'est de la musique facile, du moins facile d'accès et c'est sans doute  ce qu'elle veut dire, je crois qu'elle a bien raison. Cependant ce qui est intéressant est qu'elle reconnaît que l'on peut avoir envie de musique facile, même quand on est pianiste concertiste.  Question de moment, d'humeur.
  J'aime bien cette idée de degrés. Degré dans l'ambition du compositeur, degré dans l'attention qu'on porte à ce qu'il propose, degré dans le plaisir qu'on en retire etc. Le seul problème est de savoir à quel degré on se trouve, pour que les choses soient claires et essayer de  dépasser les enjeux, notamment sociaux,  qui s'expriment le plus souvent à travers nos goûts, en particulier dès qu'il s'agit de la distinction entre le populaire et le savant.
 
    Longtemps j'ai été révolté par le fait que la chanson, un art populaire, soit considérée comme un genre mineur par rapport à d'autres formes d'expression musicale. C'était un peu idiot de ma part. Dire genre mineur était peut-être dévalorisant et parler de degré est plus approprié, mais c'est vrai que la plupart des chansons sont de la musique au premier degré, c'est-à-dire un peu « facile », même si certaines sont plus ambitieuses sur le plan du texte. C'est comme ça, il n'y a pas à tortiller.
    Refuser les œuvres savantes ni changera rien, de même que mépriser les chansons ne donne pas plus de valeur aux œuvres savantes. Goûter les unes ou les autres est tout à fait possible, question de moment, d'envie, et surtout de curiosité.

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Les chanteurs ne sont pas des penseurs

 
    Les chansons peuvent parfois devenir des miroirs dans lesquels nous cherchons un reflet de ce que nous sommes et de ce que nous pensons. Elles deviennent parfois plus que des chansons et nous y cherchons l'expression d'une pensée, d'une morale, d'une vision du monde, ou encore la confirmation de ce que nous croyons ou voudrions être.
 
  Il se peut que nous fassions alors endosser à leur auteur un costume trop grand pour lui, car les auteurs-compositeurs de chansons ne sont pas  forcément des « penseurs ».
 
   Bien sûr un chanteur peut avoir des opinions, comme tout le monde, mais une chanson n'est pas un essai philosophique (historique ou sociologique), où chaque mot est  savamment pesé (en principe) et chaque phrase mûrement composée  afin d'exprimer  de la façon la plus précise possible une pensée construite et surtout éviter qu'elle puisse être mal comprise et mal interprétée.
 
    Le chanteur, quelque pensée qu'il veuille exprimer, reste tributaire du « format chanson » et de la tyrannie (et du plaisir) des rimes et de la métrique. La rime brillante ou amusante, la sonorité l'emporteront toujours, je crois, sur le fond, quitte à déformer la pensée (si tant est qu'elle ait eu une forme précise), de la même manière qu'on peut soi-même, dans le cours d'une conversation, dépasser sa pensée pour le simple plaisir d'un bon mot ou d'une formule qui semble brillante.
     La chanson reste une affaire de sensibilité et de séduction plus que d'intellect.
 
   Souvent dans le cas des « grands chanteurs » à texte, comme Brassens par exemple, nous avons l'impression d'avoir affaire à une pensée construite, « brassenssienne »  en l'occurrence, une pensée ou plutôt une morale, un art de vivre. (Bertrand Dicale vient d'y consacrer un ouvrage Brassens ?)
    Brassens a écrit des chansons magnifiques, géniales, mais faut-il lui demander autre chose que de belles chansons ? Peut-être ne faut-il pas chercher trop loin.
 
     Dans un dialogue avec Jean Ferrat (disponible sur Internet), au sujet de l'engagement, ou non, en art, Brassens dévoile un peu son état d'esprit. Si pour Ferrat l'art ne peut pas changer la société mais aider les gens à prendre conscience qu'il faut la changer, Brassens reste très pessimiste quant aux possibilité de changer quoi que ce soit (même s'il aimerait bien, dit-il) au prétexte ,selon lui, qu'il faut d'abord que les hommes changent, et tant que l'homme n'aura pas changé rien ne changera etc.
 
    C'est très décevant pour qui aime à voir en Brassens une sorte de maître à penser, car ce genre d'argument a été entendu mille fois déjà, au Café du commerce comme dans les repas de famille trop arrosés. Ah l'homme, la fameuse « nature humaine » dont évidemment personne n'est capable de dire ce dont il s'agit ! Cette  « nature humaine » (supposée donc toujours  identique, et mauvaise, quelle que soit la société et quelles que soient les conditions dans lesquelles vivent les hommes) est convoquée dès qu'il s'agit de justifier l'inanité de l'action, l'absence d'engagement et finalement l'absence de volonté de changer les choses, même si on aimerait bien etc. Le discours est connu, un  peu réac finalement, comme on disait il y a quelques années. 
  Brassens avait les opinions qu'il  voulait ou qu'il pouvait, même dignes du Café du commerce, ça le regardait, il pouvait même parfois essayer de les dire dans certaines chansons (Mourir pour des idées, Le boulevard du temps qui passe, Les deux oncles par exemple),  ça n'a pour moi aucune importance.  À la condition bien sûr de le prendre pour ce qu'il est avant tout, un génial auteur-compositeur  de chansons, et ne pas chercher à voir en lui une sorte de penseur ou de moraliste. Il a réussi quelques chansons extraordinaires qui sans doute resteront longtemps dans notre patrimoine. Ça n'est déjà pas si mal et il ne faut peut-être pas trop en demander !   Brassens lui-même disait que lorsqu'il était derrière sa table avec sa guitare à écrire des chansons, il était à sa véritable place. Il ne se prenait pas pour un penseur ou un moraliste, même pas un poète (ce qui était quand même, à mon avis, un peu une forme de coquetterie chez lui). Il estimait n'écrire des chansons que pour divertir un moment ceux qui les écoutent. 
  Dans un autre registre, Bob Dylan, qui fut le chantre (à son corps défendant ou pas) de toute une génération de jeunes Américains révoltés, expliquait lui aussi qu'il n'y connaissait rien en politique mais qu'il était « bon avec les mots », c'est tout.
   Même si parfois ils ne rechignent pas à cultiver l'ambiguïté, ne faisons pas penser les chanteurs plus qu'ils ne chantent. S'ils savent réussir parfois de belles chansons, ça n'est déjà pas si mal. Pour le reste il y a le Café du commerce, la famille, ou encore éventuellement les bibliothèques. 

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Aux vieux amoureux de la chanson à texte
 
   La chanson dite « à texte » semble avoir connu son âge d'or, dans les années cinquante et le début des années soixante, cependant il ne faut pas oublier que si Georges Brassens, Jacques Brel ou Léo Ferré touchaient alors un public important, celui-ci, dans sa grande majorité, restait quand même plus attiré par les chanteurs moins ambitieux sur le plan de la poésie, comme Gilbert  Bécaud ou Charles Aznavour, des interprètes comme Édith Piaf ou encore des chanteurs d'opérette comme Luis Marianno ou Georges Guétary, pour ne citer que les plus emblématiques.
    Toutefois quelques refrains très réussis de Georges Brassens (Le Parapluie par exemple ou ensuite Les copains d'abord)  furent fredonnés par beaucoup de monde, y compris des gens qui ne s'attardaient pas sur le contenu  des  couplets. Même chose pour Brel ou Léo Ferré (Les Bourgeois, Jolie môme par exemple). Ces chanteurs aux textes souvent ambitieux savaient jusqu'où ne pas aller trop loin et  conserver un caractère populaire dans leurs chansons.
 
   On a coutume de dire que la « vague yéyé » des années soixante, c'est-à-dire la diffusion massive de chansons pour la jeunesse, à la mode américaine et à l'échelle  industrielle (Johnny, Sylvie, Cloclo, Eddy etc.) a balayé la chanson à texte sur son passage. Mais en fait, Brel, Brassens, Ferré ont bien résisté et même d'autres chanteurs, aux textes et musiques ambitieuses (Nougaro, Ferrat, Béart) , ont réussi à émerger à cette époque.
 
   En revanche la génération suivante des chanteurs à texte issus des cabarets parisiens, les Fanon, Tachan, Debronckart, s'ils ont réussi quand même à faire de petites carrières, sont restés dans l'ombre et sont oubliés aujourd'hui. Sans doute ont-ils été victimes de la vague yéyé, mais en même temps, peut-être que leurs chansons étaient moins brillantes et souffraient de la comparaison avec celles de leurs aînés? On peut le penser.
  
    Fin des années soixante et début des années soixante-dix la dernière vague des chanteurs poètes, issus des cabarets parisiens et de l'émission La Fine Fleur de la chanson française de Luc Bérimont  (les  Bertin, Vasca, Juvin etc.) n' ont pas eu le succès qu'ils espéraient, le marché avait évolué, la musique de chanson aussi, et surtout ils avaient perdu en route le caractère populaire des chansons de leurs aînés. Leur conception intransigeante, voire hautaine parfois, de  la chanson les a condamnés  à la disparition, au grand dam de leur poignée d'admirateurs.
 
    Ce style de chanson ambitieux sur le plan du texte (mais dont la musique n'est souvent que le parent pauvre) est aujourd'hui encore pratiqué par un certain nombre de chanteurs et chanteuses, mais ils sont en moyenne cantonnés à la marge du métier et n'obtiennent pas le succès que leurs admirateurs voudraient leur voir obtenir. Souvent l'admirateur en rejette la faute sur le marché,  sa logique économique et ses médias,  qui ne donnent  pas de véritable choix au public.
   C'est peut-être vrai, mais il n'est pas certain que le public suivrait s'il avait accès à ces chanteurs à texte, qui ont perdu ce que leurs aînés avaient su préserver, à savoir des refrains populaires et des mélodies accrocheuses, séduisantes.

 

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Mouvement

             Il est très frappant de voir que les enfants, y compris les bébés, se mettent à remuer en cadence dès qu'ils entendent  de la musique. Cette perception première de la musique, qui entraîne le mouvement, est hélas trop souvent occultée ensuite au profit d'une perception plus intellectuelle.

            La musique destinée au mouvement, à la danse (sauf le ballet bien sûr), est souvent méprisée par ceux qui pensent apprécier la « grande musique ».  Celle qu'on écoute recueilli et immobile.

            On retrouve cette distinction chez les vieux amateurs de chanson. Les amateurs de chansons dites à texte considèrent avec mépris la chanson qui peut «  se danser », et le rythme en général.

            Aux yeux de l'amateur de chanson poétique, ou « à texte », les deux genres sont irréconciliables et la chanson de variétés « à danser » fait figure de repoussoir. (Quant à l'amateur de chanson de « consommation » ou « à danser », il ignore carrément l'autre catégorie qui, s'il tombe dessus par hasard, l'ennuie profondément.)

            Les premiers sont émus parfois, ou prétendent l'être, à l'écoute d'une chanson, mais ils restent immobiles. Les autres bougent, dansent, tapent du pied ou des mains, ce qui est une autre façon d'être ému.  Après tout l'émotion, l'étymologie nous le dit, c'est le mouvement...

             Les enfants, même tout petits, le savent bien.         

 

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L'authenticité du timbre de voix

   Même si on ne saurait dire pourquoi un timbre de voix nous touche particulièrement, peut-être  l'impression d'authenticité,  l'absence d'afféteries et d'artifice, est une caractéristique qui joue un grand rôle dans le fait qu'on soit touché ou pas.

    Cette impression authenticité, dont on pressent qu'elle peut se dévoiler même à l'insu de l'interprète, au-delà du sens des mots qui sont chantés, semble témoigner simplement d'une qualité humaine. Pour que cette authenticité humaine puisse de dévoiler avec justesse, il faut une grande adéquation entre l'interprète et son répertoire.

   On a beaucoup dit qu' Édith Piaf aurait pu chanter n'importe quoi, même le Bottin ! C'est peut-être vrai, mais en revanche je ne suis  pas certain que son génie vocal aurait pu s'exprimer dans des chansons aux paroles plus ambitieuses sur le plan littéraire, voire dans des poèmes de Baudelaire, Aragon, Victor Hugo, comme d'autres ont chanté.

   De la même manière, la voix de Jacques Brel aurait-elle séduit autant le public s'il s'était cantonné  à des chansons, plaisantes mais moins intenses, du style de celles de Gilbert Bécaud (de la même époque) comme on en trouve dans son répertoire ?

   Peut-être la justesse de l'adéquation entre le répertoire et la voix est-elle efficace parce qu'elle  laisse peu de place à la « frime », à l'artifice et au manque de sincérité dans les émotions.

       L'absence de sincérité dans certaines voix peut très vite nous agacer et même nous insupporter. Les voix dont le phrasé est maniéré,  les voix affublées d'un faux accent, ou encore les voix « narcissiques », qui s'écoutent chanter, sont souvent difficiles à encaisser.

     Les exemples ne manquent pas de voix au style affecté, maniéré, et, aujourd'hui, aux accents anglo-américains stupides chez des chanteurs francophones.  Bref, des voix qui manquent de simplicité. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter Jane Birkin (qui cultive un accent qu'elle n'a plus et qui du coup semble « fabriqué ») ou Francis Cabrel (le roi du déplacement de l'accent tonique, « pour faire américain »!) ou encore Charlélie Couture qui se tortille la voix et s'invente un accent nasal improbable, comme jadis Bob Dylan aux USA.

     Bob Dylan est d'ailleurs un cas, il a obtenu un succès planétaire avec une voix dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'avait rien de naturel ! Il se livrait en chantant à un genre d'imitation à la fois  géniale et ratée, ahurissante, de vieux blues man noir alors qu'il était blanc et n'avait même pas trente ans ! J'aimais beaucoup ça dans ma jeunesse, mais aujourd'hui je me demande si, à l'époque, certains Américains, amateurs de voix authentiques, n'ont pas été profondément agacés par ce phrasé artificiel, voire caricatural, comme m'agacent aujourd'hui pas mal de chanteurs ou chanteuses francophones dont on se demande s'ils ont conscience du ridicule de l'accent qu'ils se donnent pour chanter. (Accent qu'ils oublient d'ailleurs de conserver lorsqu'ils sont interviewés!)

     En ce qui concerne Bob Dylan, nous avons marché comme un seul homme. Nous avons tout de même l'excuse de ne pas avoir été  anglophones (ou si peu, ou si mal) et finalement d'avoir été sensibles simplement à un timbre de voix et un phrasé, sans y percevoir ce qui pouvait paraître ridicule à un anglophone adulte et cultivé.

   Ce timbre de voix, que s'est « inventé » Robert Zimmerman pour devenir Bob Dylan, était très réussi sans doute, mais pour l'authenticité on repassera. Il a touché un public jeune. Quand on est jeune, ça n'est pas forcément d'authenticité et de simplicité dont on a le plus besoin, on veut rêver et un peu de frime ne fait pas de mal. Le sérieux et l'authenticité c'est pour plus tard.

  Pour finir, et pour être juste, ajoutons que ce timbre de voix dylanesque n'aurait pu à lui seul générer  autant de succès s'il ne s'était pas exprimé à travers de formidables mélodies populaires, dont les qualités restent intactes même interprétées par  des voix plus authentiques, plus simples. Les exemples ne manquent pas.

  On peut bien sûr penser que je suis trop difficile...Il faut que le timbre de voix me touche, qu'il soit en adéquation avec le style et que j'y trouve mon content d'authenticité... c'est vrai, j'en demande peut-être un peu beaucoup pour quelque chose d' aussi simple et aussi banal qu'une chanson. 

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D'une émotion à l'autre

 

 Ils sont formidables les amateurs de chanson qui, emportés par leur élan et leur amour de la chanson, et bien qu'ils ne soient pas eux-mêmes auteur et musicien, finissent par vous expliquer ce que vous faites et ce qui se passe quand vous écrivez des chansons !

  Moi, personnellement je ne sais pas trop ce que c'est, écrire des chansons. Je n'ai jamais eu d'idée précise sur la question, pourtant j'en écris depuis longtemps, mais plus ça va, moins je sais  de quoi il s'agit vraiment.

    Cependant l'un de ces amateurs de chanson, très bon connaisseur d'un grand répertoire, l'autre jour m'a craché le morceau : il m'a dit que lorsque j'écrivais des chansons j'essayais de transmettre mon émotion à ceux qui les écoutent.

   Ça doit être vrai. Après tout, le grand peintre Courbet, à qui une dame demandait à quoi il pensait lorsqu'il peignait, avait dit « je ne pense pas, je suis ému » !

   Même si les choses ne sont pas toujours bien claires, et surtout ne sont pas les mêmes pour tout le monde, on se doute bien que l'émotion à quelque chose à voir avec tout ça. Cependant, par où elle passe, comment elle se traficote, ça je ne sais pas bien ...Et quant à savoir si l'émotion de l'artiste et celle du public est bien la même, c'est une  question qui me laisse assez dubitatif...

   Une chose est sûre, l'artiste donne à voir et donc peut-être aussi à s'émouvoir, mais avant tout il donne à voir (ou entendre, ou lire etc.). L'émotion est en sus, éventuelle.

    Moi, simple auteur-compositeur de chansons, je ne sais pas si je suis ému quand j'écris des chansons, je ne crois pas. J'ai plus le sentiment de chercher à décrire des sensations, d'essayer de suggérer avec quelques mots la sensation d'un paysage, d'une image, d'une situation, bref de chercher  à donner aussi à voir et donc peut-être de s'émouvoir.  Je me méfie par ailleurs beaucoup de la musique qui dans ce domaine, mariée à des mots, peut facilement apporter une touche d'émotion de très mauvais goût (enfin le mien, à chacun son mauvais goût!), à la manière des violonades qui rendent émouvantes des images de cinéma qui sans la musique n'auraient rien de bien émouvant. 

   Non, je ne comprends pas vraiment ce que je fais quand j'écris des chansons, ni ce que je cherche, et d'ailleurs peu importe ce qui me meut ou  m'émeut, l'important est de se mettre en mouvement, pour le reste, advienne que pourra.

       Ne pas chercher à forcément comprendre ce que l'on fait quand on écrit des chansons et laisser ce soin à ceux à qui elles sont destinées, c'est peut-être une forme d'humilité que l'artiste doit à ceux qui s'intéressent à son travail. Même si ceux-là ignorent ce qui se passe « dans les cuisines » et  trouvent parfois leur content d'émotion dans le fruit d'un hasard, d'un calembour, d'une erreur, une faute de frappe, quelque chose de très prosaïque et qui n'a rien d'émouvant au départ mais qui le devient pour celui qui ne sait pas...l'ignorance peut générer des émotions esthétiques aussi, sans doute peu authentiques, mais après tout chacun reste juge de la qualité de ses émotions, selon ses propres critères.

   Une jeune femme avec qui je travaillais à l'écriture de ses chansons et à qui j'expliquais que, selon mon point de vue, il valait mieux écrire des choses compréhensibles, que la poésie chantée n'avait pas forcément besoin d'hermétisme et d'obscurité, me donna à titre d'exemple contradictoire telle chanson (de Michel Jonas) qu'elle adorait, notamment le passage où elle entendait « Kopapiantonifontaine », une sorte de nom à consonance étrangère qui éveillait en elle tout un monde de voyage et de poésie. Lorsque je lui ai expliqué qu'il s'agissait en fait de Kopa, Piantoni, Fontaine, trois joueurs de l'équipe de France de football de 1958, elle trouva d'un coup la chanson nettement moins poétique, moins émouvante, d'autant que le football ne l'intéressait qu'assez peu !

   Comme quoi, s'il y a  émotion chez l'auteur d'une chanson, le temps qu'elle voyage jusqu'à celui qui l'écoute, elle peut se transformer et devenir tout autre.

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La bonne distance
 
    Pour bien voir un tableau il faut se placer à la bonne distance, celle à laquelle s'est mis le peintre lui-même pour prendre du recul, considérer son travail et petit à petit en rectifier certaines erreurs, certains manques ou absences . Ainsi, on peut mieux voir ce qu'il souhaite nous donner à voir.
     Trop près ou trop loin, on ne perçoit pas la même chose et on ne rend donc pas justice à l'artiste et à son travail.
 
   Un imbécile, qui se croyait amateur de peinture, arrive un jour chez un peintre de grand talent, que j'ai eu la chance de connaître. Comme l'artiste, à sa demande, lui montre quelques toiles, l'imbécile s'empresse de poser l'une d'elles à l'envers, le haut vers le bas, pour vérifier dit-il « que ça tient le coup ! » Ne savait-il pas, cet imbécile, que les peintres, en principe,  s'arrangent pour que leurs toiles soient regardées dans  un certain sens, le « bon sens » ? Sinon, pourquoi ne pas commencer à lire un livre par la fin aussi, pour voir « si ça tient le coup »?  Et pourquoi ne pas vivre à l'envers même, voir si ça vaut le coup !
 
     Fort heureusement, il n'est pas bien commode, techniquement, d'écouter une chanson à l'envers, sinon j'en connais  qui s'empresseraient de le faire pour vérifier qu' elle tient le coup !
 
     Peut-être la bonne distance vis-à-vis d'une chanson se mesure-t-elle au degré d'attention qu'on prête à son écoute? Certaines chansons sont faites pour être écoutées distraitement, paresseusement, de loin, et d'autres avec intensité, de près, avec un effort. Chacune dans sa catégorie peut être réussie ou ratée, le tout est de l'écouter avec le degré d'attention qu'elle requiert. Plus ou moins intense, plus ou moins proche.  Écouter de trop près une chansonnette faite pour meubler le silence ou écouter de trop loin une chanson plus ambitieuse, risque d'être fatal à la chanson, dans les deux cas.
 
    Hélas, on a surtout pour habitude de considérer que la chanson ne doit demander aucun effort à l'auditeur, elle doit le séduire immédiatement ou disparaître. Tant de chansons ne sont pas écoutées à « la bonne distance » qu'elles disparaissent et leurs auteurs avec, c'est bien dommage.
 
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A propos de "Avec le temps" (Léo Ferré) 

 

Un commentaire au bas d'une vidéo sur Internet :

Bordel....je me rends compte après avoir écouté ça que j'ai honte de ma génération, Je n'ai que seize ans et je sais de quoi je parle quand je dis que les chansons françaises d'aujourd'hui ne valent le dixième de cette chanson-là, autant les paroles que l'interprétation qui est vraiment simple et sincère, ce qu'on ne verra et n'entendra plus jamais. (Anonyme)

 

   Je crois que je pourrais écrire la même chose, sauf la fin de la phrase un peu radicale (à mon âge on se méfie des toujours et des jamais!), cependant je me garde bien de dire ou écrire ce genre de point de vue, par lâcheté sans doute et par flemme sûrement, pour éviter de passer pour un vieux con...

  Alors voir ici un tel point de vue exprimé par un gamin de seize ans, me trouble au plus haut point... finalement, il a peut-être raison, et moi aussi du même coup !

    Et peut-être qu'avec le temps tout ne s'en va pas tant que ça?

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Le mur

 Au moment d'écrire des chansons souvent j'ai eu la sensation de me trouver face à un mur, qu'il faut franchir ou abattre pour atteindre les chansons, cachées derrière.  Le franchir ou l'abattre, c'est comme on peut. 

   Aujourd'hui, le mur me semble bien plus haut et plus épais que jamais. J'ai l'impression de n'avoir qu'un petit canif pour essayer de le creuser et d'y percer un passage, comme ces prisonniers qu'on a vus dans de nombreux films creuser patiemment un tunnel avec une petite cuiller pour s'évader de leur cellule.

    Pour moi écrire des chansons c'est un peu la même chose : Prisonnier de je ne sais quoi,  j'essaye de m'évader je ne sais où.

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Brassens dans l'autoradio
 Je lisais, assis sur la terrasse de la maison. En bas, la placette du hameau était déserte.  Une voiture est arrivée. J'ai levé les yeux de mon livre et j'ai reconnu le voisin d'en face. Les fenêtres de sa voiture étaient ouvertes,  j'ai pu entendre la chanson qui passait à ce moment dans son autoradio, c'était une chanson de Georges Brassens (Les passantes).
 Le voisin s'est garé devant chez lui, mais il n'est pas descendu tout de suite de sa bagnole. Il a attendu la fin de la chanson de Brassens avant de  couper la radio, fermer sa portière et rentrer chez lui, l'air rêveur.
 Comme je le connais un peu et qu'il n'est pas, à ma connaissance, porté exagérément sur les choses de la culture et de la chanson en particulier, je me suis dit que Brassens était quand même vraiment très fort, et que tous les auteurs de chansons devraient essayer de composer des chansons dont les gens attendent la fin avant de fermer leur radio et descendre de leur voiture. Je trouve que ça serait un bon critère pour juger de la valeur des chansons, même si, je le concède, cela peut sembler un tantinet radical et que cela risquerait d'en éliminer pas mal !  Mais bon, après tout, serait-ce si grave?

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À la manif
 
     Je n'aime pas bien la foule, comme un tas de gens. Non que je pense être à part ou n'avoir rien à faire avec les autres quand ils sont en grand nombre, mais c'est comme ça, pour des raisons que j'ignore, je préfère la solitude.
   Cependant, comme on dit, quand il faut, il faut !  Et là, comme il s'agissait de manifester mon hostilité à notre gouvernement, j'ai rejoint la manifestation. 
   Je me suis  posté sur un trottoir le long du cortège jusqu'à ce que je vois passer un drapeau à mon goût. J'en ai vu quelques uns noir et rouge, et je me suis dit qu'ils convenaient assez bien à  l'état d'esprit  qui est le mien depuis longtemps et que je considère comme assez seyant. J'y décèle, il faut bien l'avouer, parfois un brin de coquetterie, mais à mon âge on devient indulgent, même avec son état d'esprit et ses coquetteries.
 
   J'ai donc suivi le mouvement et j'ai défilé derrière les banderoles en rouge et noir .  Nous avons marché pendant deux heures et nous avons chanté aussi  :
     Tout est à nous
     Rien n'est à eux
     Tout ce qu'ils ont
     Ils l'ont volé !
     Partagez l' temps de travail
     Partagez les richesses
     ou alors ça va péter,
     Ça va péter !
 
    Nous l'avons chanté  au moins vingt fois et c'était bien plaisant.  Tout en marchant, je me disais  qu'il faut quand même être con pour  finasser depuis aussi longtemps à essayer d'écrire des  chansons aussi savantes qu'ampoulées, alors que pour entendre les meilleures, les plus concises et les plus efficaces, il suffit de descendre dans la rue, parmi la foule.  Tout est à nous, rien n'est à eux ...Ça va péter ,ça va péter !...
 

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La bonne chanson...

    Souvent, lorsqu'on parle de certains chanteurs peu médiatisés, on croit bon de préciser, pour les situer, qu'ils font de la « bonne chanson ». Ce qui me laisse toujours un brin perplexe... Qu'est-ce donc que la bonne chanson?  

   On peut en débattre longtemps, même à l'infini, on n'est pas près de trouver la vérité. Chacun a la sienne, sans doute pour la raison que la bonne chanson c'est celle qui nous plaît et c'est tout. Quant à savoir lesquelles sont bonnes et  nous plaisent, tout dépend généralement de ce qu'on attend d'elles.

   Personnellement, je crois que j'attends beaucoup d'une chanson, beaucoup de densité et d'émotion. Mais tout le monde n'en attend pas forcément autant, et à part les olibrius dans mon genre, je crois que la plupart des gens n'attendent que peu de chose d'une chanson.

     Cependant, être peu exigeant en matière de chanson ne vous classe pas irrémédiablement parmi les brutes insensibles ou les imbéciles! J'ai pu constater, parmi mes connaissances, que des gens très cultivés, aux goûts très exigeants en ce qui concerne la littérature, l'art dramatique ou le cinéma par exemple, n'étaient souvent pas très difficiles en matière de  chanson. Un mélodie sympa, une gentille ritournelle, suffit généralement à leur bonheur. Juste de quoi fredonner un peu, peut-être même y accrocher un souvenir et voilà tout. En revanche les chansons plus ambitieuses, les font fuir à toutes jambes!

 On ne peut pas leur en vouloir. Après tout Jean-Paul Sartre lui-même, dans Les mots, avouait  préférer lire une bonne Série Noire plutôt que Wittgenstein!

  Nous sommes à l'évidence tous un peu « double » en ce qui concerne les choses de la culture, très exigeants d'un côté et un peu moins d'un autre, du côté de la chanson par exemple. C'est normal on ne peut pas être tout le temps aux taquets, dans l'exigence, il faut se reposer un peu  et c'est peut-être à ça  que les chansons servent aussi, parfois. 

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La maison de Mac Orlan
 
     Hier je me suis promené dans la maison de Pierre Mac Orlan, écrivain (Le quai des brumes) et auteur de chansons célèbres en leur temps, notamment La chanson de Margaret et La fille de Londres. Sa maison est un musée maintenant, on peut donc la visiter. Les lieux ont été très bien respectés et, comme m'a dit un ami, on dirait que Pierre Mac Orlan vient juste de s'en aller, ça sent la soupe dans la cuisine!
    C'est une jolie maison, située dans le village de Saint-Cyr-sur-Morin, dans l'Est parisien. J'ai bien aimé me trouver dans la plus grande pièce de la maison : son bureau. Il y travaillait et recevait parfois des amis, non des moindres: Francis Carco (un peu oublié aujourd'hui), l'écrivain Jean-Pierre Chabrol (oublié aussi) et même Georges Brassens (que personne n'a oublié pour le moment ) qui l'appelait affectueusement « le vieux ».
 
    J'ai beaucoup travaillé « sur », ou plutôt, soyons justes, « avec », l'œuvre de Mac Orlan, sa prose, ses romans, ses articles divers et ses chansons, afin de monter un spectacle qui lui est consacré.
    Je pensais bien connaître son œuvre et donc bien le connaître du même coup, mais une fois debout au milieu de son bureau, avec d'autres visiteurs, j'ai en quelque sorte senti sa présence, c'était bien entendu le fruit de mon imagination, mais c'était une manière de sentir que cet homme, de la génération de mes grands-parents, m'aurait sans doute considéré comme un étranger et qu'il n'aurait pas été forcément satisfait du travail que j'ai fait en « charcutant » ça et là sa prose magnifique pour en extraire des phrases qui me semblaient significatives et intéressantes pour agrémenter ce spectacle construit autour de ses chansons. Une sorte de pillage sans vergogne ! Il m'aurait peut-être même engueulé !
    C'est vrai que tout à été laissé à peu près « en l'état » dans sa maison et qu'on à l'impression que Mac Orlan va revenir incessamment sous peu du bistrot du coin pour nous foutre à la porte.  Cependant il est parti  depuis belle lurette (1970) et à l'heure actuelle il ne doit plus penser grand-chose de quoi que ce soit ! (C'est dommage, je lui aurais bien demandé son opinion d'écrivain sur Nord de Louis-Ferdinand Céline, qu'on a laissé bien en évidence sur son bureau, au sommet d'une pile de livres qu'il aimait. Lui, écrivain à la langue très ouvragée et colorée d'argot, que pensait-il du cataclysme verbal célinien, de cette déflagration stylistique d'un auteur rapidement devenu infréquentable?) 
 
  Je suis descendu ensuite rejoindre dans le jardin les amis du coin et monsieur le Maire, ainsi que divers officiels rigolos  de la République de Montmartre, pour le vin d'honneur à la santé du vieux Mac Orlan !
    Ce fut un beau dimanche, où l'on pouvait croiser dans le village, hormis Madame la député du coin qui serrait des cuillères à tout va, les habitants goguenards et tous coiffés d'un béret écossais à pompon rouge, comme celui que Mac Orlan aimait porter ! Nul doute que « le vieux »  aurait été bien content.

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  Les intégristes de la chanson
     
   Les intégristes de la chanson, c'est-à-dire les amoureux de la chanson dite « à texte », tels que je les ai connus dans les années soixante-dix, sont aujourd'hui de vieux hommes qui disparaissent petit à petit. Ils écoutent nostalgiques les chansons « à texte » d'artistes plus ou moins reconnus, vieillissant eux aussi ou même déjà disparus. De loin en loin, ils entretiennent vaille que vaille la flamme.
   J'ai la faiblesse de garder pour eux une certaine tendresse. Ils égrènent sans fin le chapelet de leurs souvenirs, peuplés d'artistes inconnus, des fantômes de cabaret, d'oubliés du showbiz.  Ils se remémorent avec nostalgie La fine fleur de la chanson française, une émission de radio qu'ils écoutaient le soir tard au fond de leur province tout en cultivant leur haine secrète des yéyés et du rock 'n roll en général, remâchant leur sentiment de révolte face à un showbiz décidément bien injuste.
 
   Ce qu'ils ont pu m'agacer ces amateurs de chansons à texte ! Toujours prêts à fuir au moindre son de guitare électrique ou le moindre solo de batterie, irrémédiablement réfractaires à tout ce qui arrivait d'Angleterre ou d'Amérique ! A tout ce qui chante et danse ! A moquer tout ce qui trépigne et bouge...
 
  Aujourd'hui ils m'émeuvent cependant. Je les regarde chérir encore de vieilles cassettes où d'incertains artistes psalmodient leurs poèmes en grattant sommairement des guitares mal accordées... Enregistrements qui les mènent à l'extase, alors qu'ils sont capables d'ignorer superbement des disques où les voix et les arrangements sont carrément sublimes ! Ils préfèrent leurs trésors pourris dont ils se disent qu'il n'est pas donné à tout le monde de savoir les apprécier. C'est sans doute vrai …
   Ah, merveilleux amateurs de chanson française à texte, fidèles à jamais à une certaine idée de la chanson, toujours prompts  à s'enivrer de belle langue et de Poésie, pourvu que la musique ne soit pas trop forte et ne prenne pas trop de place!
    Souhaitons-leur un autre monde plus accueillant et que leur Paradis soit un éternel cabaret où les artistes se succèdent en costume noir, un œillet rouge à la boutonnière, le pied sur un tabouret et la guitare sommairement accordée... Chers amis de la poésie, bonsoir !

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Le capodastre*

 

      J'ai lu le témoignage d'une ancienne tenancière de boîte à chanson(s) parisienne où se produisait, entre autres, Bernard Lavilliers, à l'époque où il n'était pas encore devenu une star. Elle dit notamment, très admirative, que Bernard était à l'évidence beaucoup plus musicien que les autres. La preuve ? Il n'utilisait pas de capodastre !

  Guitariste, toi qui fais fiévreusement tes gammes et arpèges dans ta chambrette, qui te lance à la poursuite des transcriptions de John Williams ou des soli de Pat Metheny, tu n'as rien compris, pour devenir bon musicien il suffit de ne jamais utiliser de capodastre ! Comme Bernard, c'est simple, non ? N'importe quel clarinettiste te le dira ! Pas de capodastre ! Et là, c'est une dame qui a vu jouer Bernard Lavilliers himself qui le dit, alors c 'est forcément vrai !

*Un capodastre est un ustensile qui permet de plaquer les cordes contre le manche de la guitare afin  de réduire sa dimension et donc de changer la tonalité de ce qu'on veut jouer sans changer les doigtés ( généralement limités à quelques positions basiques permettant de jouer des accords).

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Le point de vue

    L'autre jour, un copain de longue date, mais que je ne vois pas souvent, m'a envoyé un message pour me dire combien il goûtait les chansons d'un album que je lui avais envoyé une dizaine d'années auparavant. Depuis il en avait reçu d'autres, mais il écoutait ces chansons-là en ce moment et il voulait me dire à quel point elles sonnaient juste pour lui.

    J'ai d'abord pensé que dix ans c'était un peu long pour réagir, d'habitude les commentaires, quand il y en a, suivent la parution de l'album ou du moins sa première écoute,  mais le fait qu'il prenne la peine de me passer un mail pour me dire ces choses était aussi précieux qu'étonnant.

 

    Il m'est venu l'idée cet après-midi en me promenant dans une campagne au relief accidenté, où au hasard d'un chemin tortueux on débouche parfois sur un point de vue qu'on ne soupçonnait pas, que certaines chansons sont peut-être des points de vue. Non pas dans le sens d'opinion ou avis sur telle ou telle question, mais un point de vue d'où l'on voit une scène, un paysage, un tableau que l'on décrit et  il arrive  parfois que quelqu'un qui écoute une de ces chansons accède, par des chemins à lui,  au  point de vue d'où la chanson a été écrite. Il est alors à la bonne distance. Il peut alors voir de ses propres yeux ce qui est décrit et au lieu de simplement l'entendre. C'est une manière de se rejoindre au même endroit en quelque sorte. Un rendez-vous réussi, une coïncidence rare.

 

    Si j'avais su faire, j'aurais écrit des chansons  dont le point de vue est facile d'accès, pour tout le monde, par des chemins plus évidents pour chacun. Hélas, je n'ai jamais su faire autrement que suivre les chemins tortueux de ma mémoire et de mon imagination à la recherche de ces points de vue. 

    Cependant, parfois quelqu'un m'y rejoint, même longtemps après. Comme mon copain de longue date, que je ne vois pas très souvent. Et ça me fait très plaisir.

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      Ça me fait penser à...

 

   Les gens bienveillants et peu versés dans les choses de la chanson lorsqu'ils vous entendent, pour des raisons qui sont le plus souvent familiales ou amicales et n'ont rien à voir avec un quelconque intérêt culturel, quand ça n'est pas simplement un pur hasard, éprouvent souvent le besoin de vous comparer à des chanteurs qu'ils connaissent. Ils prennent parfois la peine de vous prévenir qu'il s'agit d'un compliment, d'autres fois non, ils vous comparent sèchement, voire cruellement.

   Pour ma part j'ai à peu près tout entendu, des comparaisons raisonnables aux plus imbéciles. On m'a ainsi dit un jour que je chantais dans le style de Juliette Gréco, et même récemment on a dit de mes chansons  (qui, hélas, n'ont rien à voir) « qu'il  était dommage qu'elles ne soient pas connues ces chansons de Georges Brassens! » (Je crois l'avoir déjà écrit ici. ) L'auditeur est parfois si léger...

   Une autre fois, un copain me présente à une de ses amies et lui signale que je suis chanteur. Comme elle ne m'avait jamais entendu chanter, elle ne pouvait me comparer à personne, c'était bien parti pour moi, mais hélas elle a dit aussitôt:  «  Ah bon, vous êtes chanteur? Et vous chantez dans les restaurants? »

     Cependant, arrivé à mon âge, je croyais bien être à l'abri de ce genre d'incident pénible, puisque je suis, un peu par la force des choses, à présent d'une grande discrétion quant à mes activités chansonnières. Pour ne pas dire retiré des voitures. Pourtant, l'autre soir, au cours d'un repas familial et amical à la fois (!), quelqu'un m'a dit fièrement qu'il était tombé sur un de mes disques et qu'il avait immédiatement pensé à Georges Chelon! « Attention, c'est un compliment! » avait-il aimablement prévenu.

     Il a bien fallu faire contre mauvaise fortune bon coeur, comme disait ma mère, et encaisser ce nouveau coup sans broncher et même aller jusqu'à dire merci pour le compliment! Je n'ai rien d'ailleurs contre ce pauvre Georges Chelon (les plus anciens se souviennent peut-être de lui), mais enfin si mes chansons et ma façon de chanter ressemblent aux siennes, je crois vraiment que je n'ai pas compris grand-chose à cette activité de chanteur qui aura pourtant occupé l'essentiel de mon existence. C'est bien dommage.

   Tout d'un coup, je me suis senti  dans la peau d'un vieux boxeur, qui a raccroché les gants depuis longtemps mais qui se prend un direct dans le buffet chaque fois qu'il rencontre un « ami » peu versé dans les choses de la boxe et qui veut lui faire plaisir en lui montrant ce qu'il en connait !

   Je me demande si ça n'est pas ça qu'on appelle boire le calice jusqu'à la lie? Un autre truc que disait ma mère.

 

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De la légèreté du public, parfois...

    C'était dans une petite salle de la périphérie lyonnaise où, chose rare, on programme aussi de la chanson.

   Le programmateur m'avait demandé de lui conseiller un de mes élèves pour chanter en première partie d'un chanteur « en émergence » comme on dit aujourd'hui. C'est-à-dire un tout petit peu connu, mais pas beaucoup quand même,  auquel cependant certains reconnaissent le potentiel pour réussir à le devenir davantage.

   Je propose donc la chose à un de mes élèves que je trouve particulièrement talentueux:  Mathieu Côte.

    Le voilà qui déboule sur la scène avec la pêche et l'insolence qui faisaient son style. L'effet de surprise passé, il met le public dans sa poche, comme on dit, en particulier grâce à une chanson très réussie où il est question d'une étudiante en lettres. Il se  taille ensuite un joli succès, avec quelques rappels, avant de laisser la place au chanteur « en émergence » qui a bien du mal à s'imposer, après ce tourbillon de la première partie. Cependant il s'en sort honorablement et obtient un bon succès aussi.

    Son récital terminé, il se livre alors au rituel de la vente de son premier album. Une dame s'approche de la table où sont rangés les cd, elle en prend un, l'observe un moment, puis demande à l'artiste si la chanson de « l'étudiante en lettres » est bien dans le cd! Le pauvre gars, bien dépité, a dû lui expliquer que ça n'était pas lui qui avait chanté cette chanson, mais le chanteur de la première partie!  La brave dame, déçue, a reposé le cd, puis elle est partie.  Je ne sais pas si elle a finalement compris qu'elle avait assisté à une soirée où étaient programmés deux chanteurs différents (et qui pourtant ne se ressemblaient pas beaucoup)? Je n'en suis pas certain!

  Le pauvre chanteur « émergent », lui, est resté plongé dans un abîme de perplexité d'où il est vite remonté j'espère, mais désormais conscient de la relativité du succès et de la légèreté du public, parfois. 

 

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Ateliers d'écriture

      Depuis que j'anime, dans le cadre de mon travail, des ateliers réguliers d'écriture de textes de chansons, je suis confronté le plus souvent à des textes très alambiqués qui me laissent perplexe et auxquels je ne comprends pas grand-chose.  Leurs auteurs devant mon peu d'enthousiasme et ma mine dubitative en appellent généralement à leur droit d'écrire des choses qui ne se comprennent pas du premier coup ! Des choses mystérieuses donc, qui ne se donneraient  qu'après plusieurs écoutes attentives ! Certains en appellent même à l'écriture automatique !  Généralement  ils pensent qu'une écriture trop claire et trop facilement accessible est forcément dénuée de poésie, ils ont besoin d'un certain flou artistique, de pénombre, trop de netteté les gêne. Dans la plupart des cas ils se font d'ailleurs une idée un peu magique de l'écriture, qui serait en quelque sorte « dictée » par l'inspiration.
   Dans cette idée qu'ils se font de l'écriture, la notion de travail, de reprise, d'ouvrage remis cent fois sur le métier, n'a pas sa place. Non qu'ils soient fainéants, loin de là, simplement ils cherchent la fulgurance, l'éclair de génie, bref quelque chose de vif et spontané d'où tout ce qui est laborieux est exclu.
   C'est le privilège de la jeunesse de croire à des choses comme ça. Elle revendique le droit à la spontanéité comme une garantie d'authenticité et d''originalité avant de se rendre compte que pour avoir une chance d'être original il faut d'abord bien connaître ce par rapport à quoi (ou même contre quoi) on veut se distinguer et être original. Sans compter que le souhait d'être à tout prix original dans ce domaine est partagé par tant de monde qu'il ne l'est finalement pas beaucoup.
   Il est frappant de constater à quel point les jeunes auteurs-compositeurs connaissent mal, ou même pas du tout, le répertoire de la chanson française. Peut-être que c'est là une des caractéristiques de cet art dit « populaire » ?  On s'y lance sans véritable initiation préalable et sans forcément tenir compte de tout ce qui s'est fait avant. Un peu comme si la chanson était un moyen d'expression sans mémoire, qui ne s'épanouit que dans un éternel re-commencement et qui se pratique, comme il se consomme: toujours frais, du jour ! Sans aucun souci du passé ou de l'avenir.
  
  Je crois que j'ai dû être un peu comme ça aussi quand j'étais très jeune, jusqu'à ce que la source illuminée et inspirée d'où jaillissait mon « bavardage » évidemment génial d'adolescent, ne tarisse et que je constate qu'il fallait  alors se mettre  au travail, avec application pour essayer d'écrire et composer des chansons au moins  convenables et à peu près bien faites, notamment en prenant soin d'observer et décortiquer celles qu'avaient écrites avant moi les artistes que j'admirais le plus.
  

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Deux phrases de Jean Roger Caussimon

La chanson est un moyen d’expression total.  Je crois qu’on ne réfléchit pas bien à l’importance qu’elle occupe quotidiennement dans notre existence. Elle est là, presque partout, dans un café, dans un taxi, dans un magasin…Et parfois on se met à chanter, à fredonner sans s’en rendre compte. Nous avons besoin de la chanson. C’est un petit peu de la poésie qui se promène et qui nous suit.

*

   Une chanson c’est une petite pierre blanche, comme ça. Une fleur cueillie le long de mon chemin. C’est un peu une consolation.

*

La double vie, Jean-Roger Caussimon, Le Castor Astral, 1994, page 192

 
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La sainte trilogie
 
J'ai entendu sur une radio locale  l'interview d'un chanteur local lui aussi,  un oublié des grands médias et du grand  public, mais qui mène son « chemin de petit bonhomme »  cependant.
Je le connais un peu, il a du talent et  une belle voix. Ses convictions et préoccupations sociales très louables sont présentes dans ses chansons, constamment.
   Ce qui m'a frappé dans cet interview est le fait qu'il avait réponse à toutes les questions concernant son parcours, il avait un discours très construit et très intéressant, un regard lucide et sans complaisance sur l'évolution de la société depuis les années cinquante.  Les choses se sont gâtées lorsque la personne qui lui posait des questions a commencé à parler chanson et l'interroger sur le fait qu'en matière de chanson à texte ou poétique, la référence reste encore généralement la même « sainte  trilogie » : Brel, Brassens, Ferré .
 
N'y a-t-il pas eu depuis des gens qui ont pris la suite, insista le questionneur ?
Le discours très assuré du chanteur a commencé alors à se lézarder un peu, à vaciller..il a répondu: si bien sûr...il y a des gens, qui peut-être même dépassent aujourd'hui ces grands aînés !
   J'ai donc tendu l'oreille ( un peu goguenard il faut bien le dire)...
Qui sont-ils, demanda l'intervieweur ? Là, le discours du chanteur se fit bien moins sûr... et il cita bravement dans l'ordre, Allain Leprest, Michel Bühler et Yvan Dautin...
 
    Bien sûr, loin de moi l'idée de mettre en doute l'excellence des ces trois artistes que j'apprécie (il aurait pu en citer beaucoup d'autres),  mais force est de reconnaître que lorsqu'on met leurs cd dans le lecteur et qu'on compare avec les trois grands, il n'y a pas photo, ils habitent plusieurs étages en dessous.  Si on n'entend pas la différence, il vaut mieux renoncer à s'occuper de chanson.
 
      Non, et j'en suis marri, personne n'a atteint le degré d'intensité expressive et de raffinement  mélodique de ces trois-là. Non que personne n' ait eu le potentiel pour le faire, mais peut-être simplement depuis les années soixante et l'industrialisation de la chanson, les conditions n'ont plus été réunies pour que de tels talents mûrissent et s'épanouissent dans ce style de chanson, et ceux qui avaient le potentiel pour prendre la relève sont restés à l'état de «possibles », ils ont flétri sans jamais vraiment éclore. C'est dommage. Le monde économique a repris ses droits sur le monde artistique (y compris dans la tête des artistes) et cette branche de la chanson s'est  étiolée doucement. Ensuite on a fait beaucoup moins bien que Brel, Brassens et Ferré. C'est ainsi.
 Ça n'est pas être passéiste de le dire, c'est la réalité, il suffit d'avoir des oreilles pour s'en rendre compte.
   Les conditions seront sans doute réunies un jour pour qu'un phénomène aussi important apparaisse à nouveau, cependant bien malin celui qui pourra dire à quoi il ressemblera et de quoi il  sera fait. Nous n'avons que la sincérité de nos goûts et de nos convictions pour essayer d'entrevoir l'avenir, mais dans ce domaine c'est bien insuffisant. D'ailleurs la future « sainte trilogie » ou son équivalent est peut-être déjà là, devant nos yeux, sans que nous le sachions. Pourquoi pas?
 
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Deux phrases, deux Marcel
 
L'une évoque la chanson populaire et trouve sa place ici, l'autre non, ou de loin peut-être ? C'est comme on voudra...
 
Et, de même qu’il est parfois troublant de rencontrer les raffinements vers lesquels les artistes les plus conscients s’efforcent, dans une chanson populaire, à la façade d’une maison de paysan qui fait s’épanouir au-dessus de la porte une rose blanche ou soufrée juste à la place qu’il fallait,…
Marcel Proust (A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Folio, p.271)
 
Raconter les bons souvenirs qui nous ont fait vivre. Et raconter les mauvais pour en finir. Raconter toujours, entre ce qui doit mourir et ce qui ne le peut pas. C'est une ligne fine.
 
Marcel Profichet (Le livre de Marcel, page 85, Marcel Profichet, Vincent Dréano, Éditions Apogée, 2009. )
 
   Deux Marcel, l'un est célèbre, c'est un des plus grands écrivains de langue française, l'autre est inconnu, pratiquement analphabète.
 La beauté de la phrase du deuxième Marcel vient, en quelque sorte, corroborer ce que dit celle du premier.
Elle aurait, en changeant la ponctuation, pu avoir sa place dans La recherche du temps perdu ! 
 
Ils sont forts ces Marcel, quand même !
 
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Dans un bistrot populaire
 
 
       L'autre jour je me suis trouvé déjeuner tout seul dans un café-restaurant d'un quartier populaire. Parmi des gens d'un style que j'ai perdu un peu de vue depuis mon enfance et mon adolescence.
      C'est pas forcément amusant de manger seul, mais ça permet aussi d'observer alentour et même de réfléchir un peu. Y compris aux chansons qu'on entend à la radio, puisqu'il y en a presque toujours  une en service dans ce genre d'endroit.
 
       Comme j'ai la chance de gagner ma vie de manière pas trop désagréable à m'occuper de chanson, je suis souvent confronté à la question de la qualité des chansons, de savoir ce qu'elles devraient être et ou pas, leur style, leur ambition et bien d'autres choses encore. Bien sûr, comme tous les « spécialistes », je suis souvent accablé par l'aperçu que j'ai de la production courante,  lorsque je tombe dessus au hasard d'une station radio.
 
      Cependant, et c'est ce que je me suis dit,  cette production courante,  industrielle, on ne l'écoute jamais dans son contexte, c'est-à-dire  parmi ceux à qui elles sont destinées. Et dans ce petit restaurant où je déjeunais,  je me suis rendu compte que ces chansons-là ne me choquaient plus du tout, tant elles font partie du décor, celui des ouvriers ou des chômeurs, des gens  «  peu cultivés »,       même des « accidentés » de la vie comme on dit aujourd'hui, bref des gens qui ne se posent pas la question de savoir à quoi doit ressembler une bonne chanson. Ils en attrapent des bribes au passage ou bien sont attrapés par elles et ça suffit. Elles font partie de la vie.
         
       Toutes ces chansons sont faites avec des mots simples et des émotions un peu frelatées, mais bon,  elles sont là pour meubler le silence, au cas où le brouhaha des conversations viendrait à faiblir, ou accompagner celui qui tout d'un coup s'absente à l'intérieur de ses pensées. On les entend ou pas, elles sont là, on les remarque par  intermittence seulement.
      
       Généralement elles ont de jolies mélodies ces chansons-là et deux ou trois « mots d'amour », toujours les mêmes... J'ai pensé à cette chanson d'une autre époque La chansonnette, elle parlait de ça, de la chanson populaire,  La voilà qui revient, la voilà mine de rien... Les temps ont changé mais c'est encore la même chose, simplement il y a plus de chansons tout le temps et partout (et ceux qui les écrivent sont peut-être moins regardants sur la qualité).
 
     Je me suis demandé si « mépriser » ces petites chansons sans grande qualité ( et  les margoulins qui les écrivent) ça n'était pas, d'une certaine manière,  mépriser aussi un peu ceux qui les écoutent et sont parfois touchés par elles?
      C'est comme au cinéma, on peut faire facilement l'expérience avantageuse d'aller voir un film « comique », du genre qu'on ne va jamais voir, dans une salle pleine d'un public populaire qui se fend la pipe. On comprend alors mieux peut-être les choses, et même, on peut se mettre à rigoler, à la sympathie.
     Avec les chansons c'est pareil, on peut même se laisser prendre à une « romance » très oubliable, comme ça, un moment, juste à la sympathie, dans un bistrot.
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Un jeune  gars m'a écrit
Un jeune gars m'a écrit, c'est sympa. Il pratique la chanson poétique et son message dit qu'il ne se retrouve pas dans le portrait que je fais des jeunes chanteurs dans le texte Une autre confidence, où j'avoue ne pas trouver mon content d'émotion dans les chansons d'aujourd'hui et regretter le manque d'ambition de leurs auteurs.
 
Je lui ai répondu que j'étais surpris tout autant qu'honoré par son message qui prouvait que ma rubrique était lue par d'autres personnes que mes copains ou moi-même ( puisque je relis parfois ce que j'ai écrit pour savoir ce que je pense).
 
Lui, comme d'autres, a repris avec talent le flambeau, celui de la chanson poétique dite « à texte », du style de celle pratiquée par les chanteurs de ma génération (celle du babyboum). Je devrais logiquement m'y retrouver un peu et pourtant ce style, malgré ses qualités, ne me touche pas beaucoup, aussi peu qu'à l'époque où il m'agaçait tant à cause de son manque, ou même son refus, de musique. Je crois d'ailleurs que je me suis construit en réaction à cette école de chanson. Pourtant j'ai souvent été classé dans cette catégorie, c'est-à-dire apprécié surtout pour les textes et pas pour la musique (peut-être même « malgré » la musique devrais-je dire?), je dois bien faire le constat de cet échec.
 
Mais peut-être est-ce un peu comme la famille? Même si vous ne voulez pas vous reconnaître dans ses membres, les autres ont tôt fait de vous montrer à quel point vous leur ressemblez.
 
Pour finir et pour être juste je dois dire que j 'ai quand même ressenti parfois des émotions fortes en écoutant de jeunes chanteuses ou chanteurs.
 
J'ai été touché par Le fil de Camille (Quand je marche, Rue de Ménilmontant entre autres), c'est déjà un peu ancien, mais aussi par des chansons plus récentes de gens pas très connus mais qui le deviendront (du moins je l'espère pour eux): Frédéric Bobin (Singapour) et Billie (Dehors).
 
Toutes de très belles chansons qui parviennent à faire vibrer encore mon vieux cœur endurci de chanteur à texte! Tout n'est pas perdu.
 
 
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La peinture, la musique, la chanson
 
 
    Il m’arrive de penser qu’écrire des chansons s’apparente parfois pour moi à une tentative désespérée de faire de la peinture et de la musique en même temps.
 
  La peinture s’accommode très bien du silence. Le silence intérieur, celui du contemplateur ou celui du peintre en train de faire son œuvre, ou encore celui des musées déserts.
      Autour des grandes toiles j’ai toujours été sensible à cette sorte de silence prêt à éclater qui semble les entourer comme une aura. Quelque chose est là, qui se passe de mots, une présence, une émotion première. Un silence qui résiste même aux commentaires et au brouhaha. C’est un silence tendu qui chercherait à prendre une forme et qui ne peut pas, un genre de désir inassouvi, une attente.
 
    La musique, elle, n’a pas forcément besoin d’images, la « pâte sonore » dont elle faite procure aussi une émotion brutale, première, qui peut faire battre le cœur plus vite, comme le désir aussi.  On peut l’écouter les yeux fermés sans rien voir, simplement sentir le son. Mais cette émotion sonore peut devenir parfois si puissante qu’elle semble vouloir déborder, comme une lumière enfermée dans l’obscurité, qui veut sortir pour devenir une ou des images. 
     
    Pour moi la chanson peut être le point de rencontre de ces deux tensions qui s’attirent l’une l’autre. A ce point où le silence de la peinture se déchire et où le son de la musique devient visible et se dissout dans une image. Comme deux désirs qui s’appellent et se rencontrent, pour se fondre l’un dans l’autre.
 
   La rencontre se réalise par les mots, qui portent en eux du son et des images. Ils deviennent une sorte de médium, où ces deux désirs, ces deux tensions affleurent, se touchent et provoquent une incandescence.
    La chanson, comme je l’aime, est ce métissage, qui se définit dans l’impossibilité d’être ni de la musique ni de la peinture et qui pourtant est les deux à la fois.
 
 
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La guitare et les chanteurs de la Rive-gauche
 
     L’espèce de mépris hautain dans lequel les chanteurs « à texte » de ma génération tenaient la guitare m’a toujours horripilé. Sans doute se sentaient-ils trop grands poètes, trop inspirés pour s’abaisser à jouer correctement de la guitare, pensaient-ils à cause de ça risquer de tomber de leur perchoir ? De déchoir ?
   Je me suis toujours demandé comment ils ont pu passer toute une vie d’auteur-compositeur en se contentant de quelques accords mal enchaînés, aussi bien techniquement que théoriquement? 
    Pourquoi n’ont-ils pas travaillé davantage l’instrument et se sont-ils contentés d’un niveau le plus souvent basique ? Quelle idée pouvaient-ils bien se faire de la chanson pour croire que jouer médiocrement de la guitare en accompagnement pouvait suffire ? Était-ce à cause de l’idée fausse, mais communément répandue, que Brassens jouait mal de la guitare ? Il ne jouait pas si mal que ça, ses rythmiques étaient efficaces et surtout l’harmonisation de ses chansons atteste d’une bonne connaissance de la notion de tonalité.
   Non, les chanteurs à texte issus des dernières vagues de la Rive-gauche se sont contentés de grattouiller quelques accords et psalmodier des poèmes rébarbatifs en prenant un air inspiré. Ils se servaient d’une guitare comme d’autres d’une paire de ciseaux ou d’un marteau, un simple outil (comme avait dit mon copain Jacques qui s’y connaissait, il était ouvrier).
   Je crois que ces types-là n’aimaient pas la musique au fond, d’ailleurs elle est absente de leurs chansons, voire de leurs textes aussi. La « révolution » du rock et de la pop leur est passée complètement au dessus de la tête, tête pourtant de dimension assez imposante chez certains.
     Fort heureusement les générations suivantes ont décidé de jouer mieux de la guitare ou alors de ne plus jouer du tout, ce qui est parfois une décision sage. Il est vrai que ces chanteurs et chanteuses-là se prennent moins pour des poètes, qu’ils sont moins haut perchés et qu'ils ont envie de faire de la musique, aussi. Ça, c'est tant mieux.

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Une autre confidence
 
     A mon âge et dans ma profession il serait mieux venu de dire que mon enthousiasme est toujours intact et ma soif de découvertes inextinguible. Hélas, ça serait mentir.
   J’ai maintenant moins de goût pour les chansons. Celles des artistes d’aujourd’hui, célèbres ou non, ne me touchent guère et celles des postulants à leur succession me paraissent bien pâles… J’aime mieux les chansons d’hier, même si leurs couleurs sont un peu passées. C’est peut-être ça aussi être « vieux » ?
 
   J’ai l’impression que chaque génération chante pour sa génération, c’est une sorte d’éternel recommencement, sans progrès ni accomplissement.
    Bien sûr la technique d’aujourd’hui offre des possibilités nouvelles et une grande qualité dans la restitution du son, cependant on dirait que ce qu’on gagne d’un côté on le perd de l’autre. Les artistes passent plus de temps à peaufiner les « arrangements », à faire des beaux sons, qu’à écrire leurs chansons. La qualité de l’écriture n’est plus un grand souci, elle est de plus en plus approximative, comme les mélodies d’ailleurs, peu travaillées, laissées à l’abandon dans un environnement sonore qui tient lieu de composition musicale.
 
    Non, décidément je m’emmerde à l’écoute de la plupart des chansons d’aujourd’hui, médiatisées ou non, et il m’est bien difficile d’y trouver mon content d’émotion. Je me demande d’ailleurs si ceux qui écrivent des chansons aujourd’hui cherchent à être émouvants ? Et même s’il leur arrive d’être émus par des chansons ? Parfois j’ai l’impression que la seule émotion qu’ils connaissent c’est la drôlerie, quand ça n’est pas le cynisme. En tout cas leurs émotions et les miennes semblent bien différentes. Question de génération sans doute.
 
   Ils sont souvent, c’est vrai, de bons bateleurs d’estrade, ils manipulent gentiment le public, qui vient pour ça, ils « font le show » comme on dit, mais la musique est indigente et les chansons manquent vraiment de consistance pour mon goût. Après les avoir écoutés, j’ai envie de dire comme les Américains : Where is the beef ?
 
   Nulle trace sous leurs mots d’une quelconque blessure (« grande blessure dessous l’armure » disait Félix Leclerc), pas de faille ou de fêlure, rien de ce genre de douleur humaine qui touche et émeut, pas de compassion non plus, un simple ricanement sur la vie quotidienne et les petits travers de leurs contemporains, bref ils manquent d’envergure et peut-être même de culture. Ils ne doutent de rien et ils s’écoutent chanter, puisque c’est la seule chose au monde qui semble les intéresser.
 
   Toutes ces questions n’ont d’ailleurs pas grande importance, je suis peut-être simplement à mon tour devenu un vieux con, comme ceux que je voyais dans ma jeunesse et qui écoutaient avec un sourire narquois les chansons qui m’enthousiasmaient si fort à l’époque, si fort que je préférais leur univers à celui de la vie réelle, au point de confondre parfois les deux et de vivre en somme dans des chansons. C’est ce que j’ai fait pendant longtemps, avant d’être rattrapé par la vraie vie, comme tout le monde.

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Monument aux morts
 
    J’ai découvert à la Fnac de mon quartier un étrange monument aux morts. C’est un pilier à quatre côtés qui sert de présentoir à disques. Sur une face on y trouve les disques de Jean Ferrat, récemment décédé. Un groupe de clients du troisième âge étudiait d’ailleurs avec circonspection les diverses rééditions de l’œuvre du chanteur, dont ils étaient certainement d’anciens fans. Chacun retournait les cd avec avidité pour y retrouver les titres des chansons qu’il avait aimées.
 En faisant le tour du pilier j’ai pu découvrir ensuite l’ensemble des cd de Serge Gainsbourg, moins fraîchement disparu mais dont le souvenir est entretenu avec gourmandise par ceux à qui cela rapporte encore beaucoup de pépètes.
 Sur la troisième face du pilier, c’était l’œuvre de Bashung, qui, depuis sa mort récente et sa prestation quasiment en phase terminale aux Victoires de la Musique, a été élevé au rang de génie de la chanson francophone (rien à dire à cela, ça ne me regarde pas, même si je trouve qu’on jette parfois le bouchon un peu loin, enfin, ça n’est qu’un point de vue).
  Je commençais à me dire que ce monument aux morts avait de la gueule et que la Fnac savait bien honorer ceux tombés récemment au champ d’honneur de la chanson !
C’est alors que sur la dernière face du pilier j’ai trouvé la discographie complète de Francis Cabrel ! Nom de Dieu, il est mort aussi, me suis-je écrié in petto !
   Traumatisé par cette nouvelle, ou plutôt par le fait de ne pas en avoir eu vent, je me suis quand même renseigné discrètement auprès d’un vendeur. Non, à sa connaissance le Francis était toujours parmi nous, ouf…con, j’ai eu peur !
  Cependant si j’étais Cabrel, j’irais consulter rapidement, ça commence à sentir le sapin ! 
 

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Le pur et le commercial (suite) : Chanson industrielle et artisanat
 
    J’ai assisté hier à une causerie sur la chanson, causerie suivie d’un petit débat…ça faisait des lustres que ça ne m’était pas arrivé, en effet, il n’y a plus grand monde pour débattre sur le sujet. Cependant pas grand-chose de nouveau sous le soleil, apparemment.
 
   Il semblerait qu’il y ait toujours deux genres de chansons et donc deux catégories d’artistes, ceux qui sont du côté de la chanson industrielle et les autres, les artisans, les peaufineurs de subtiles chansons.
   D’une façon générale cette chanson artisanale semble toujours être hautement estimable et la chanson industrielle terriblement méprisable. Le clivage est sans appel... Tout le monde est bien d’accord là-dessus, le seul problème est de savoir où se situe la frontière entre les deux genres ?
  Si l’on pose la question, on s’aperçoit vite que les avis divergent selon les goûts des auditeurs, qu’ils soient spécialistes de chanson ou simples amateurs.  Où situer tel chanteur à succès, qui a vendu des milliers d’albums, mais qu’on aime bien ? De quel côté de la frontière se trouve-t-il ? Fait-il le même métier que celui-là qui vivote dans la marge et vend peu d’albums parce que l’exigence de ses œuvres le tient, hélas, à l’écart des médias ?
 
    Évidemment la question n’est pas et ne sera pas tranchée, puisqu’elle relève davantage de la sensibilité de chacun que de données objectives.
 
     Si la frontière n’est pas clairement délimitée entre ces deux mondes, en revanche les paramètres de la réussite de ceux qui font de la chanson à l’échelle industrielle semblent très clairs aux yeux des amateurs de chanson, à savoir l’arrivisme, l’absence de scrupules, le goût de la célébrité à tout prix, et l’avidité. Quant aux artistes qui pratiquent à l’échelle artisanale, on aime à les voir plutôt comme des gens intègres dont l’absence de réussite dans le showbiz est due à une trop grande probité, au désintéressement, à l’exigence artistique, voire au renoncement.
   C’est évidemment très beau, mais assez éloigné de la réalité.
 
   A la vérité, la plupart des chanteurs « artisans » ont essayé, à un moment ou un autre de passer au stade industriel et d’être « signés par un grand label » et ils n’auraient pas craché sur une carrière de plus grande ampleur. Mais l’industrie les a refusés pour diverses raisons et s’ils restent à la marge du métier, ça n’est pas par choix ou renoncement, mais bien par la force des choses. Et la force des choses, il faut bien s’arranger avec comme on peut pour survivre, quitte à (se) mentir un peu.
 
   Il existe pourtant ça et là de rares cas d’artistes « artisans » ayant eu l’occasion de refuser une proposition de « l’industrie », c’est tout à leur honneur bien sûr, et on les cite souvent en exemple. Mais qu’ont-ils refusé exactement, un pont d’or ? L’assurance de devenir très célèbre et vivre très bien de leur métier ? La possibilité de donner à leur travail une plus large audience ? Une large reconnaissance ? J’ai bien du mal à y croire…
   Souvent, ils ont simplement préféré garder leur indépendance, ne pas être liés par un contrat d’exclusivité à un label qui voulait bien les signer « à tout hasard » mais dont ils pressentaient bien qu’il ne ferait pas l’effort nécessaire au développement de leur carrière.  Peut-être même ont-ils cru par orgueil pouvoir s’en passer ?
    D’autres ont simplement été « approchés » à un moment, sans suite, et ils racontent ça à leur manière…Ils ont frôlé le showbiz, et c’est déjà une sorte de légitimité dans une activité où on en a bien besoin quand on n’a pas la reconnaissance d’un grand public.
   Ce type de refus ou de renoncement, ou plus simplement de ratage, a vite fait de devenir une sorte de mythe chez les amateurs de chanson « artisanale », une sorte de preuve de l’intégrité des artistes qu’ils aiment. On ne peut pas en vouloir aux artistes de laisser la réalité se travestir un peu, on peut toujours leur accorder le bénéfice du doute et faire semblant d’y croire un peu, on n’est pas à une coquetterie près, le métier est déjà assez difficile et cruel  comme ça. Quant aux amateurs de chanson, laissons-les à leur rêve, leur « soif d’idéal » comme chantait Alain Souchon, un chanteur de type industriel... Enfin ça dépend…C’est pas sûr…on peut en débattre !

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Galettes et cuvées
 
    Pourquoi les personnes qui s’occupent de chanson, d’une manière ou d’une autre, critiques, blogeurs, amateurs et organisateurs divers, s’obstinent-elles à parler de « galette » à la sortie d’un nouveau cd, ou encore de « cuvée » pour parler de la programmation annuelle d’un festival ou d’une série de nouvelles chansons ? Quelles agaçantes expressions !
    Si on ajoute à ça le catastrophique « c’est un régal » ou « je me régale », qui m’a toujours laissé perplexe, la coupe est pleine pour ma pomme.
    L’expression a plus à voir avec la consommation, notamment alimentaire, qu’avec l’émotion…Personnellement je me suis toujours demandé si ceux qui prétendent tant « se régaler » en écoutant des chansons, les entendaient vraiment ? S’ils aimaient vraiment les chansons ou s’ils aimaient « aimer » les chansons, sans jamais avoir été bouleversés par l’une d’elles ?
    Il faut noter que ce vocabulaire, de galette, cuvée et autre régal, est surtout utilisé pour les artistes qui vivotent dans les marges du métier. On parle rarement de la nouvelle galette de Johnny ou de la dernière cuvée des Francofolies par exemple. Peut-être parce que « galette » garde une connotation ancienne, un peu artisanale, comme « cuvée », qui fleure bon l’amour du travail bien fait, le terroir…peut-être que certains artistes sont, à leur insu, un peu le côté « terroir » de la chanson française, alors que la plupart des carrières connues relèvent de la production industrielle ? (Ceci dit j’en connais un bon nombre réduit à la condition artisanale qui auraient bien aimé passer au stade industriel, et qui n’y étant pas parvenus, font croire qu’il s’agit d’un choix éthique, le refus d’un système, mais bon, c’est une autre question.)
    A quand un label « terroir de France» sur les galettes des recalés de l’industrie de disque, ou alors une « Appellation d’origine contrôlée » sur les prochaines cuvées de chanson française ?  Ce qui nous manque au fond c’est un Jean-Pierre Coffe de la chanson, un qui hurle sur toutes les antennes « C’est de la merde ! », en attendant d’aller émarger chez Universal ou autre Atmosphériques.
    Là-dessus je m’en vais manger une bonne galette et boire un bon canon de derrière les fagots, après quoi j’écouterai peut-être des chansons, mais ça n’est pas certain.

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Une leçon d’interprétation
 
   J’ai trouvé cette phrase d’Yvette Guilbert dans le petit livre qu’elle a consacré à ses mémoires de chanteuse (La chanson de ma vie, Les Cahiers Rouges, Grasset, 1927.)
 
Elle y parle ainsi de son art d’interpréter comme de «La science d’allumer et d’éteindre les mots, de les plonger, selon leur sens, dans l’ombre ou la lumière».
    Je me demande si une phrase aussi simple que celle-ci, même sortie de son contexte, ne vaut finalement tous les cours d’interprétation ?
 
  Elle évoque aussi l’articulation : « Tout ce qui, en bref, fait vivre ou mourir un texte, le fait palpiter avec force, couleur, style, élégance ou vulgarité, toute cette science-là fut l’objet continuel de mes soins, et fut la première qualité reconnue par mes juges qui totalisèrent toutes ces nuances en une seule : une bonne articulation.
 
 A laquelle elle ajoute la science de la diction : : […] la mise en  action du verbe, l’analyse du texte, enrichie de sa composition expressive, de son sens extériorisé, visible , peint, sculpté, rendu vivant !
 
   Elle se considérait elle-même comme une « diseuse de chansons », c’est-à-dire « une chanteuse sans voix » dont l’art était « Tout l’art du comédien, au service d’une chanteuse sans voix, qui demande au piano ou à l’orchestre de chanter à sa place. Voilà quel est mon art. »
 Un bel exemple à méditer.
 
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Les 25èmes Victoires de la musique

Je n’ai pas grand-chose à dire des 25èmes Victoires de la musique. Il faut bien avouer que ce genre de cérémonie ne me concerne pas vraiment, je ne fais plus partie d’un cœur de cible quelconque pour l’industrie du disque. Trop vieux déjà, je suis forcément rangé au rayon des amateurs de musique classique et d’opéra, pas de chanson. Ce qui est sans doute juste, puisque de ce que j’ai vu hier soir, il n’y a rien qui m’intéresse, sauf à titre documentaire bien sûr, pour savoir où nous sommes rendus, savoir si avons déjà touché le fond ou si nous avons encore un peu de marge.

   En tant que public potentiel d’un certain âge on a quand même essayé de me fourguer Charles Aznavour et même Hugues Aufray avec une vieille chanson de Bob Dylan, Blowin’in the wind (dont la mélodie fut piquée à un traditionnel, selon Pete Seeger qui s’y connaissait).  Le ridicule ne tue pas, on le savait depuis longtemps, mais Hugues Aufray en est une nouvelle preuve puisqu‘il a maintenant quatre-vingts ans et fière allure ! Il était beau comme un cow-boy dans les fumigènes. (C’est fou ce qu’on aime balancer des fumigènes, faire du brouillard, dans ces sortes de distractions, on enveloppe, on nimbe, comme on noie un mauvais plat dans la sauce.) 

 Non décidément, pas grand-chose de notable dans ce show, une seule chose m’a frappé : les rappeurs à l’honneur, qui psalmodient (à mon avis) des vers de mirliton, se réclament de plus en plus de Jacques Brel…c’est leur idole il paraît…moi ça m’étonne un peu, mais bon…après tout ça a marché pour l’un des leurs, Abd Al Malik, alors pourquoi ne pas continuer sur la lancée ?

  Constatons quand même qu’ils sont les seuls à faire référence aux racines de la chanson française à travers un de ses plus illustres représentants, à un moment où les chanteurs et chanteuses se réclament uniquement du monde anglo-saxon, quand ils ne chantent pas carrément en anglais pour aller plus vite.

   C’est à se demander si le rap, à sa manière, n’est pas la continuation de la chanson dite « à texte » des années cinquante et soixante ? Pourquoi pas ? Voilà des gens qui essaient de dire quelque chose et qui s’engagent dans leur propos, et même si l’on sent bien qu’ils sont « récupérés » par le commerce et que des petits malins se faufilent parmi eux. C’est déjà quand même plus intéressant que Charlotte fille de ou Isia fille de, ou encore M. fils de. J’arrête ici une liste qui s’allonge de jour en jour. Notons que Benjamin Biolay n’est fils de personne (de connu), mais rien ne dit qu’il n’est pas le début d’une nouvelle lignée…patience ! Les présentateurs du show l’ont assez répété, « nous sommes ici en famille ».

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Le pur et le commercial
 
  A l’époque où j’étais un jeune « aspirant » chanteur, on faisait très nettement la distinction entre les chanteurs qui faisaient du « commercial » et les autres, ceux qui faisaient « de l’art », engagé ou poétique, souvent les deux en même temps. Il va sans dire que nous tenions la première catégorie pour particulièrement méprisable et la seconde en très haute estime.
Les deux mondes semblaient très nettement séparés. Aujourd’hui les choses ont bien changé et les lignes de partage sont moins claires. (Mais l’ont-elles été vraiment un jour ailleurs que dans nos yeux de jeunes gens naïfs et arrogants ?)  
 
     Voici un extrait de la transcription de deux cours du Collège de France donnés par Pierre Bourdieu à la faculté d’anthropologie et de sociologie de l’université Lumière-Lyon II en février 1994. Le sujet en est L’économie des biens symboliques. (Raisons pratiques, Editons du Seuil, octobre 1994)
Le chapitre s’intitule : Le pur et le commercial (page 196)
 
 J’en viens à l’économie des biens culturels. On y retrouve la plupart des caractéristiques de l’économie précapitaliste. D’abord la dénégation de l’économique : la genèse d’un champ artistique ou d’un champ littéraire, c’est l’émergence progressive d’un monde économiquement renversé, dans lequel les sanctions positives du marché sont ou indifférentes ou même négatives. Le best-seller n’est pas automatiquement reconnu comme œuvre légitime et la réussite commerciale peut même avoir valeur de condamnation. Et, inversement, l’artiste maudit (qui est une invention historique : il n’a pas toujours existé, pas plus que l’idée même d’artiste) peut tirer de sa malédiction dans le siècle des signes d’élection dans l’au-delà. Cette vision de l’art (qui perd aujourd’hui du terrain à mesure que les champs de production culturelle perdent de leur autonomie) s’est inventée peu à peu, avec l’idée de l’artiste pur, n’ayant d’autres fins que l’art, indifférent aux sanctions du marché, à la reconnaissance officielle, au succès, à mesure que s’instituait un monde social tout à fait particulier, un îlot à l’intérieur de l’océan de l’intérêt, dans lequel l’échec économique pouvait s’associer à une forme de réussite, ou, en tout cas, ne pas apparaître à tout coup comme un échec irrémédiable.
(C’est l’un des problèmes des artistes vieillissants non reconnus qui ont à convaincre et à se convaincre que leur échec est un succès et qui ont des chances raisonnables d’y réussir parce qu’il existe un univers où la possibilité de réussir sans vendre de livres, sans être lu, sans être joué, etc., est reconnue.)
 
 
   Il a bien raison Pierre Bourdieu et c’est encourageant ces histoires de « chances raisonnables de réussir à convaincre… ». J’en connais beaucoup dans ce cas. Pourquoi ne pas en profiter ? En tant qu’artiste « vieillissant non reconnu » je vais me mettre au boulot illico et si je parviens à me convaincre que mon « échec est un succès », j’essaierai ensuite de convaincre les autres !
 
Je vous tiens au courant.

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La puce et l'éléphant

   Lu au hasard des mémoires de la chanteuse Yvette Guilbert, qui fut une immense vedette de la chanson au début du vingtième siècle (La chanson de ma vie, Les Cahiers Rouges, Grasset, 1927.) :

   Quand on compare le journalisme actuel à celui d’autrefois, on se rend compte de la facilité, pour certains artistes, qui sont sur quelques unes de nos scènes, d’y prendre pied et de s’y faire une espèce de réputation « boulevardière ».

   Personne ne les empêche plus.

Des directeurs de théâtre en profitent pour « lancer » des artistes et les music-halls pour imposer des vedettes. C’est une question d’argent, qui, à la manière américaine, fait d’une puce un éléphant.

    Le texte a été écrit en 1926 et ça laisse rêveur… A part le « boulevardière » que l’on pourrait remplacer aisément aujourd’hui par médiatique, rien de bien nouveau sous le soleil, sauf la « manière américaine » toujours plus efficace et les sommes d’argent toujours plus importantes.

   J’aime bien l’image de la puce et de l’éléphant. Dans le rôle de la puce faite éléphant, chacun pensera à qui il voudra. Le choix ne manque pas.

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Les amateurs de chanson
  Les amateurs « fous » de chansons sont souvent des gens très sensibles, qui n’accordent qu’un crédit limité aux rigueurs de l’exercice intellectuel et préfèrent de beaucoup les plaisirs de la délectation sensible, un peu brumeuse, vaporeuse.
  L’émotion prend chez eux le pas sur l’intellect, c’est même une affaire de principe, voire de morale.
    L’amateur fou de chanson est un genre de rêveur, qui aime la chanson parce que précisément elle est très peu contraignante, on peut y entendre ce qu’on veut et rêvasser, entre les mots et la musique. Une sorte d’univers où rien n’est raisonnable et où rien n’est tranché.
 
  Il est en revanche toujours bien plus difficile de séduire et convaincre avec des chansons, je veux dire des chansons ambitieuses, les gens très armés intellectuellement, peut-être parce que chez eux l’émotion est tenue à distance ou du moins filtrée par l’intellect. Ceux-là trouvent davantage leur content dans les chansons de Georges Brassens ou de Boby Lapointe par exemple, chansons où, d’une certaine manière, l’émotion est tenue aussi à distance par l’humour (souvent) ou simplement  par la performance prosodique. Ils rechignent à se laisser aller à des émotions qu’ils ne tiennent pas en grande considération et dont ils semblent toujours se méfier un peu.
 
   Un peu comme s’il y avait d’un côté, des rêveurs prêts à s’abandonner au plaisir de la sensibilité,  et d’un autre côté, des gens raisonnables chez qui l’émotion est toujours un peu suspecte et se doit d’être maîtrisée, afin d’être rendue inoffensive.
 
  Et au milieu coulent les chansons.

 

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La chanson-pensée
 
 Lorsqu’on aime un peintre, un écrivain ou un cinéaste, on aime en fait son œuvre, ses toiles, ses livres ou ses films, bref son travail, et sa personne passe au second plan. Dans la chanson j’ai l’impression qu’on aime surtout le chanteur ou la chanteuse, dont les chansons ne sont qu’un élément constitutif, parmi d’autres, de son personnage.
 
    Il fut un temps lointain, avant l’ère de la chanson industrielle, où les chansons prenaient le pas sur les personnalités de ceux qui les chantaient et n’en étaient que les interprètes.
   Une même chanson était interprétée par de nombreux artistes. Les chansons elles-mêmes faisaient une carrière. Leurs auteurs et leurs compositeurs n’étaient pas connus du grand public. Aujourd’hui chaque chanteur est auteur-compositeur ou du moins a-t-il un répertoire original qui n’appartient qu’à lui. On entend rarement une même chanson interprétée par des artistes différents, sauf quelques anciens « tubes » élevés au rang de standards s’ils ont survécu quelques années au passage de la mode et à la mort de leurs créateurs.
   L’artiste à succès est à la fois le support de chansons, d’images, de clips et de diverses aventures et coups médiatiques.
 
  J’ai entendu hier, pendant un reportage sur le dernier Midem (Marché International du Disque et de l’Edition Musicale), un expert expliquer avec sérieux que face à la difficulté de vendre de la musique en raison des nouvelles technologies (Internet) il faut désormais considérer la musique, c’est-à-dire les chansons, comme un simple produit d’appel. Les bénéfices seront réalisés ensuite sur les ventes de produits dérivés, comme des lignes de vêtements par exemple, les artistes devenant des sortes de supports publicitaires de ces produits dérivés !
 
Bon, ben ma foi, comme dit l’autre…
 
  J’ai relu des écrits de Pierre Mac Orlan, romancier et auteur de chansons*, qui se faisait une certaine idée de la chanson et qui, déjà dans les années cinquante, portait un regard pour le moins sceptique sur l’évolution de la chansons française :
 
« Les chansons lancées comme on lance un nouveau produit de beauté ou un appareil de cuisine sont d’une action heureusement éphémère : plus elles connaissent le succès au moment de leur apparition sur le marché et plus vite elles s’anéantissent dans l’oubli, un oubli qui permet rarement des résurrections. » 
  « Il n’en est pas de même pour la chanson-pensée, la chanson-souvenir-personnel, la chanson sociale, la chanson de mœurs quand l’auteur est présent bien que dissimulé dans son texte. »
 
    C’est bien joli cette idée de « chanson-pensée »…Je me demande quelle tête ferait le pauvre Mac Orlan, s’il savait où nous sommes rendus aujourd’hui, quelque cinquante ans plus tard…Remarque, on ne l’aurait certainement pas invité au Midem !
 
* Pierre Mac Orlan (1882-1970) est l’auteur de nombreux romans, dont le célèbre Le quai des brumes, porté à l’écran par Marcel Carné. Il a écrit aussi de nombreuses chansons, interprétées par Germaine Montero, Monique Morelli et Juliette Gréco (entre autres), dont la Fille de Londres et Margaret, très connues en leur temps.  Georges Brassens lui rendait de fréquentes visites.

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Influences
 
    Dans la plupart des cas, lorsqu’on interroge les chanteurs de ma génération sur leurs origines artistiques, ils convoquent bien sûr les grands ancêtres, ceux d’ici et les oncles d’Amérique ou d’Angleterre : Brel, Ferré, Brassens, Gainsbourg, Bob Dylan, Beatles, etc.  Ils oublient plus facilement Adamo ou Hervé Vilard par exemple. C’est un peu comme les membres foireux de la famille, on les cache.
 
    Mais bon, après tout, répondre à des questions sur son origine artistique, c’est délicat. C’est à la fois difficile et intime, c’est un peu comme se laisser prendre en photo. On essaie de paraître sous le meilleur angle, de donner une image de soi convenable, en tout cas qui convienne déjà à soi-même, une image qui semble acceptable, même si elle est fausse.
 
     Les chanteurs gomment dans leurs réponses, tout ce qui leur semble trop médiocre, peu seyant, et qui constitue pourtant l’ordinaire de la chanson.  Nous sommes autant nourris de chefs-d’œuvre que d’oeuvres ordinaires, pour ne pas dire davantage.
 
       Bien sûr, ces chansons ordinaires ou parfois débiles ne sont pas dignes de nos personnes. Mais le problème est qu’on ne peut jamais être tout à fait certain de ne pas avoir été influencé quand même par elles, d’une manière ou d’une autre ! Insidieuse et perfide influence.
 
     Elles semblaient nous servir de repoussoir, ces chansons modestes et ces pâles idoles, on les a beaucoup blâmées, moquées, mais parfois on les a bien aimées. Elles nous ont peut-être servi de refuge aussi, quand trop de hauteur en permanence nous donnait le vertige.
 
  De toute façon, on ne pouvait pas tout le temps tutoyer les Brel ou Brassens sur leur sommet, il fallait bien accepter parfois de revenir sur le plancher des vaches, se contenter du morne quotidien et des petits refrains d’Adamo ou Hervé Vilard. Comme on peut se contenter aujourd’hui de Delerm, Bénabar ou d’autres (chacun pourra rajouter ici les noms qu’il voudra, selon sa génération).
 
    C’est un peu comme ces voisins ou ces collègues qu’on n’a pas choisis et qui accompagnent nos existences, au jour le jour, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Qu’on le veuille ou non, ils sont là.

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Les trentenaires gémissants
 
      Le trentenaire gémissant à la voix fluette est à la mode. Ca n’est pas nouveau, on peut dire que la mode a commencé avec Alain Souchon (Allo maman bobo, Toto, trente ans rien que du malheur etc.) depuis elle n’a jamais cessé, entretenue pour et par un public de trentenaires de la classe moyenne (plutôt parisiens, élevés dans les valeurs de la petite bourgeoisie) poussés à la consommation par des critiques qui leur ressemblent en tous points.
     Le public se renouvelle par la force naturelle des choses, quant à la critique, même si elle a dépassé parfois largement la trentaine, elle en conserve l’état d’esprit.
 
    On en a donc déjà vu défiler pas mal de ces trentenaires gémissants qui nous racontent les états d’âme et les tourments de la petite bourgeoisie. Leurs petites aventures sexuelles et leur absence cynique de conviction. Le tout sur de délicieuses petites musiques pop.
 
    A peine remis de la bande à Delerm, voici qu’un autre postulant nous arrive, qui débarque sur le marché du trentenaire plaintif. La critique est dithyrambique, et son dernier cd « chamboule la chanson française ! » Mazette, rien que ça ! Je suis donc prêt à me ruer sur la chose : enfin du nouveau ! Las, la suite de la critique m’apprend qu’il est en quelque sorte le descendant de Polnareff et de Christophe…là, évidemment ça me refroidit un peu…Puis plus loin, soudain je lis « qu’il n’arrive cependant qu’à la cheville de Biolay »…là, ça commence à faire beaucoup pour moi.
 
   Je crois que je ne vais pas écouter. De toute façon je n’ai plus trente ans depuis longtemps, je ne suis pas parisien et je ne suis pas issu de la petite bourgeoisie, donc il y a peu de chance pour que tout ça m’intéresse, finalement.
   

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  Un paradoxe  
 
    Depuis que j’ai le plaisir, et surtout la chance, de pouvoir gagner ma vie à l’Ecole Nationale de Musique de Villeurbanne, dont un des départements d’enseignement est entièrement dédié à la chanson, je travaille quotidiennement dans ce qu’il est convenu d’appeler une « pépinière de jeunes talents » (au moins au plan régional).
   J’aurai beaucoup appris à essayer d’enseigner là-bas quelque chose de cet art populaire dont certains doutent qu’il puisse vraiment s’enseigner. J’en doute parfois moi aussi.
 
    Cela peut être l’occasion d’un débat, mais ce dont je voudrais témoigner ici est que cette activité aura été pour moi l’occasion de rencontrer des gens extraordinaires et surtout extraordinairement doués pour la chanson.
    J’ai vu passer sur scène de véritables ouragans laissant le public pantois, « scotché » comme on dit aujourd’hui, j’ai entendu des chansons magnifiques, des petits bijoux demeurés inconnus et perdus, j’ai rencontré des jeunes gens déjà très fins connaisseurs de tout un répertoire, même très ancien, passionnés par l’art de la chanson. Tout cela aura été l’occasion de nombreux chocs et nombreuses émotions.
 
    Cependant, et ce paradoxe me laisse à mon tour pantois, les plus doués (à mon avis) ne cherchent pas forcément à faire carrière, ils n’ont pas ce genre d’ambition. Peut-être leur manque-t-il cet ego en béton armé, cette croyance et cette confiance en soi qui fait les vocations, ou simplement leur manque-t-il des dents suffisamment longues pour raboter les parquets ? En tout cas, ils ne s’accrochent et n’accrochent pas, dans tous les sens du terme, et souvent ne font que passer. Etoiles filantes anonymes de tout beauté.
    A l’inverse, ceux qui s’accrochent le plus pour « réussir » sont généralement les moins bien armés pour le faire, que ça soit sur le plan vocal ou celui de la présence scénique et même de leur écriture et de leurs compositions.
    En revanche ceux-là possèdent les éléments essentiels pour une possible réussite : ils ont généralement un ego en béton armé, une folle ambition et surtout une absence complète de doute quant à leur talent, une sorte d’inconscience en somme. Ceux-là aussi sont extraordinaires !
   La plupart resteront anonymes bien sûr, étoiles filantes aussi, mais sans la beauté.

 

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Frontières
  
    J’essaie tant bien que mal de ranger les livres qui habitent chez moi, mais ça devient un peu difficile tant ils sont nombreux. Je me souviens à ces moments-là d’une phrase de l’historien Pierre Vidal-Naquet qui, accueillant un visiteur, lui dit :  bienvenue, mais vous savez ici ça n’est plus vraiment chez moi, c’est plutôt une bibliothèque qui aurait loué un appartement. 
 
    Je fais quand même en sorte de pouvoir distinguer sur mes rayons des sortes de régions, même parfois un peu vagues du côté des frontières, mais enfin ça permet de se repérer en gros.
  L’autre jour, par exemple, je cherchais le recueil des chansons de Georges Brassens, je me suis donc dirigé au pif vers la « région chanson » où en principe il se trouve, en compagnie de ses pairs, ainsi que divers recueils de chansons folkloriques et quelques trop rares essais sur la chanson et son histoire.
  Eh bien figurez-vous que Georges Brassens avait disparu ! J’ai dû chercher ailleurs dans d’autres « régions », où il aurait pu aller faire un tour, se promener, faire un peu de tourisme chez les romans chinois ou alors du côté des polars américains par exemple, mais point du tout. Il restait introuvable.
     Après bien des tâtonnements et presque par hasard je suis tombé sur le facétieux Georges qui était allé se cacher entre La Fontaine et Victor Hugo dans la « région poésie » ! Mon premier réflexe a été de le remettre à sa place initiale, région chanson, puis je me suis qu’après tout il n’était pas si mal ici et que les frontières c’est souvent arbitraire.

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Le charme et la boussole    
 
    Un copain, grand amateur de chansons, m’écrivait l’autre jour qu’il lui était difficile de parler de chanson et d’expliquer ses goûts. Il n’avait pour se repérer que la « boussole de l’émotion ».
   Il me parlait ensuite des gens qu’il aime écouter et d’autres dont les voix lui sont insupportables, des gens qu’il aime sur scène mais dont les disques l’ennuient, de ceux qui le font craquer et ceux qui le laissent indifférent, etc.
    Bon, j’ai bien compris ce qu’il voulait me dire : la raison et l’intellect n’ont pas grand-chose à voir dans ce domaine, les chansons s’adressent avant tout aux sens.
   C’est vrai qu’on peut disserter à l’infini sur une chanson sans cependant réussir à décrire vraiment ce qui en fait le charme. Il tient souvent à peu de chose, c’est un son, une inflexion de la voix, tel mot avec telle note, puis telle harmonie, tel rythme. On ne saurait dire vraiment ce que cela éveille en nous. On a parfois l’impression que cela vient de très loin.
    Ce charme indéfinissable peut être fugitif, immédiat ou plus long à agir, trompeur, tapageur ou tranquille, mais il faut qu’il soit là, sinon ça ne fonctionne pas. Pas d’émotion.
 
    Au fond, si c’était à refaire, je crois que deviendrais chanteur « de charme », pour mettre toutes les chances de mon côté, et j’achèterais une boussole !
 

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Question de limites
 
    Souvent quand on veut dire de quelqu’un qu’il chante mal ou de manière peu agréable, on dit qu’il chante faux. Ça n’est pas exact dans la plupart des cas. Les chanteurs de chansons ne chantent en général pas spécialement juste, mais pas spécialement faux non plus.
 
   Chanter juste ou faux c’est un problème « d’intonation », c’est comme ça qu’on dit dans un cours de solfège. Chanter faux c’est ne pas respecter les intervalles entre les notes dans une échelle donnée et chanter par exemple une note à une hauteur qui n’est pas vraiment ce qu’elle devrait être. Elle est alors trop haute ou trop basse. La justesse (ou non) d’une note peut être objectivement mesurée selon le nombre des fréquences (Hertz ou Hz). Par exemple le « la » du diapason est fixé par convention à 440Hz.
 
   Cependant de nombreuses expériences montrent que la justesse ou la fausseté, l’appréciation de la hauteur de la note, est une question de perception et donc d’impression, même chez les musiciens les plus aguerris. (J’ai participé moi-même à ce genre d’expérience, avec des musiciens formés et diplômés. Les réponses aux questions concernant la hauteur d’un même son, dans des contextes différents, étaient très variables.)
 
   Ce qui est étonnant, et intéressant, dans ce problème de la justesse ou plutôt de l’imprécision dans l’intonation, c’est de voir que la limite, entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est plus, peut varier, chez l’auditeur, d’une voix à l’autre, d’un chanteur à l’autre. Question de timbre peut-être ? Ou encore d’empathie avec l’artiste ?
 
   Ex-chanteur à tubes alcoolisé ou chanteur maudit (alcoolisé aussi), vieux folk singer androgyne sur le retour ou actrice célèbre et chanteuse occasionnelle, selon votre catégorie on vous pardonnera ou non vos faiblesses et vos dérapages vocaux.
    Quant à toutes celles et ceux qui susurrent dans le micro, dont ne se demande pas s’ils chantent juste ou faux mais simplement s’ils chantent, ils ont réglé le problème et sont pour ainsi dire hors concours !
 
   Cependant, pour finir et étayer mon propos, a contrario, je dirai que je n’ai jamais lu d’article dans la presse spécialisée, ou entendu un amateur de chanson, louant la grande justesse de tel chanteur ou telle chanteuse, sa précision dans l’intonation. Prompts à débusquer la fausseté, aurions-nous du mal à apprécier la justesse ? Pourtant, sait-on jamais où commence l’une et où s’arrête l’autre ?
 
    Je me souviens d’un saxophoniste dont un critique, à la sortie d’un de ses disques, avait écrit « qu’il jouait à la limite du faux ! »…le musicien perplexe s’est longtemps demandé s’il n’aurait pas mieux valu jouer à la « limite du juste » !  Difficile problème…C’est bien connu, passées les bornes, il n’y a plus de limite !
 
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Les plus belles chansons sont toujours celles de notre jeunesse
 
  La chanson est une affaire de jeunesse et même un peu d’enfance. Généralement elle ne concerne plus les adultes que sous forme de souvenirs, souvenirs des chansons qu’ils ont aimées dans leur jeunesse.
   Depuis la fin des années cinquante, la jeunesse est la cible privilégiée de ceux qui vendent de la chanson. Elle représente un vaste marché. Sans doute est-ce l’ensemble des stratégies commerciales qui a créé cet état de choses ou du moins l’a-t-il fortement accentué. L’essentiel de la production (des chanteurs ou des groupes jeunes) est destiné aux gens très jeunes.
   
   La plupart des adultes que je connais gardent pour référence, en matière de chanson, celles de leur jeunesse, pas celles d’aujourd’hui. Rares sont les amateurs de chanson d’une génération qui s’intéressent aux chansons destinées aux générations suivantes. Les publicitaires l’ont d’ailleurs parfaitement compris, comme en témoignent les nombreux « tubes » des années soixante ou soixante-dix, utilisés aujourd’hui (années 2000) dans les publicités visant un public plus mûr ou carrément senior.
   
  Les chansons ne sont plus éternelles depuis l’âge de leur diffusion massive, elles vivent et meurent comme les gens et personne ne peut parier sur leur durée. Elles passent à peine le cap d’une ou deux générations.
 
  Bien sûr Amsterdam ou Avec le temps sont pour nous des chansons formidables, mais pour combien de temps encore ? Picasso lui-même disait que, pour une œuvre, la postérité n’est qu’une hypothèse. Je suppose que c’est vrai aussi pour les chansons.
 
   Les chansons héritées d’un passé lointain, devenues folklore aujourd’hui, s’étaient transmises et transformées de génération en génération. Elles étaient peu nombreuses et vivaient longtemps. Aujourd’hui il y a tellement de chansons, tout le temps, partout et pour tous les goûts, que chaque génération peut bien avoir les siennes. Il y en a tellement qu’aucune ne semble plus pouvoir émerger de manière durable. Plutôt que des chansons en particulier, c’est d’ailleurs des personnages de chanteurs ou chanteuses qui émergent, ce qu’ils chantent n’est plus très important, ça n’est qu’un élément de la mise en scène du personnage.
 
     Déjà Jacques Brel disait l’impression qu’il avait de ne pouvoir être apprécié et suivi que par une seule génération et c’est tout. Peut-être qu’il avait raison, lui qui a choisi de faire une courte carrière. En tout cas il considérait que c’était le lot d’un chanteur dans son genre.
 
     Bien sûr il y a l’immarcescible Johnny qui traverse les générations, mais s’agit-il d’un chanteur ou d’un produit industriel toujours recyclé qui une fois disparu ne laissera pas de trace ?  Sauf bien entendu l’exploitation de son souvenir par l’industrie, ce qui sera le dernier avatar de son recyclage permanent, avant qu’il n’intéresse définitivement plus personne, sauf à être évoqué plus tard brièvement comme une figure marquante, ou peut-être une simple silhouette, dans les travaux des historiens de la musique populaire.
 
   Non, décidément la chanson est une affaire de jeunesse. Elle se consomme fraîche, du jour, et ensuite on vit avec le souvenir qu’on en garde, parfois toute la vie. C’est sans doute ce que voulait dire Pierre Mac Orlan, écrivain et auteur de chansons oublié aujourd’hui, lorsqu’il écrivait : […] les vieillards sont de très sensibles auditeurs de chansons dont ils sont souvent seuls à subir le charme ou l’amertume. (Mémoires en chansons, 1965)

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La voix 

 J’ai entendu l’autre jour une collègue, professeur de technique vocale, dire en parlant d’un chanteur connu « qu’elle ne supportait pas sa voix » ! Elle n’était pas agacée par l’absence de technique ou sa mauvaise qualité, ou encore par le style des chansons qu’elle n’aimait pas, non, simplement par le timbre de la voix lui-même.

   Ce genre de rejet existe chez tout le monde, il m’a simplement surpris chez une « technicienne » de la voix dont j’attendais une opinion moins épidermique.

   Cela dit, professionnelle ou pas, on voit bien l’importance de ce qui est sans doute l’élément essentiel dans la perception qu’on a d’un chanteur ou d’une chanteuse : le timbre de sa voix. S’il gêne, agace, irrite, bref si on ne l’aime pas, voire le déteste, c’est rédhibitoire.  Les chansons peuvent être extraordinaires, la technique vocale très élaborée, les compositions magnifiques, si on n’aime pas la voix tout ça ne sert à rien, il n’y a pas de séduction possible, pas d’émotion donc. A l’inverse, si la voix nous touche, la faiblesse de la technique ou celle des chansons n’a souvent plus grande importance, comme si la beauté ou le charme de la voix leur déteignait dessus.

   C’est un peu comme la sympathie, ou même l’amour, il y a des gens très bien pour qui nous ne parvenons pas à avoir de véritable sympathie, ils nous laissent froids, on ne saurait dire pourquoi, cela tient à des riens.  Timbre de voix ou grain de peau c’est pareil, l’attirance est indéfinissable. Nous restons tributaires dans ce domaine de réactions épidermiques qui nous échappent et sont bien difficiles à dépasser.

    On peut aussi se demander pourquoi tel timbre de voix parvient, à une époque donnée, à toucher le plus grand nombre (Edith Piaf ou Ray Charles en leur temps par exemple par exemple), alors que tel autre ne touche pas vraiment ou même agace au plus haut point (au hasard Patrick Bruel ou Jane Birkin ?). Cela reste un mystère. Chacun peut essayer de le déchiffrer ou le commenter à sa manière, mais savoir dire pourquoi telle ou telle voix nous touche, reste un exercice complètement vain. C’est comme ça.

    On peut analyser les paramètres physiques de telle voix qui touche et essayer de les reproduire, ça ne marchera pas, il manquera quelque chose. Tout comme ce musicien informaticien qui essaya, il y a quelques années, de quantifier le « swing » du grand jazzman Michel Petrucciani pour le reproduire avec une machine, ce fut peine perdue…

    On dirait qu’il reste tout le temps un truc qui nous échappe dans ce qui nous plait et nous touche. D’ailleurs, s’il ne nous échappait plus ce truc, ce qui nous plaît nous plairait peut-être moins, voire plus du tout.   

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Il suffit de passer le pont !
 
   Georges Brassens était un grand amateur de prosodie ou, pour le dire plus simplement, de ces jeux subtils de rythme et de sonorités que permet la versification française. Il pratiquait entre autres, avec malice, l’enjambement.
 
    L’enjambement est « un procédé rythmique qui consiste à reporter sur le vers suivant un ou plusieurs mots nécessaires au sens du vers précédent », c’est le Robert qui le dit. Ce procédé n’est pas rare chez les poètes, on le trouve chez Victor Hugo, par exemple dans Booz endormi :
 
Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une Moabite,
S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
 
ou encore, de façon plus novatrice, chez Rimbaud par exemple dans Le dormeur du val :
 
C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil de la montagne fière
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
 
    Ce procédé est vraiment beaucoup plus rare dans les chansons. Georges Brassens, grand connaisseur des classiques de la poésie, en a joué avec malice et ingéniosité pour trouver des rimes audacieuses et souvent rigolotes, comme dans Mélanie :
 
Ell’ vous emprunte un cierge à Pâques
Vous le rend à la Trinité.
Non, non, non, ne me dites pas que
C’est normal de tant le garder.
 
Ou encore dans Je me suis fait tout petit
 
Tous les somnambules, tous les mages m’ont
                       Dit sans malice
Qu’en ses bras en ses bras en croix, je subirai mon
                    Dernier supplice
  
   Il y a d’autres nombreux exemples d’enjambement dans les chansons de Georges Brassens. L’originalité du procédé en chanson tient au fait qu’une fois mises en musique les strophes où les vers sont « enjambés », un décalage se crée entre la logique de la ligne mélodique et la logique de la grammaire, donc du sens de la phrase.
   Traditionnellement, dans une chanson, une phrase musicale (ou une partie cohérente d’une phrase divisée par une césure ou pause) correspond à un vers, qui le plus souvent équivaut lui-même à une phrase ou un élément d’une phrase cohérent grammaticalement.
   Chez Brassens, selon la tradition, la phrase musicale se termine, ou au moins reste en suspens (à la césure), à la fin du vers, mais dans le cas d’un enjambement elle s’arrête sur un élément grammatical qui n’a pas forcément un sens tant qu’on n’a pas entendu les premiers mots du vers suivant. 
Par exemple, toujours dans Je me suis fait tout petit :
tous les somnambules, tous les mages m’ont
    La mélodie du couplet reste en suspens sur le « m’ont » (qui se trouve accentué) avant de reprendre sur « dit » (accentué aussi) de Dit sans malice
La logique mélodique, qui suit le rythme du vers, coupe donc en deux l’élément grammatical cohérent « m’ont dit » (où seul dit devrait être accentué).
 Quand j’étais petit, j’entendais parfois cette chanson et longtemps je me suis demandé ce que pouvait être un « magemont »…
 
     Ce décalage, dont on pourrait supposer qu’il n’est pas raisonnable et détruit le sens, donne au contraire à entendre le texte d’une façon sans doute plus active de la part de l’auditeur et surtout permet de l’entendre sous un nouvel angle, légèrement décalé. Il permet d’entendre d’abord le rythme de la versification, il précède la signification du texte qui du coup (pour peu qu’on s’en donne la peine, si on n’a plus cinq ans !) nous apparaît de manière décalée, plus subtile, et non pas instantanément comme dans la conversation par exemple. On retrouve la phrase « à travers » la musique, où elle est cachée (mais pas trop quand même !).
   A ce titre, les chansons de Georges Brassens sont avant tout de la musique (contrairement à l’idée reçue selon laquelle le « littéraire » primerait chez Brassens, le poète.), elles s’éloignent parfois, et même souvent, beaucoup du rythme du langage parlé pour céder à celui de la musique, notamment dans le cas des enjambements. Elles sont musique, musique de mots et de notes étroitement enlacés, bien plus que d’autres chansons orchestrées de manière « symphonique » pour de grandes voix et dont on peut croire spontanément qu’elles sont plus musicales que celles de Brassens, mais où finalement le rythme des mots ressemble en fait beaucoup plus à celui du langage parlé, auquel la mélodie vient se plier.
 
   Bien entendu, cette histoire d’enjambement pourrait être réduite à une simple affaire de mécanique et de virtuosité, mais le très grand talent de Georges Brassens aura été de savoir ne pas abuser de cette technique, de ne pas en faire un procédé, et de la mettre au service d’un discours poétique marqué par un grand classicisme, afin que nous l’entendions avec une oreille nouvelle. A mon avis, il a réussi son coup, ce qui donne à ses chansons une formidable originalité.
    D’ailleurs, aux sceptiques, comme aux autres que cela intéresse, je donne rendez-vous au refrain de La non-demande en mariage, un chef-d’œuvre dans le genre. Témoignage d’un raffinement rythmique, jamais égalé peut-être, au service de ce qui reste, pour moi, une des plus émouvantes chansons d’amour du répertoire.
 
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   Les collectionneurs
 
    J’ai toujours été étonné par certains mordus de la chanson qui collectionnent les chanteurs comme d’autres les timbres ou les fers à repasser. La quantité prend souvent le pas sur la qualité et la manière dont s’exerce leur esprit critique m’échappe dans les grandes largeurs.
 
   Ils sont assez rares, mais on les rencontre parfois dans les petites salles dédiées à la chanson. Lorsqu’ils entament avec vous (surtout s’ils vous savent chanteur vous-même) une conversation, ils évoquent toute une collection d’artistes n’ayant rien à voir les uns avec les autres, mais qu’ils aiment ou plutôt collectionnent donc. Vous voyez ainsi défiler, ahuri et impuissant, tout un tas de figures chantantes, tout le ban et l’arrière-ban des marginaux du métier qu’ils ont entendus chanter et dont vous pensez que certains feraient peut-être mieux de se taire. Mais bon, chacun ses goûts après tout.
 
   Cependant ne vous avisez pas d’essayer d’en ajouter un ou une à la liste de votre propre chef, un ou une qui vous semble particulièrement talentueux et digne d’intérêt. Vous risquez de vous retrouver face à un collectionneur incrédule ou même furibard que vous vous immisciez dans sa collection. Celui ou celle que vous aurez évoqué ne pouvant à l’évidence pas en faire partie. Toutefois vous ne saurez jamais pourquoi ! Les collectionneurs de chanteurs ont une logique propre dont les tenants et les aboutissants risquent de vous échapper, surtout si vous êtes vous-même chanteur.
 
   Méfiez-vous cependant de la promptitude avec laquelle, s’ils vous apprécient, ils vous intègreront dans leur collection, parmi des gens dont la démarche vous semble pourtant très lointaine de la vôtre ! Vous vous retrouverez situé, étiqueté, classé dans une hiérarchie selon des critères dont vous ne saurez jamais rien. Ainsi, j’ai appris un jour que je me situais juste derrière tel autre, qui (ouf !) était le premier du classement. Bon, deuxième, c’est pas mal, après tout !
 
  Le truc de ces collectionneurs de chanteurs c’est de suivre et dénicher les inconnus, mais à la condition qu’ils le restent, s’ils deviennent célèbres, ils ne les intéressent plus. Ils ne sont plus des pièces rares. Plus le chanteur est inconnu et persiste dans l’anonymat plus il leur plaît, plus ils ont l’impression de posséder un trésor.
  On m’a rapporté la conversation (véridique) entre deux « chansonophiles » qui venaient de faire connaissance et se « montraient » leurs collections respectives :
- Et celui-là, tu le connais ? 
- Oui, tu parles, et celui-ci ? 
- Formidable, mais je suis sûr qu’un tel, tu ne le connais pas !
 
   Et ainsi de suite, bref ils connaissaient tous les deux les mêmes chanteurs, même très peu connus, même les plus à la marge de la marge !
    A court d’arguments dans cette joute terrible, l’un finit cependant par dégainer son atout maître, un nom imparable, absolument inconnu : le mien !
Il avait gagné !  Inutile de vous dire que je suis très honoré d’être à l’origine de cette victoire éclatante ! D’être une pièce rare en somme.
   A force d’anonymat et d’abnégation il ne m’est pas interdit d’ambitionner même la première place chez certains farouches collectionneurs.
   Il n’est pas dit que je n’y parvienne pas un jour, patience !
 

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  A l’ombre de Richard A.

    Nous allions voir Bob Dylan. C’était la première fois et donc un événement considérable pour nous.  Depuis le temps que nous l’admirions et suivions son travail avec notre passion toujours intacte d’adolescents, dont nous n’avions pourtant plus l’âge, nous allions enfin le voir.

   C’était à Antibes, en plein air. Mon copain, un grand amateur de Bob, était assis à côté de moi sur les gradins amovibles, face à la mer.

     En attendant l’arrivée du maître, précédé de sa réputation de sale gosse capable de saloper un concert comme d’en faire un moment d’exception, nous devisions donc, tout en nous remémorant in petto notre parcours avec Bob et ses chansons, tout un pan de notre jeunesse et ses émois en somme. Je sentais à mes côtés mon ami fébrile, émouvant et ému, plongé aussi dans ses souvenirs.

   Je me remémorais mon premier contact avec une chanson de Bob. J’étais très jeune lorsque j’avais entendu la première fois Ecoute dans le vent (Blowin’ in the wind) par Richard Anthony. La mélodie m’avait beaucoup plu. Par la suite j’avais découvert Bob Dylan par lui-même et du même coup découvert la sorte de trahison qu’avait pu être Ecoute dans le vent par Richard Anthony. Mais bon, c’était par lui que j’avais eu mon premier contact avec Bob. Comme pour les expériences sexuelles, la première n’est pas forcément la meilleure, mais on s’en souvient !

   J’en étais là de mes réflexions lorsque je fus tiré de ma rêverie par un mouvement un peu inquiétant de la rangée de gradins où nous étions assis. Les planches se mirent à trembler et balancer un peu. A l’extrémité de la rangée j’ai vu alors un placier qui aidait quelqu’un à venir s’installer. Une personne d’une corpulence considérable, une sorte d’ombre énorme et maladroite, miraude comme une chaufferette. C’était l’origine du tremblement des gradins.

     La personne en question réussit quand même à venir s’asseoir à une place disponible, juste à coté de mon copain que je vis d’un coup se figer comme le marbre. En regardant mieux, j’ai su pourquoi : l’énorme personne était Richard Anthony lui-même ! L’inoubliable chanteur d’Ecoute dans le vent était là, à nos côtés, pour cette première avec Bob ! Il nous avait suivis depuis les années soixante, mais il avait forci !

   J’ai un peu oublié le concert très oubliable de Bob Dylan cette année-là, en revanche l’image de mon copain, qui regardait droit devant lui, un sourire ironique figé au coin des lèvres,  se détachant sur l’ombre gigantesque de Richard Anthony, je ne suis pas près de l’oublier !

  Je peux bien l’avouer aujourd’hui, la peur ne m’a pas quitté pendant tout le concert ! La peur que cet énorme chanteur des années soixante ne fasse s’écrouler les gradins où nous étions venus sagement écouter Bob Dylan, comme des adolescents émerveillés.

    Il n’aurait plus manqué que ça, un accident tragique au concert de Bob ! Après avoir saboté consciencieusement Blowin’ in the wind quelques années auparavant, ça aurait fait quand même beaucoup pour un seul homme !

  Depuis, nous avons assisté ensemble à un très beau concert de Bob, assis sur les gradins de pierre d’un théâtre antique. Là, c’était du solide, mais Richard n’est pas venu.

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   La dimension critique

    Dans une de ses dernières parutions la défunte revue Chorus avait eu l’idée d’agrémenter par des étoiles les chroniques de cd. De une à trois selon que le chroniqueur aimait un peu, beaucoup, passionnément.

  Le comédien François Morel, qui aime aussi à taquiner la chanson, s’est fendu d’un courrier à la rédaction au prétexte que : Chaque artiste est une île, indispensable, incomparable. Il est vain d’installer une hiérarchie, écrivait-il.

    Exit les étoiles donc, annonçait Fred Hidalgo (rédacteur en chef de la revue) dans son dernier éditorial. Puisque François Morel, qui est célèbre, le disait : donner des étoiles ce n’est pas bien.

    Peut-être que François Morel a raison et que tout le monde est intéressant finalement, pourvu qu’il « fasse » de la chanson. C’est un peu l’impression qu’on a d’ailleurs en lisant les articles et les blogs des journalistes spécialisés. Tout y est mis à plat, sur un même plan, sans aucune perspective qui permette de situer un peu les choses. Tout se vaut. Et à moins de savoir lire très finement entre les lignes, il est impossible d’y découvrir une véritable dimension critique.

    Entre la reconnaissance des nouveaux talents, des talents méconnus, des « maudits » et la révérence à ce qui marche et « doit forcément être valable puisque ça plait au plus grand nombre », c’est vrai que le critique a fort à faire et sans doute bien du mal à s’y retrouver lui-même. Le domaine de la chanson est très vaste, mais tout y aimer ou ne plus rien y aimer du tout finit par revenir au même. C’est peut-être là aussi une des causes de la disparition, que je déplore, de la revue Chorus.

   C’est très généreux de ne pas vouloir établir de hiérarchie et traiter tout le monde sur un pied d’égalité, cependant, pour paraphraser George Orwell, tous les artistes sont peut-être « des îles, indispensables, incomparables », mais certains plus que d’autres !

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    Les paroliers « professionnels »
 
   Je n’en ai jamais rencontré mais je sais qu’ils existent. Certains ont même tenu le haut du pavé à une époque, des sortes de gourous du texte et du succès populaire, comme Pierre Delanoë par exemple.
  Je n’ai rien de particulier contre cet excellent homme, ad patres aujourd’hui, mais je me souviens de l’avoir entendu, il y a longtemps, prodiguer ses conseils au cours d’une émission de radio où deux auditeurs (auteurs « amateurs » de chansons) étaient invités à soumettre par téléphone un texte au maître. Ses conseils prenaient la forme d’une sorte de corrigé du texte ainsi soumis à sa sagacité d’expert.
  J’ai le souvenir d’un texte d’ « amateur » composé de beaucoup de clichés qui rimaient, mais duquel émergeaient ça et là quelques trouvailles bien originales et à mon avis encourageantes. En virant les clichés ça aurait donner quelque chose de valable.
  Pauvre de moi ! Je n’avais décidément rien compris à la chose…Delanoë dans son corrigé, au contraire, supprima tout ce qui pouvait ressembler à quelque chose d’original et me plaisait bien, pour le remplacer illico par des vers d’une platitude à faire pâlir d’envie Barbelivien !
   Ce jour-là, j’ai compris ce qu’était un parolier « professionnel » et aussi l’idée qu’il pouvait se faire du public.
  
   J’ai lu, il y a moins longtemps, l’ouvrage d’un autre parolier professionnel qui a eu quelques succès à son actif. Dans son livre il commente ses activités et défend la profession de parolier, un peu menacée depuis quelques années par l’abondance des auteurs-compositeurs et interprètes sur le marché. Rien à dire à cela.  C’est bien de faire l’apologie de son métier, mais à condition de ne pas nous faire prendre les vessies pour des lanternes, comme dans cette anecdote qu’il rapporte :
    Jacques Brel, qui avait laissé la chanson pour le cinéma, venait de terminer son film Far West. Il rencontre Delanoë dans un bar :
 « C’est dommage que je ne te rencontre que maintenant ! Je t’ai cherché partout, j’ai écrit une chanson pour mon film, mais elle n’est pas bonne, j’aurais voulu que tu l’écrives ! »
    C’est sans doute vrai, mais raconté comme ça, c’est un peu vouloir nous faire croire que même Jacques Brel (immense auteur de chansons) était perdu sans l’aide d’un Pierre Delanoë !
 
    Du coup on serait presque en droit de se demander si la présence de Delanoë aux côtés de Brel, lorsqu’il écrivait Amsterdam, Ces gens-là ou La chanson de vieux amants –qui sont déjà d’honnêtes petites chansons, mais sans plus, non ?- n’aurait pas permis d’obtenir carrément de purs chefs-d’œuvre ? La question est posée !
    Ah, c’est vraiment dommage ! Oui, on a toujours besoin d’un parolier « professionnel » à portée de main.
    Hélas, je n’en ai jamais rencontré, mais je sais qu’ils existent. 

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Bonne nuit les blaireaux

    Cette anecdote a été rapportée par Julien Clerc (je crois l’avoir entendue à la radio).

    Lors d’une séance de travail avec David Mc Neil (chanteur, parolier, romancier et fils de Marc Chagall) sur la chanson Melissa, métisse d’Ibiza, s’est posée la question de savoir si parmi toutes les allitérations en « s » et en « t » (Melissa, métisse, mater ma métisse, etc.) il était opportun ou non de faire figurer le nom de Matisse (le peintre). Ce qui n’était pas forcément sans rapport avec le sujet de la chanson, puisque Matisse a peint, dessiné ou même représenté en papiers découpés un bon nombre de nus féminins.

  Mais n’était-ce pas un peu compliqué, voire hasardeux, d’évoquer Matisse dans une chanson, se demanda Julien ? Pour en avoir le cœur net, les deux artistes sont descendus dans la rue et ont demandé à la première personne qu’ils rencontraient, si elle connaissait Matisse ! « Qui ça ? » aurait répondu une brave dame. Ils sont donc retournés à leurs travaux, bien convaincus, après cette enquête sommaire, qu’il ne fallait pas dire le nom de Matisse dans la chanson. Trop compliqué, trop inconnu du grand public !

    On n’est jamais assez prudent avec le public quand il s’agit de vouloir plaire au plus grand nombre pour gagner beaucoup de pépètes, il faut surtout ne pas effaroucher le blaireau.

   Matisse, non mais, ça va bien ? Pourquoi pas Le Tintoret ou Titien du temps que vous y êtes ! Vous voulez ruiner ce pauvre Julien et ce pauvre Mc Neil !

  Bon, c’est vrai que la chanson est au demeurant très réussie et fut un immense succès. Cependant je ne crois pas que le nom de Matisse y aurait changé quoi que ce soit, mais bon, n’ergotons pas, de toute façon là où il est, Matisse doit s’en foutre un peu.  

 

 

Mon ami René Troin m’écrit :
 
   Je viens de lire "Bonne nuit les blaireaux" qui se rapporte à ces "mots compliqués" que les chanteurs de variétés s'interdisent désormais alors qu'ils ne le faisaient pas forcément dans les années soixante. […] ton évocation de l'incident "Matisse" m'a rappelé une autre anecdote à la "morale" diamétralement opposée puisqu'elle voit le public s'opposer à une simplification de texte. C'est Adamo qui l'a racontée (aujourd'hui, j'ai décidé de citer Adamo pour t'énerver, ça ne peut pas toujours être à ce pauvre Joe Dassin de s'y coller) : dans "La Nuit" (1964), il chante : "Tantôt tu me reviens FUGACE". Dans les années quatre-vingt, sur scène, il a tenté de remplacer "FUGACE" par "TU PASSES", sans doute animé par le même misérable souci que McNeil et Clerc. Eh bien, des gens sont venus se plaindre à la fin des spectacles. Et Adamo a rétabli le mot compliqué.
 
  Dont acte !

 

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Hommage à Graeme Allwright
 
       Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans une autre note, pendant mon adolescence (années soixante) j’ai été tiraillé entre la chanson anglo-saxonne et la chanson française dite « à texte ».
     Pour celui qui aimait entendre Brel ou Brassens par exemple, mais adorait aussi le folk rock américain (Dylan et consorts), il n’était pas facile de trouver un lien entre les deux genres, surtout lorsqu’on avait envie soi-même d’écrire et de chanter. Quel style choisir ? Il semblait qu’il fallait être soit l’un soit l’autre, les deux genres étaient incompatibles, avec des codes musicaux trop différents.
    Nous avions l’impression que la langue française avait du mal à s’adapter à cette musique essentiellement américaine. Puis petit à petit des adaptations, en particulier des chansons de Bob Dylan, sont apparues.
    Je passerai par charité sur Ecoute dans le vent (Blowin’ in the wind) et J’entends siffler le train (500 miles) chantées par Richard Anthony tout d’abord, pour ne retenir que celles chantées par Hugues Aufray ensuite (Aufray chante Dylan et avant, N’y pense plus tout est bien).  
   Tout ça nous plaisait bien, cependant l’impression d’extraordinaire que nous laissaient les textes de Bob Dylan (que nous déchiffrions à grand-peine avec notre dictionnaire) disparaissait dans ces traductions ou adaptations affadies sans doute par le parolier professionnel qu’était Pierre Delanoë. (Je reviendrai sur « les paroliers professionnels».)
 
    Lorsque Graeme Allwright a débarqué, à peine quelques années plus tard, dans notre paysage, l’horizon s’est élargi, nous avons tout de suite senti chez lui une plus grande authenticité. D’abord dans la voix et son charmant accent « américain » de Nouvelle-Zélande, qui permettait de conserver un part d’exotisme, même avec des textes en français ( !), puis dans la musique et les sonorités de guitares, banjo et autres, nettement plus convaincantes. Quant aux textes, ils étaient beaucoup plus proches des originaux et gardaient une sorte de rudesse, d’âpreté, sans doute parce qu’ils avaient échappé à un parolier professionnel.
    Graeme a eu le génie de l’adaptation et de la traduction. Avec lui nous avons commencé à nous dire qu’un texte en français (qui dit autre chose que Twist again ou Dadou ronron) pouvait très bien sonner sur ce type de musique venu des USA. De plus, il nous faisait connaître des chansons et des chanteurs que nous ne connaissions pas ici, au fond de notre banlieue prolétaire.
   Graeme a écrit lui-même aussi quelques chansons fameuses dans ce style. Longtemps ces chansons ont hanté les feux de camp et les colonies de vacances, sans que, souvent, on ne sache plus au fil du temps qui en était l’auteur et en perdant un peu leur sens aussi. Buvons encore une dernière fois, à l’amitié l’amour, la joie (l’amour, la joie répétait l’écho !) ! Et Jolie bouteille…une histoire d’alcoolique reprise en chœur dans les colonies de vacances ! Cette belle chanson de Tom Paxton avait été précédemment chantée par Julie Dassin, la sœur de Joe, c’était devenu Vive le vin, vive le raisin, vive le lait de la vigne !  Encore une farce d’un parolier professionnel sans doute ?
 
     Un bon moment j’ai pensé que Graeme Allwright allait réussir à donner de son vivant des chansons « anonymes » au répertoire français. Cependant le temps passe et il faut se rendre à l’évidence, ces chansons-là disparaissent et personne ne les chante plus. A moins que la mode ne revienne un jour, elles disparaîtront avec les générations qui les ont chantées et le nom de Graeme Allwright aussi.
 
  Cependant on lui doit quand même de magnifiques adaptations des meilleures chansons de Léonard Cohen (Suzanne et L’étranger, entre autres) et du coup, l’idée qu’une adaptation fidèle est possible, même en chanson.
    Je lui dois personnellement une bonne part des grandes émotions poético-musicales de ma jeunesse et surtout je lui sais gré d’avoir montré que chanter en français des textes ambitieux dans un style de musique « américain » était possible. La voie était ouverte, je l’ai suivie, à ma manière.
Salut Graeme.

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Prof 

   Les conseils que je donne à mes élèves en ce qui concerne l’écriture des chansons me paraissent d’une grande pertinence puisqu’ils sont les fruits d’une longue expérience, cependant je dois bien avouer que j’ai beaucoup de mal à les mettre en pratique dès qu’il s’agit de mon propre travail et des impasses où il me conduit parfois.

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Etre drôle

     Un vieux comédien célèbre (Jean-Louis Trintignant) racontait qu’il avait fait jusqu’alors des choses qui « ennuyaient » les gens ou qui peut-être les émouvaient, mais il n’avait pas moyen de savoir s’ils s’ennuyaient ou s’ils étaient émus.

   Depuis peu il faisait des choses drôles et là tout était bien plus clair, les gens riaient ou pas, bref il avait un moyen de savoir s’il avait atteint son but, s’il avait touché ou non le public.

   C’est vrai, il vaut mieux faire rire les gens, bien que ce soit très difficile de les divertir. D’ailleurs faire rire, n’est-ce pas une sorte de réflexe de séduction, sur la scène comme ailleurs ? Tous les dragueurs le savent. L’expression qui parle de mettre les rieurs de son côté, même ainsi détournée, est assez juste.

 On reproche si facilement aux gens de ne pas être drôles, qu’on finit par croire qu’il faut l’être à tout prix. Celui qui monte sur les planches doit faire preuve d’humour, ou se débiner rapidement dans l’ombre.

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Exercice de modestie (Confidence d’un chanteur à texte)    

    J’ai incontestablement écrit quelques unes des plus belles chansons parmi toutes celles écrites des années quatre-vingt à aujourd’hui. Je suis bien obligé de le dire puisque personne ne s’en aperçoit !

  Charité bien ordonnée commence par soi-même, alors je ne vais pas me gêner pour dire ici à quel point mes chansons sont belles, ma modestie dût-elle en souffrir. Je ne vais pas attendre d’être mort pour qu’on me découvre, je préfère me découvrir moi-même tout de suite !

   Il est vrai que la concurrence est rude entre les auteurs qui peuvent prétendre aux plus belles chansons depuis les années 80, surtout que certains ont même commencé avant, dès 1960 !   Nous nous livrons à distance, et loin du public, une bataille féroce pour être celui qui aura écrit les plus belles chansons de son époque.

  C’est dommage pour les autres, qui ne manquent pas de talent, mais je suis quand même vraiment le plus fort ! Personne ne le sait bien sûr, ni mes pairs et adversaires ni le public non plus, mais ce genre de victoire et de supériorité n’a que plus de saveur si elle reste secrète et que le vainqueur sait rester discret et modeste.

    Et je crois que dans ce domaine je ne me démerde pas trop mal.

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Parler de chanson
 
  Souvent il semble difficile de « parler chanson », que ce soit avec des profanes ou même gens intéressés de près par la question, tant la relation affective à tel ou tel artiste prend rapidement le pas sur la distance que demande l’analyse et brouille le jugement.
   Parler chanson ça n’est pas forcément parler des artistes en particulier, c’est parler avant tout des chansons qu’ils chantent, des courants dans lesquels ils s’inscrivent et de l’époque dont ils sont un reflet, un « produit ».
   Souvent au cours de ce genre de conversation on me demande : « Mais un tel, tu le situes comment alors ? » ou alors « Oui, mais une telle, ça n’est quand même pas la même chose » etc.
      Lorsqu’on aime un artiste on a du mal à admettre qu’il se situe dans un courant, une mode, on a du mal à le mettre dans le même panier que d’autres, on le voudrait unique. On ne peut pas non plus admettre qu’il soit le « produit » d’une époque, on le préfère un peu intemporel.
     On a le sentiment qu’il est impossible de rendre compte, autrement que sur un mode admiratif, d’une dimension artistique qu’on imagine ne pas être mesurable, qui dépasse les limites de l’analyse, trop réductrice, ou de la réflexion tout simplement. Bref, on mythifie.
 
  Je vois dans ce réflexe de refus une sorte d’écho à celui qui est souvent le nôtre devant l’analyse sociologique à laquelle il nous plaît de penser que nous échappons, parce que nous nous imaginons toujours être à part, un être unique et que nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans des catégories qui nous semblent réductrices. Nous n’aimons pas être objectivés, cela contrarie notre narcissisme, un grand philosophe et sociologue, Pierre Bourdieu, l’a bien expliqué. (Dire simplement son nom vous fait passer aujourd’hui pour un snob ou un marxiste attardé, au choix, mais bon, ça n’est pas une raison…)
 
   C’est la même chose avec les chanteurs et chanteuses que nous admirons et dans lesquels nous projetons tant de choses, même à notre insu, que nous avons du mal à accepter de les voir objectivés ou, du moins, ramenés à une dimension plus banale, plus humaine, sans mythe.
  
    Nombreux sont les gens, de n’importe quelle génération, qui ont « leur » chanteur ou chanteuse, avec qui ils entretiennent une sorte de relation (à sens unique) privilégiée et parfois irrationnelle.
  Les industriels, et bien des artistes (même marginaux), de la chanson ont parfaitement compris ce phénomène et ils sont passés maîtres dans l’art de créer des mythes, auxquels chacun, selon ses goûts, viendra verser son obole, quelques fois les larmes aux yeux.
     Mais bien entendu, la sensibilité et les goûts, ça ne se discute pas, c’est bien connu. Ça arrange tout le monde.

 

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Guy Béart

     Guy Béart aura eu une carrière assez courte au total, de la fin des années cinquante au début des années soixante-dix. Ce qui n’est déjà pas si mal, même s’il est oublié aujourd’hui.

    Guy Béart est un des derniers chanteurs à textes (avec Claude Nougaro) à avoir réussi à s’imposer, « passer les mailles du filet, dira-t-il », au moment où la vague des yéyé envahissait le paysage de la chanson française en emportant pratiquement tout sur son passage, y compris Serge Gainsbourg, de la même génération et la même école (le cabaret de la Rive gauche).

     Guy Béart est bien oublié aujourd’hui. Son œuvre est pourtant très intéressante et devrait tôt ou tard trouver sa juste place dans l’histoire du répertoire.

   L’originalité de Guy Béart aura été de ramener la « chanson à texte » vers les racines de la chanson traditionnelle ou folklorique, comme on disait à l’époque. Il a systématisé ce qui était déjà à l’œuvre chez Georges Brassens dont les chansons renferment des références explicites (dans la forme et dans le fond) à la chanson traditionnelle et à la poésie (aussi bien celle du Moyen-âge que celle du dix-huitième ou du dix-neuvième siècle).

    L’écriture de Guy Béart est peut-être moins littéraire que celle de Brassens, mais elle est plus directe, plus simple, plus « moderne ».

    S’appuyant sur les formes de la chanson traditionnelle, Guy Béart aura cependant traité des sujets contemporains, moins « intemporels » que ceux de Brassens.  Béart a parlé de son époque et la langue de son époque en traitant musicalement ses chansons comme des chansons folkloriques dans lesquelles on entend parler de téléphones, de voitures, de télé, de bombe à neutrons etc.

   Près de quarante ans plus tard on constate à leur écoute que nombre d’évocations restent actuelles (au hasard, Le dopage dans le Tour de France ( !) dans La vérité, les médias et le sensationnel dans Tournez rotatives etc.) De nombreuses chansons de son répertoire sont des témoignages de leur époque, traitées avec des formes et des musiques « traditionnelles », héritées d’un passé indéfini.

    Guy Béart a d’ailleurs, au début des années soixante-dix, consacré deux albums aux chansons du patrimoine français anonyme, aux vielles chansons de France. C’est vrai que la période était propice au « folk » qui était alors à la mode, mais il s’agissant surtout du « folklore » américain. Guy Béart a eu le mérite de nous rappeler que nous avions aussi de très belles « vieilles chansons de France » !

     C’est peut-être, entre autres, cet aspect folklorique de ses chansons qui aura valu à Guy Béart le statut de ringard qui est encore le sien depuis un bon moment.  Loin des textes alambiqués et poétiques sur des musiques peu dansantes des dernières vagues de la Rive gauche et loin du rock ’n roll pour les « kids », il a tracé un chemin très original en écrivant des chansons populaires, dans le sens le plus noble et le plus ancien du terme. Ce fut un apport considérable au répertoire dont avec un peu de recul nous devrions finir par mieux apprécier l’importance. C’est en tout cas mon souhait.

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La chauve-souris

     Dans le début des années soixante-dix j’ai croisé beaucoup de ces chanteurs poètes qui se considéraient tellement comme des poètes qu’il leur semblait inutile, voire indigne de leur condition, d’apprendre convenablement la musique et essayer de devenir un peu plus musicien. Comme si la musique était un domaine un peu terre à terre qu’il convenait de laisser aux techniciens spécialistes, comme la plomberie aux plombiers ou la mécanique aux mécaniciens.

     A l’inverse j’ai croisé aussi pas mal de musiciens qui regardaient de haut les chanteurs ou chanteuses, avec une sorte de condescendance professionnelle, imbus d’un savoir-faire pourtant parfois médiocre. Pour eux les textes des chansons étaient une anecdote, une coquetterie d’auteur, une ornementation accessoire pleine de détails qu’il leur fallait bien tolérer mais qu’ils ignoraient superbement.

     Je ne me suis jamais senti à l’aise ni chez les uns ni chez les autres, comme la chauve-souris, à la fois mammifère et oiseau. Entre deux genres, sans appartenir à aucun des deux.

Sans doute ne suis-je pas assez poète pour les premiers et pas assez musicien pour les autres ?

     C’est possible, mais ça tombe bien puisque je suis auteur compositeur et que la chanson, en principe, se trouve à mi-chemin entre la musique et la poésie à ce point où les deux genres se rencontrent pour finalement n’être plus ni l’un ni l’autre, mais devenir quelque chose de nouveau, métissé et unique : une chanson.

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Les chansons de Félix

   Il n’y a pas très longtemps François Béranger a enregistré un album de chansons de Félix Leclerc, et Hugues Aufray aussi. Félix est un auteur-compositeur québécois un peu oublié de nos jours, du moins en France. Que des chanteurs aussi différents que François Béranger et Hugues Aufray se tournent vers lui, à la fin de leur carrière, pour le chanter est un signe de reconnaissance peu banal. C’est redonner à Félix Leclerc toute la place et toute l’importance qu’il mérite.

   L’autre jour un de mes copains m’a dit qu’il s’était mis à aimer les chansons de Félix Leclerc seulement récemment, qu’il lui avait fallu du temps pour les aimer, que même vers la trentaine elles ne lui « parlaient » pas. Il a maintenant cinquante et quelques années et elles lui parlent enfin.

   Ecrire au moins une chanson de ce calibre devrait être l’ambition de tout auteur-compositeur.   

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  L’éternel refrain

    Je lisais récemment dans la revue Chorus (qui en anglais signifie refrain) la critique du dernier album d’un chanteur « à texte » de ma génération. J’ai été interpellé par le fait que le journaliste, après les amabilités d’usage, glisse en fin d’article des remarques laissant à penser que le cd était en fait monotone et ennuyeux, pour diverses raisons et entre autres pour celle que dans ces chansons-là il n’y avait jamais de refrain.

    Puisque cette revue est la seule sur le marché à être spécialisée dans la chanson (la revue est sous-titrée « Revue de référence de la chanson ») chroniquant les cd d’artistes parfois complètement inconnus aussi bien que ceux de gens très célèbres, on peut difficilement soupçonner les critiques qui y travaillent d’avoir une vison restrictive de la chanson, de ne pas l’aimer dans « tous ses états ». Je me suis donc dit que cette histoire d’absence de refrain méritait qu’on y arrête un peu.   Les chansons sans refrain sont-elles plus ennuyeuses ou plus difficiles à écouter que les autres ? Et même, sont-elles vraiment des chansons ?

  C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre puisque le sentiment de monotonie et d’ennui est subjectif. Cependant en ce qui concerne notre génération, les chanteurs « poètes » et leurs chansons sans refrain, j’ai bien l’impression que tout ça c’est la faute à Léo !

  On ne dira jamais assez à quel point Léo Ferré a eu une profonde influence sur la génération des auteurs compositeurs interprètes qu’on appelait « chanteurs à texte » dans les années soixante-dix.

   Léo Ferré au cours de sa longue carrière s’est affranchi peu à peu des formes classiques de la chanson, notamment de l’alternance couplets/refrain. Il a rapidement substitué au refrain classique le refrain intégré, c’est-à-dire une phrase ou un simple élément de phrase qui revient régulièrement dans la chanson (Comme par exemple « Avec le temps »). Les refrains ont même complètement disparu quand les chansons se sont confondues avec des poèmes. Il s’agissait alors souvent de poèmes qu’il mettait en musique (Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire, Aragon et Ferré lui-même), L’affiche rouge en est un bon exemple.  Certains préfèrent dans ce cas parler de poème chanté plutôt que de chanson. Léo Ferré a d’ailleurs fini par « dire » de la prose qu’il avait écrite sur de la musique qu’il avait composée, il ne s’agissait plus du tout de chanson, en tout cas dans sa forme traditionnelle, mais sur ce terrain-là il ne fut guère suivi.

    Son influence, aujourd’hui sous-estimée ou négligée, a été considérable. Nombreux sont les « jeunes » de l’époque à s’être engouffrés dans cette brèche du poème chanté, sans refrain, mais ils n’ont rencontré souvent qu’un petit succès ou même pas de succès du tout. Ils en furent étonnés et peut-être même un peu amers. Sans doute avaient-ils oublié une chose : Léo Ferré était devenu un chanteur populaire grâce d’abord à une voix formidable et ensuite à des chansons de forme plus classique, avec refrain intégré ou pas, Jolie môme par exemple, ou encore plus tard C’est extra. Si Léo Ferré n’avait été « que » le chanteur de L’affiche rouge, qui en inspira plus d’un quant au phrasé, même avec sa belle voix il n’aurait sans doute jamais connu un si grand succès populaire.

    La chanson traditionnelle est d’une certaine manière l’art de la répétition, du retour (des phrases musicales, de la carrure, des couplets et du refrain « qui se retient bien » ou pas). Nous en avons négligé cet aspect essentiel pour l’embarquer dans de longs discours « sans retour » et nous n’en sommes toujours pas revenus d’ailleurs, dans tous les sens de l’expression.

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Le cul entre deux chaises

   Toute ma vie j’aurai été tiraillé entre la chanson française « à texte » dont l’ambition littéraire est affichée et les chansons anglo-américaines plus rock et plus rythmées comme celles de Bob Dylan par exemple. Entre les deux genres toutes les nuances et toutes les étapes sont possibles bien sûr, elles ont produit d’ailleurs de nombreux avatars depuis quarante ans et plus. Mais il subsiste toujours quand même, sans doute uniquement dans mon imagination, une sorte de point aveugle qui interdit aux deux genres de se rencontrer tout à fait et de se confondre.  
   Dans les chansons « à texte » auxquelles je pense, le côté secondaire de la musique, m’a toujours gêné, comme l’absence de rythme, alors que dans les chansons de l’univers folk rock c’est l’intensité littéraire des textes qui me semblait souvent un peu faiblarde ou alors trop « exotique », américaine en un mot, pour pouvoir rendre compte de la réalité de mon quotidien de Français !  Je n’ai jamais réussi à réconcilier les deux genres, ni dans ma tête, ni dans mes chansons.
 
  Cette tension était déjà dans l’air à l’époque de mon adolescence, quand j’ai commencé à jouer de la guitare. Mes parents m’avaient offert pour Noël un disque de Bob Dylan que j’adorais, mais dans le paquet je fus surpris de trouver aussi un disque de Georges Brassens, dont ils n’étaient pas à ma connaissance particulièrement férus et qui ne m’intéressait pas plus que ça, mais qui sans doute devait représenter dans leur esprit une alternative, une résistance aux chansons anglo-américaines. Peut-être était-ce une manière inconsciente de mettre en balance ce qui pouvait leur sembler un peu trop adolescent et futile avec quelque chose dont il ne savait rien mais qui leur paraissait en somme plus académique, plus adulte (pauvre Brassens !).  C’était peut-être une manière d’équilibrer le futile et le sérieux, le raisonnable et l’aventureux, le scolaire et le buissonnier ? Bref, quelque chose déjà devait être en jeu, même dans l’inconscient de parents pas du tout versés dans les choses de la musique et de la chanson.
   J’ai si bien intégré cet enjeu-là que je n’ai jamais réussi à m’en défaire tout à fait, même si avec l’âge il est plus facile de faire la part des choses, comme on dit, et de voir les nuances.
 
   J’ai quand même le sentiment d’avoir eu, comme auteur de chansons, toujours un peu le cul entre deux chaises, trop ceci pour les uns et pas assez cela pour les autres et vice versa.
 
   Peut-être cette difficulté est-elle artificielle et n’est que le fruit d’une représentation biaisée qui  classe les choses dans le « sérieux » ou dans le « léger », le grave ou le plaisant, dans le culturel important ou dans le divertissement et le futile.
    Mais peut-être, tout aussi bien, cette compatibilité entre les genres pour moi si difficile est-elle le symptôme d’un enjeu et que ce qui est en jeu c’est le rapport entre le texte et la musique, et le fragile équilibre qui les unit dans une chanson.
 
 
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Etre à l’heure

    J’ai entendu hier soir sur une radio locale une émission consacrée à Jacques Debronckart, un auteur compositeur de la fin des années soixante et du début des années soixante dix, pratiquement oublié aujourd’hui.

   Il a fait partie des dernières vagues du courant Rive gauche, comme Maurice Fanon et Henri Tachan, bien oubliés eux aussi. Ces artistes ont été éclipsés par la présence de Jacques Brel et Léo Ferré, qui les précédaient et tenaient le haut du pavé dans cette catégorie dite « chanson à texte ». C’est vrai que malgré toutes les qualités d’un Debronckart ou d’un Fanon leurs enregistrements ne supportent pas la comparaison avec ceux de Brel ou Ferré, ni en ce qui concerne l’écriture et la composition, ni en ce qui concerne la voix et l’interprétation. C’est comme ça, ce n’est pas de chance pour eux, ils n’étaient pas là au bon moment. (En même temps, auraient-ils été là s’il n’y avait eu Brel et Ferré un peu avant eux ?)

   Cependant ces oubliés tiennent une sorte de revanche posthume avec Allain Leprest fêté aujourd’hui tous azimuts comme un grand auteur, considéré même par certains comme un des plus grands (voire un génie, par Claude Lemesle, l’inoubliable parolier de Joe Dassin ! ). Il faut dire que c’est plus facile pour lui, Brel et Ferré étant morts, ils sont devenus des mythes à jamais incomparables et sont désormais hors concours, si l’on peut dire.

   Leprest ressemble comme un frère à ces gens oubliés de la Rive gauche, ces Fanon et Debronckart, même type de textes et même type de musique d’avant le rock’n roll. Il y a quarante ans il aurait été considéré, à leur instar, comme un ringard, une pâle copie de ses aînés, une image du passé. Aujourd’hui il est célébré par les amoureux de « la chanson » comme un de ses plus grands représentants. C’est vrai qu’il a beaucoup de talent, mais il est cependant une image du passé. Un passé dans lequel l’époque frileuse, qui a parfois peur de regarder vers demain, aime se contempler ou se réfugier. Formidable retour en arrière qui dépasse le simple cadre de la chanson et qu’on retrouve aussi au cinéma par exemple (le succès des films de Christian Carion ou encore Christophe Baratier en témoigne). Ce retour en arrière profite à Allain Leprest.

  Debronckart, lui, n’a pas eu cette chance. Il est arrivé trop tard, ou trop tôt, comme on voudra. On ne dira jamais assez l’importance de la ponctualité pour un artiste. Il peut être d’avant-garde ou un genre de vestige, mais il doit l’être pile au moment où il faut. Avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure.

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Une chanson réussie ?

   Il n’y a pas de critère particulier ou de quelconque théorie qui permette de définir ou au moins de cerner ce qui fait une chanson « réussie ». Si on est intéressé par la question, soit pour essayer de comprendre pourquoi on aime telle ou telle chanson, soit parce qu’on souhaite écrire soi-même une chanson « réussie», on ne peut que glaner ça et là, au hasard des interviews d’auteurs célèbres, des indications qui permettent de deviner leur point de vue sur la question, quand ils en ont un.

    Guy Béart, bien oublié aujourd’hui et qui doit attendre sagement sa sortie du purgatoire, a essayé il y a plusieurs années de dégager les éléments qui lui semblent devoir être présents dans toute chanson « réussie » : […] une grande chanson doit contenir quatre points. Si miraculeusement elle les contient, elle possède de grandes chances de toucher. En un la chanson doit enchanter, toucher ce que nous gardons en nous d’enfance, par le jeu des sonorités et celui des mots. En deux elle doit séduire, charmer ce que nous avons de féminin. En trois, après l’enchantement et la séduction, la chanson doit intéresser ce que nous avons de masculin en nous, c’est l’information. En quatre enfin, la chanson doit être mystérieuse, dire les choses entre les lignes, pour nous rendre complices d’un secret. Les grandes chansons de révolte, complètement séditieuses, sont anodines en apparence…

C’est important le mystère, dire les choses au premier degré […] c’est facile et ça m’a toujours profondément ennuyé. (Paroles et musique 1985)

 L’enfantin, le féminin, le masculin et le mystérieux en nous, pourquoi pas ? C’est au moins un point de vue, c’est déjà ça !

   « C’est déjà ça » est aussi le titre d’un recueil des paroles de chansons d’Alain Souchon où il écrivait en guise de préface : Les chansons ne sont pas faites pour être lues, mais écoutées. Distraitement. C’est la musique qui peut accrocher l’oreille et faire entendre les paroles. Les paroles sont derrière, en second plan.

On peut en lisant s’apercevoir que les chansons disent toujours les mêmes choses : que l’amour est difficile, que le temps passe vite, que ce qui est passé est enjolivé, que le monde est mal fait. Tout cela peut être dit de manière provocante, poétique, niaise ou neutre, c’est selon la personnalité de l’auteur (Préface de «c’est déjà tout ça », Ed. Point virgule 1993)

   Le poétique, le niais, le neutre…la personnalité de l’auteur ! Bon, ça ne mange pas de pain, et c’est peut-être vrai après tout.

   Un maître incontesté du genre, Georges Brassens, reste assez évasif et ne s’aventure pas non plus dans des spéculations inconsidérées. Il est assez direct : «Même si on écrit des conneries, il faut poser les trois mots qu’il faut sur les trois notes qu’il faut. C’est un don. Les plus grands poètes ne l’ont pas forcément. »

    Bon, c’est le maître qui le dit, les trois mots qu’il faut sur les trois notes qu’il faut…

On peut noter au passage l’idée que Brassens se faisait du rapport entre les paroles et la musique : les mots posés sur les notes. (Elle est jolie cette idée, surtout de la part de quelqu’un dont on considère (à tort) que les chansons valent avant tout pour les textes). Pour le reste c’est donc une histoire de don…mais ça, je crois que tout le monde s’en doute un peu.

   Je passerai sur les leçons fumeuses données par des paroliers « professionnels » et autres compositeurs du même métal, célèbres à un moment, dont les ouvrages sur la question n’ont pas fait date. Laissons-les à l’oubli où ils sont retournés.   

   Non, il semble ne se dégager aucune règle ou autre théorie quant à l’art de « faire » une chanson, réussie de surcroît. C’est pour ça qu’on préfère le plus souvent parler d’alchimie, alchimie entre les mots et la musique, la voix. C’est déjà pas mal l’alchimie…ça garde son parfum de mystère et c’est une histoire de correspondance entre le monde matériel et le monde spirituel comme dit le dictionnaire.   

  En tout cas l’alchimie ne s’enseigne pas et l’art d’écrire une chanson non plus, du moins à ma connaissance. Il faut donc se contenter de vagues d’observations et de bribes de conseils glanées au hasard. Peut-être cela tient-il au fait que le « métier » ne sert pas à grand-chose dans ce domaine ?

   Georges Brassens, toujours lui, disait qu’après avoir écrit une série de chansons, quand il s’y remettait pour en écrire d’autres, il se demandait toujours « s’il allait encore savoir faire » !

    Est-ce que Rodin, Ravel ou Picasso se disaient la même chose ? Peut-être oui ou peut-être non, peu importe. De toute façon on imagine mal des athlètes de ce calibre se reposer sur un savoir-faire et une technique jamais remis en cause. Sinon comment auraient-ils pu laisser une œuvre aussi riche et variée ?

    Un autre grand, Jacques Brel a dit et redit qu’il avait renoncé à chanter et écrire des chansons à un moment où son savoir-faire était trop grand et prenait le pas sur la sincérité. Peut-être que personne ne sait ce qu’est une chanson réussie ou comment l’écrire, mais gageons que la sincérité de celui qui l’écrit est sûrement un élément de la réussite.

C’est déjà ça, comme dirait Souchon.

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Texte ou prétexte ?
 
   Il fut un temps où les chansons, même les moins ambitieuses (et celles carrément débiles), étaient écrites avec beaucoup de soin. Les auteurs étaient des artisans zélés et les règles prosodiques tenues en grande considération.
    Les rimes pauvres ou l’absence de rimes, les vers qui boitent d’un pied ou encore les « e » muets qui traînent, tout cela était proscrit.
    Cette rigueur dans l’écriture des chansons a aujourd’hui pratiquement disparu, l’écriture de la chanson n’est qu’une étape, souvent bâclée (de même que la composition de la mélodie), comme si l’étape importante dans la création de la chanson était l’arrangement ou plutôt l’habillage de la chanson, sa « production » comme on dit aujourd’hui.
    Les diverses possibilités apportées par les studios d’abord puis le home studio ensuite et les diverses machines ont favorisé cette évolution.
 
    On a parfois l’impression que la chanson en elle-même, un texte donné sur une certaine mélodie, n’est plus qu’un vague prétexte à chanter ou même simplement immiscer sa voix dans un environnement instrumental, arrangement  plus ou moins écrit ou même « bidouillé » en studio.
 
    Le texte et la mélodie ne semblent plus faire l’objet de soins particuliers, en tout cas bien moins que tout le reste de la production de la chanson. On soigne avant tout l’environnement sonore.
 
    Au final il n’y a ni chanson ni musique, juste un arrangement plus ou moins réussi mais qui dans tous les cas ne saurait se suffire à lui-même. Car écrire ou jouer de la musique qui tienne le coup, sans le prétexte d’une chanson pour masquer sa minceur, c’est une autre paire de manches et requiert plus de technique, de talent et de compétences.
Souvent la « chanson », surtout au niveau des productions amateurs, n’est qu’un prétexte à faire de la musique par défaut, alors qu’on n’a ni la technique instrumentale ni les connaissances suffisantes.
 
    C’est peut-être dommage qu’on ne considère pas, ou plus, que la « production » de la chanson commence véritablement devant la feuille blanche. Pourtant l’expérience montre bien que ce qui vieillit le plus vite dans les enregistrements de chansons (fussent-elles géniales) c’est l’arrangement, dont les sonorités et les partis pris divers ne sont souvent qu’une affaire de mode.
 
   L’avenir d’une chanson est toujours hypothétique, mais si elle a été conçue comme un prétexte bâclé à faire un « arrangement », elle n’en a sûrement aucun.
 
  Mais après tout, qui se soucie de l’avenir d’une chanson ? Qu’elle soit un prétexte à « bidouiller » en studio ou à faire une grimace sur scène, elle reste un produit frais à consommer du jour et le reste n’est que littérature !

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L’époque dorée

   Pour ceux de ma génération le problème était simple : casser la gueule à nos aînés !

Inventer quelque chose de neuf et même tout remplacer si possible. C’était valable aussi (et surtout) pour la musique et les chansons. Tout ce qui était vieux devait être flanqué à la poubelle illico !

 Charles Trenet, Brassens ou Brel, malgré le respect qu’on leur « devait » et parfois leur concédait, ne pesaient pas lourd devant les novateurs américains ou anglais, Dylan et Beatles en tête.

Le passé ne nous intéressait pas, c’était comme ça, Don’t look back en quelque sorte !

    Je rencontre aujourd’hui beaucoup de jeunes gens, passionnés de chanson, qui regrettent de n’avoir pas connu cette époque où tout semblait neuf, du moins dans ce domaine. Pour eux c’est un genre de mythe.  Mais comme nous avons nous-mêmes beaucoup mythifié cette onde de choc pop rock, ceci explique peut-être en partie cela ?

   Comme je m’étonne parfois de l’intérêt qu’ils portent à cette époque, ils m’expliquent qu’aujourd’hui ils n’ont rien à se mettre sous la dent ou du moins pas grand-chose, en tout cas pas l’équivalent.  J’ai d’ailleurs l’impression que la comparaison défavorable entre l’époque dorée de notre jeunesse et la leur ne se limite pas seulement à la musique et aux chansons, qui n’en sont qu’un reflet.

     « Les temps changent » chantait-on alors…et d’autres lorgnent maintenant du côté de ce qui était pour nous «le passé » et auquel nous tournions résolument le dos. Ils s’intéressent de très près aujourd’hui à Prévert et Kosma, aux Frères Jacques, à la Rive Gauche, quand ça n’est pas à Mireille et Jean Nohain ( !), sans doute pour la même raison : pas grand-chose à se mettre sous la dent dans les productions actuelles.

    Et ils ont peut-être raison finalement…Bénabar, Delerm ou Cali sont sans doute très bons, des Brassens et Brel d’aujourd’hui, mais quand même…c’est drôlement moins bien. Il n’y a pas photo.

    Chaque époque produit ce qu’elle peut et il faudra peut-être attendre un bon moment avant que les conditions soient réunies pour que surgisse alors qu’on ne s’y attend pas un truc du style de Like a rolling stone ou Sgt Pepper, un genre de vague qui s’en va vers l’avenir et toute la jeunesse avec.

    De même qu’il faudra peut-être un moment avant de revoir un public saisi d’émotion devant un artiste qui chante les poètes, comme naguère Léo Ferré à Bobino chantait Rimbaud ou Baudelaire, quelle époque !

 C’est vrai qu’il y avait là de quoi se mettre sous la dent et il faudra sans doute attendre un moment avant que ça revienne. Mais ça reviendra, c’est sûr.

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