Quand j’étais chinois
 
Quand j’étais chinois
A l’époque Tang
Je passais la nuit
Seul au bord de l’eau
Parmi les bambous
Dessus l’herbe tendre
Je buvais le clair
De lune au  goulot
Je chantais des vers
Pour la lune sage
Dont le beau reflet
Divaguait sur l’eau
Qu’effleurait parfois
L’oiseau de passage
Fugitif comme
Un trait de pinceau
 
Quand j’étais chinois
A l’époque Ming
Mon maître partait
Sur ses grands chevaux
Vers de longues guerres
En lointains  voyages
Loin de ses palais
De ses jardins d’eau
Du haut des balcons
Les filles de jade
Agitaient leurs manches
En guise d’adieu
Puis elles s’endormaient
Dans leurs chambres jaunes
Leurs cheveux défaits
En traits de pinceaux
 
Quand j’étais chinois
J’étais un peu Tang
Un peu Ming aussi
Et puis vint Mao
J’ai eu un vélo
Et un idéal
Mais mon drapeau rouge
Est tombé de haut
On m’a vu debout
Héros en chemise
Place Tian an men
Face aux chars d’assaut
Je suis mort ainsi
Pauvre camarade
Une nuit de juin
Mort incognito
 
La lune maussade
Pleure sur l’esplanade
La place est déserte
Sauf quelques vélos
Qui s’en vont au loin
Chinois de passage
Fugitifs comme
des traits de pinceau…
 
 
Pierre Delorme